Solange N. 29/12/2016

Emprisonnée et violée au Congo, réfugiée en France

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Emprisonnée à 18 ans à cause de mon engagement politique au Congo, j'ai vécu un véritable calvaire. Frappée. Violée. J'ai finalement réussi à m'échapper et à me réfugier en France, où j'ai connu la rue.

Dans mon pays, la République démocratique du Congo, il n’y a pas vraiment de possibilité d’étudier. J’ai arrêté les cours après la troisième et j’ai suivi ma mère pour faire des petits commerces. Mais j’étais complexée par rapport aux gens qui avaient étudié. Alors quand j’ai vu les projets proposés par le parti politique d’opposition, l’Union pour la Démocratie, pour la jeunesse et l’éducation, cela m’a poussée à adhérer. Pour qu’une fois au pouvoir, ils respectent leurs promesses et que je puisse finir mes études…

Arrêtée pour vouloir faire des études

J’avais 18 ans. Et un jour j’ai été arrêtée dans le quartier de Mikondo à Kinshasa parce que je faisais de la propagande. Avec d’autres militants, on avait un t-shirt avec le nom du parti.

Je distribuais des tracts sur lesquels on avait fait un dessin avec le président avec un gros ventre qui avale des cartes d’électeurs.

On faisait attention à la police. Mais il y avait beaucoup de monde et j’ai donné sans le faire exprès un tract à un policier en tenue de ville. Ils étaient trois, en civils. Ils m’ont donné des coups de pieds. Je suis tombée par terre. Mes amis ont commencé à fuir. On m’a jetée dans une Jeep, directement sur le sol. Je ne voyais rien, mais je pouvais sentir qu’il y avait d’autres personnes allongées comme moi. Les militaires qui étaient dans la voiture posaient leurs chaussures sur nos corps. Comme si on était des supports pour pieds.

Je ne sais pas quelle heure il était. C’était déjà la nuit.

On nous a dit : « Vous insultez le président ! Vous croyez que vous allez nous faire quitter le pouvoir ?! Il nous appartient. On va vous tuer. On va vous faire disparaître ! »

On a roulé et quand on m’a fait descendre, on m’a mis dans un cachot. J’y suis restée 24 heures.

La prison, les viols…

Ensuite ils m’ont envoyée dans la prison de Makala. J’y suis restée dix-huit mois. Ma famille n’était pas au courant que je m’étais fait arrêter. Ils m’ont cherchée dans les hôpitaux, dans les morgues. Ils n’ont su qu’après deux mois ce qui m’était arrivé. Ensuite, ils ont attendu presque un mois pour pouvoir me voir.

En prison, je subissais des mauvais traitements. Je ne mangeais pas. Ils ne nous donnaient qu’un horrible mélange qu’ils préparaient dans un tonneau en mélangeant avec un grand bâton. Je ne pouvais pas. Si je mangeais, je vomissais.

J’étais dans le pavillon 9, réservé aux filles et aux mineurs. Il y avait des mamans avec leurs enfants.

Les policiers venaient chercher des filles pour les violer.

Moi, au début, j’ai résisté. Ils ont pris une cigarette et l’ont écrasée contre ma cuisse. Ils m’ont ensuite frappée avec une arme, sur la rotule. Après ça dès que je marchais mon genou se déboîtait.

À terre, je n’avais plus le choix. Ils ont fait ce qu’ils voulaient. Trois policiers, l’un après l’autre. Ils passaient en force.

T’as pas le choix. Tu ne peux rien faire. Même avec des mineurs, ils faisaient ça. Chaque jour, ça tombait. Des gens mourraient. On dormait avec quelqu’un et, le lendemain, la personne n’était plus là.

C’était une grande prison avec plusieurs pavillons. Il y avait par exemple le pavillon des personnes qui avaient de l’argent. S’ils avaient besoin de femmes, le prisonnier « chef » du pavillon négociait avec les policiers pour faire sortir des filles et donner aux garçons qui avaient des moyens.

Quand je suis sortie, j’étais déformée. Tout mon corps était gonflé.

Encore aujourd’hui, dès que je vois des policiers, je ressens des frissons dans tout le corps.

Plus de 3000 dollars pour sortir de prison

À partir du moment où ils m’ont retrouvée, mon papa et ma maman ont pu venir pour me donner de l’argent. Là-bas, il y avait des prisonniers qui vendaient des choses. Moyennant argent, tu pouvais manger. Sauf qu’il fallait donner une partie aux policiers. Sinon, ils te prenaient tout.

Mes parents ne pouvaient pas venir trop souvent. Comme j’étais là-bas pour des problèmes politiques, ils risquaient d’avoir eux-mêmes des problèmes.

