Clémence B. 19/01/2017

21 ans, trois chimios

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En 2016, j'ai appris que j'étais atteinte d'une leucémie. Changement de vie...

En septembre 2016, je suis étudiante en troisième année d’école d’éducatrice-spécialisée. Ce n’est peut-être pas le métier que je voudrais exercer par la suite, mais j’ai décidé de terminer cette formation coûte que coûte. Le diplôme en ligne de mire, c’est une année studieuse qui se profile. Je suis en stage en IME avec des ados en situation de handicap. J’ai des projets et un sujet de mémoire en tête.

J’habite en colocation à trois dans une maison, j’ai deux chats et un copain en dilettante. Mais voilà que j’attrape froid. « Une angine virale », me dit-on. Cela passera tout seul. Mais ça ne passe pas et les symptômes s’accumulent : maux de tête, fatigue, maux de gorge, fièvre… Si bien qu’après plusieurs prises de sang, je finis par me retrouver dans la salle d’attente d’un hématologue remplie de prospectus concernant le cancer, puis dans son bureau où le diagnostique tombe… « Vous avez une leucémie aiguë miéloblastique. »

J’ai l’impression que le ciel s’effondre sur ma tête et l’intuition que rien ne sera jamais plus comme avant.

Mes cheveux tombent dans la poubelle…

La suite s’enchaîne très vite de manière surréaliste. Cinq jours plus tard, je suis hospitalisée.

Mon quotidien devient prise de sang, cathéter et fauteuil roulant… Le choc. Arrêt de mon stage, arrêt de ma formation.

Séjour d’un mois en aquabulle, comme un poisson en prison dans son aquarium. Pas de contact. Apparemment, je suis malade. Je dois faire preuve de patience. La chimio démarre sur un air de Janis Joplin. Trois semaines plus tard, mes cheveux tombent dans la poubelle. Une aide-soignante me rase le crâne. Comme un arbre en automne, je suis chauve et je me sens comme une machine à laver en pleine action : lessivée. Je serais sans doute déracinée sans mes proches qui me soutiennent.

Mais je m’accroche, j’ai vingt et un an, j’aime danser et je veux vivre.

Depuis que la nouvelle s’est répandue, tout le monde se montre bienveillant à mon égard, je n’ai jamais eu autant d’attention et de cadeaux. Parfois c’est gênant et ça m’étouffe. Parfois, ça me fait du bien et ça me relève. Mes proches veulent que je me batte, que je ne renonce jamais, que je remporte une victoire comme dans un match de boxe où je lutterais contre mon cancer.

Mais moi, je ne le vois pas sous cet angle. Pratiquant des arts-martiaux, je ne provoque jamais un combat, je le contourne. Alors je préfère imaginer que je suis un cours d’eau, souple et continu qui coule de manière régulière et qui finira par user le rocher qui est venu se mettre sur mon chemin. Certains jours j’ai l’impression que ce rocher est une montagne. Il m’arrive de renoncer. Pourtant, quelque chose continue d’opérer et quand j’ai repris des forces, je reprends la route.

On nous appelle les « patients »

Aujourd’hui, j’attends qu’une place se libère chez l’oncle Pol, à l’Oncopole de Toulouse, pour faire ma troisième chimio dite « de consolidation ». Si certains achètent des places de concert, moi j’attends ma place de cancer.

Et ça fait huit jours qu’ils décalent, parce qu’il y a plus de personnes à soigner que de places disponibles.

Huit jours qu’on m’appelle à 16h pour me dire : « Malheureusement, il n’y a toujours pas de place et on ne peut pas vous prendre aujourd’hui. Je vous rappelle demain. »

Huit jours que je ne sais pas si je finis ma journée chez moi ou à l’hôpital. On nous appelle les « patients ».

J’ignore quelle sera l’issue du parcours de soin. Pour avoir plus de chance de guérir, j’ai besoin d’une allogreffe de moelle osseuse avec un donneur compatible à 10/10. Malheureusement, mes frères ne sont pas compatibles. Alors une recherche a été lancée dans le fichier universel des donneurs. Cela peut prendre plusieurs mois. Dans le monde, il y a 27 millions de donneurs de moelle osseuse,  il faut savoir qu’il y a environ une chance sur un million d’être compatible avec une personne que l’on croise dans la rue, alors imaginez la probabilité parmi les donneurs répertoriés. Mes possibilités de bénéficier d’une greffe sont donc infimes.

Et c’est dans une attente interminable que je redoute à la fois la présence d’un donneur et son absence. S’il n’y a pas de donneur, ce sera une quatrième chimiothérapie de « consolidation ».

Et à présent je suis en mutation !

Quand j’ai abordé le sujet de la greffe avec mes proches, beaucoup m’ont demandé s’il était possible de faire le test pour savoir si nous étions compatibles. Ce n’est possible que pour la fratrie, autrement il faut s’inscrire dans le fichier et s’engager à répondre présent si un jour une personne en a besoin. Cette démarche impressionne et pour le moment, de mes connaissances, il n’y a que deux personnes qui ont fait le choix de donner leur moelle. Mon oncle, qui s’est décidé lors de la maladie de mon grand-père, et une amie qui s’était inscrite d’elle-même quelques années plus tôt. Deux personnes sur des centaines de personnes que je connais. C’est si peu.

Ce qui me questionne, c’est que si j’ai souvent entendu parler du don de sang, de plaquettes et de plasma, je n’avais jamais entendu parler du don de moelle osseuse avant d’être directement concernée.

Et aujourd’hui je me demande si je me serais inscrite sur le fichier. On se sent moins concerné quand on n’est pas touché. Pourtant, il est important de passer à l’action, car la vie n’attend pas. Et ce sont environ 10 000 nouvelles personnes, dont je fais partie, qui sont touchées par des cancers du sang tous les ans en France. Cela pourrait être n’importe qui.

J’aime l’instant présent, mais j’aimerais aussi pouvoir me projeter dans l’avenir !

Car finalement, toute cette histoire a fini par me priver d’avenir. En effet, quand l’hospitalisation approche j’ignore quand je me réveille où je vais finir la journée. Je ne peux pas prendre de rendez-vous, ni m’inscrire au super stage de lindy hop du week-end prochain. Je reste figée, enlisée dans le présent. Je me retrouve incapable de m’engager dans quoi que ce soit, ni dans une reprise d’étude, ni dans une relation. Ce qui me demande de faire preuve d’humilité au quotidien.

Cela ne veut pas dire non plus que je suis à l’arrêt, au contraire. Si j’ai compris une chose, c’est que la vie c’est du mouvement. La maladie est venue me bousculer et à présent je suis en mutation, je prends conscience de ce qui me gênais dans mon existence et me lance dans des projets laissés en suspend : la musique, l’apprentissage de langues étrangères…

Une fois le traitement terminé, d’ici quelques mois, il y aura encore cinq ans d’attente, avec la possibilité d’une rechute avant que je sois déclarée officiellement guérie. Alors j’ignore de quoi sera fait l’avenir, mais CARPE DIEM.

On n’a qu’une seule vie et il est urgent de la vivre, de ne pas attendre pour se réaliser, car qui sait de quoi sera fait demain ?

 

Clémence, 21 ans, Albi

Crédit photo Flickr / athriftymrs.com 

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