C’est pour ça aussi que ma famille ne pouvait pas prendre un avocat. Le pouvoir en place risquait de le faire arrêter.

Puis j’ai rencontré une femme qui était en prison depuis plus de douze ans. C’était la chef de notre pavillon. Elle avait vécu dans le même quartier que ma famille. Elle m’a reconnue. Moi non, parce qu’elle avait plein de traces sur le visage. Elle m’a raconté que son mari l’avait trompée avec une fille et que, du coup elle l’avait frappée avec des lames de rasoirs. C’est elle qui m’a consolée, qui m’a dit qu’il fallait chercher le moyen de sortir.

Je lui ai expliqué que j’avais adhéré au parti pour la jeunesse, pour étudier, parce que j’avais honte de ne pas avoir fait beaucoup d’études. Elle m’a dit : « Fallait pas faire ça. Ici, on ne respecte pas les lois. » Puis pendant une pause : « Solange, moi je peux te faire sortir d’ici si ta famille a de l’argent. »

Personne ne peut sortir sans les bonnes personnes. C’est comme un maillage. C’est la chef du pavillon qui négocie, qui dit aux bonnes personnes : « Elle, sa famille, elle a de l’argent ».

Les gens qui font ça ont peur eux aussi. Parce que si on se rend compte que t’es sorti, ça peut retomber sur eux. On a essayé une première fois. Ils ont demandé 3550 dollars. Le jour où je devais m’évader, la femme du chef est morte, il était absent. On a dû tout recommencer à zéro. On avait donné 1450 euros qui sont partis comme ça ! Les membres de ma famille se sont cotisés pour moi.

Me faire sortir, ça a pris du temps. C’est la chef de mon pavillon qui a parlé à ma famille, qui leur a dit quoi faire. C’est elle qui a négocié avec le chef de la prison. Il a sous son autorité des gens qui font des évasions, mais en cachette. Si une personne de la chaîne n’est pas là, tu ne peux pas le faire. Il faut être pistonné. Et il faut donner de l’argent à chaque étape, à chaque personne de la chaîne.

Tout ça, je ne le savais pas. Ils disaient qu’il ne fallait pas me le dire. Je risquais de craquer et d’en parler.

Moi, je voulais mourir. C’était immonde. Je vivais dans un autre monde. Je ne vivais plus.

Un jour, les chefs m’ont pris pour m’envoyer dans le dispensaire. J’ai dormi là-bas. Vers 4-5 heures du matin, on est venu me chercher, discrètement. Un signe de la tête pour me dire de bouger. Il a fallu passer trois portes pour sortir. Il faut que le maillage soit bien, que tous les bons soient là. Ils m’ont dit de rejoindre une voiture rouge garée devant l’université. Il y avait un chauffeur, mon père et mon oncle. Ils disaient qu’il ne fallait pas mêler les femmes. Elles risquaient de crier en me voyant, de se faire remarquer.

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Crédit photo Flickr, Jeunes et vieux fyant Kibati, CC Julien Hameis

Cachée en attendant de fuir

C’était de la joie, mais de la tristesse aussi de laisser les gens, les amis. Je suis rentrée dans la voiture. Ils ont démarré. On n’est pas allé dans mon quartier, Masina, mais dans le quartier de Mombélé. Il fallait me cacher.

Les policiers avaient dit à mon père de ne pas me laisser dans le pays. Que j’allais à nouveau être arrêtée. A la prison, comme on fait l’appel, ils ont fait comme si j’étais morte.

Ici, à Paris, on peut vivre au même endroit et ne pas se connaître. Là-bas, tout le monde se connaît. Et des personnes risquaient de dire qu’elles m’avaient vue. On est comme ça !

Je suis restée neuf jours dans ce quartier. Je prenais des médicaments, parce que j’étais vraiment gonflée. Papa avait une amie qui venait souvent chez nous pour vendre des choses, mais qui habitait Congo Brazzaville. Il avait déjà négocié avec elle et elle m’a dit que j’allais venir avec elle. Mais elle a aussi dit à mon père qu’il fallait aller plus loin, qu’il fallait que je sorte du pays. « Même ici ils vont l’arrêter ! » Parce que les deux présidents sont pareils, ils ne respectent pas la constitution. « Moi je la garde jusqu’à ce que tu trouves une solution. » Je suis restée là-bas deux mois. Toujours dans la maison. Sans jamais sortir.

Pendant ce temps-là, ils cherchaient un passeport. Il fallait une personne qui me ressemble, pour lui emprunter. Un passeport avec des visas, qui avait déjà voyagé.

Ils ont finalement trouvé et m’ont annoncé que je partais en France. J’étais ravie, parce que c’est un pays de lois, qui respecte la dignité des femmes, qui respecte la Constitution. Je le savais parce que dans les réunions auxquelles je participais, on parlait des autres pays.

Arrivée seule, démunie, SDF, à Paris

C’est la Mama qui m’a amenée à l’aéroport. Je suis arrivée en France le 11 avril 2014. A Charles de Gaule, un homme a récupéré le passeport et m’a dit de faire comme si on ne se connaissait pas. Il est parti. J’étais toute seule. Je ne savais même pas comment ça marchait le métro.

C’est un homme qui m’a aidée à mettre le ticket.  J’ai commencé à parler avec lui et il m’a dit qu’il fallait que je parte demander l’asile.

Il m’a donné le numéro du 115. On a appelé. Ça dure, ça dure, ça dure !!! Ça n’a pas répondu.

Alors il m’a déposée devant un hôpital. J’ai dormi là-bas. Je me suis assise comme des visiteurs. Ça parlait très vite, je ne comprenais pas. L’homme m’a donné son numéro. Le lendemain, j’ai emprunté un téléphone pour l’appeler. Il est venu. Il m’a donné cinq euros et m’a acheté un kebab (je ne connaissais pas !). Il a à nouveau appelé le 115 pour moi. Cette fois, ça a décroché. Il m’a montré l’entrée. Ça a été pour une seule nuit. Je ne pouvais pas rappeler le 115. Je n’avais pas de téléphone. Je ne savais pas qu’il y avait des fixes.

Après, j’ai commencé à dormir dans des gares, et encore dans des hôpitaux. Jusqu’à ce que le Papa m’emmène à Château Rouge pour les demandes d’asile.

Quand je suis arrivée, j’ai vu une très longue queue. Le lendemain, j’étais là à 4 h. A 5 h, il y avait déjà beaucoup de monde. A 9 h, ils ont ouvert. J’ai pu rencontrer une personne qui m’a fait remplir des papiers et on m’a donné un autre rendez-vous quinze jours après.

Pour manger, si je n’avais rien, j’appelais le Papa et il venait me donner des choses. Je ne sais pas trop pourquoi je ne le vois plus aujourd’hui. Après 15 jours, ils m’ont encore donné des papiers à remplir. Je venais tout le temps pour leur dire qu’il fallait qu’ils me trouvent une solution !

Un jour, j’ai trouvé dans la queue une femme qui parlait la même langue que moi. Je lui ai expliqué que je dormais dehors, que j’étais malade. Le froid, ça me fait des douleurs dans les jambes.

Finalement, après deux ou trois mois, France Terre d’Asile m’a donné un hôtel.

En attendant, ils m’avaient déjà donné un manteau et une écharpe.

Et maintenant apprendre un métier pour vivre

« Tu nous as mis malheureux. On t’avait dit de ne pas faire ça. » C’est ce que m’a dit ma mère quand j’ai pu l’appeler au pays.

Quand j’ai obtenu le statut de réfugié, j’ai à nouveau été dehors. L’hôtel, c’était pour les demandeurs d’asile.

Hier encore, j’ai dormi dans un hôpital. Je n’y arrive pas. Il fait trop froid. Ça commence à me faire réfléchir à des choses que je commençais à oublier.

Mon amie (celle de la queue) veut m’accueillir chez elle, mais son mari ne veut pas. Quand il n’est pas là, je mange chez elle vite vite vite. Aussi parfois, quand il dort, elle me fait rentrer dans la chambre des enfants. Il faut que je parte avant que son mari se réveille.

C’est la mission locale qui m’a fait découvrir l’E2C. J’y suis depuis le 23 mai 2016. Les stages sont fantastiques. Mais ils m’ont dit qu’il fallait que j’améliore mon français. Que je le lise mieux.

Mon tout premier stage, c’était à Franprix. Trois semaines. Ils voulaient m’embaucher, mais je n’ai pas voulu.

Je ne peux pas faire une chose que je ne veux pas.

Moi, j’aimerais travailler près des personnes âgées. Ou bien des enfants. J’ai vécu ça dans mon pays : j’ai passé trois ans avec ma grand-mère avant qu’elle meure, à partir de 14 ans. Dans mon pays, il n’y a pas d’aide aux personnes âgées, donc c’est moi qui m’en occupais, je l’habillais, lui faisais à manger. En France, je me suis dit que je pourrais être formée dans ce domaine.

 

Solange, 23 ans, stagiaire en École de la 2e chance, Paris

Crédit Photo MONUSCO, Une femme congolaise défend et promeut les droits des femmes, CC by Abel Kavanagh

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