Romain L. G. 19/07/2016

J’ai passé une année avec des élèves migrants

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Romain parle de ces enfants qui ont la possibilité d'avoir une vie meilleure ici en France. Ces enfants qui ont quittés leur pays, car vivre là-bas n'était plus possible. Ces enfants qui ne demandent qu'à s'intégrer et à vivre avec nous.

Ecrire pour raconter, écrire pour être un porte-voix, écrire pour crier qu’ils existent ou écrire à ceux qui les congédient ? Je crois que c’est la beauté des sourires qui m’a finalement poussé à prendre la plume.

Ils et elles s’appellent Khaled, Fatima, Seikou, Aya, Zinedine, Ghita, Wail, Zakaria, Saqlain, Benjamin ou Nikola. Ils viennent du Maroc, du Mali, de Syrie, du Pakistan, de Centrafrique, d’Algérie et de Pologne. Ont entre 11 et 16 ans. Ce sont des enfants scolarisés en France dans une classe Français Langue Etrangère (FLE), c’est-à-dire une classe d’accueil qui vise par la suite à les intégrer dans une scolarité  dite « classique ». Au gré de différents projets, j’ai passé une année avec eux. Ces enfants ont vécu l’exil, forcé pour la plupart d’entre eux. Des gamins déracinés qui quittent leurs familles et leurs amis parce qu’il y a la guerre, parce qu’il y a la pauvreté, parce qu’il y a des situations familiales qui l’exigent, parce qu’il y a un désir de vivre une vie qu’on rêve meilleure.

Ce n’est pas un voyage par plaisir en quête de soi, de découvertes et d’aventures, c’est une fuite qui ne se fait pas avec délectation, c’est s’évader d’une pénombre sans savoir ce qui nous attend au bout du tunnel.

Tendre la main aujourd’hui et demain

Je pense à ce jeune syrien qui ne boira plus le thé à la menthe avec ses amis sur une terrasse ensoleillée de Damas, à cette jeune marocaine qui laisse derrière elle son père et le cinéma qu’elle aimait tant, à ce jeune Malien épris de musique africaine qui dansait dans les rues de Bamako ou encore à ces enfants algériens qui couraient après un ballon sur un terrain d’Alger.
Des histoires de vie qu’il faudra reconstruire ailleurs, dans un autre pays et avec d’autres enfants.
Echafauder d’autres rêves, loin de leurs ciels qui se sont obscurcis et de leurs terres qui se sont fragmentées. Nourrir d’autres espoirs malgré les affres de la vie, celles d’être victimes d’un pays qui s’effondre pour des raisons qui échappent à leurs désirs de jouer, d’apprendre, de rire et de faire quelques bêtises.

Ces rencontres ont une résonance particulière quand on a grandi dans un pays en paix même si je sais le prix qu’ont dû payer ceux et celles qui sont tombé-e-s pour nous. Je m’efforce de toujours le garder en mémoire, non pas pour ressasser un passé et une histoire dont nous ne sommes pas dépositaires mais plutôt pour tendre la main aujourd’hui et demain. Se souvenir que l’égoïsme et le repli se nourrissent d’amnésie et d’oublis conscients ou inconscients.

Pas de place pour eux ici ?

Un texte en forme d’hommage pour ces enfants du monde avec qui j’ai parlé d’égalité entre les filles et les garçons, de poésie, de spécialités culinaires, de leurs vies et de leurs envies, d’objets qui les ont suivi jusqu’à la France…
Des gamins qui ne se comprennent pas forcément au début mais qui parlent tous le langage universel du coeur et du sourire. Tous et toutes, magnifiques dans leur diversité et leur singularité.
Qu’ont à répondre ceux qui aboient qu’il n’y a pas de place ici ? Qu’ont-ils à répondre à cet enfant qui rêve de devenir ingénieur ? Qu’ont-ils à répondre à ces enfants qui récitent une poésie la voix hésitante mais le regard haut ? Qu’ont-ils à répondre à ces chants d’amour ? Qu’ont-ils à répondre à celle qui veut devenir infirmière, à celui qui veut devenir professeur ? Pourront-ils regarder dans les yeux cet enfant qui sourit ? Pourront-ils maintenir leurs funestes paroles quand ils verront des bras se serrer, des accolades pour se dire qu’ils sont frères et sœurs malgré les peines et les tragédies ?

Ces regards sont beaux parce qu’ils racontent l’humain dans tout ce qu’il a de plus précieux mais nous rappellent  aussi tous ces morts en mer, ces vies brisées, ces êtres humains prêts à tout pour s’enfuir coûte que coûte, cette souffrance que même la plus grande allégresse ne peut tarir.

Ces éclats de rire à la sortie du collège sont autant de fleurs envoyées à celles et ceux qui auraient dû les accompagner à l’école, au club de sport, à la bibliothèque, à la terrasse de cafés, à la rencontre de jeunes français qui ont l’amour et le partage en étendard.

Tout simplement… merci

En quittant ces enfants, me reviennent en mémoire les dernières lignes, prodigieuses, du roman La Peste d’Albert Camus :

« Le docteur Rieux décida alors de rédiger le récit qui s’achève ici, pour ne pas être de ceux qui se taisent, pour témoigner en faveur de ces pestiférés, pour laisser du moins un souvenir de l’injustice et de la violence qui leur avaient été faites, et pour dire simplement ce qu’on apprend au milieu des fléaux, qu’il y a dans les hommes plus de choses à admirer que de choses à mépriser. »

Quelques années plus tard, j’aime à croire que ces mots exhalent encore nos désirs enchanteurs d’engagement et  d’ouverture malgré le spleen qui m’escorte quand mon innocence est mise à mal par un flot continu d’abjection et de noirceur.

Continuer à vivre l’ivresse de la vie. Telle est la leçon de ces insatiables combattants qui n’ont fait qu’adoucir un peu plus le monde et témoigner d’une histoire que nous devons entendre. Une histoire d’humanité. Je voulais leur dire merci tout simplement parce que moi aussi, comme l’a dit Amin Maalouf, « je suis d’ici et d’ailleurs ». Comme toi, lui, elle, nous, vous, eux et elles.

 

Romain LG, 25 ans, étudiant en sciences de l’éducation et en service civique, Toulouse 

Crédit photo © Narrative

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4 réactions

  1. Bonjour Romain, votre texte m’a beaucoup émue . je travaille moi aussi en upe2a avec des ENSA (non scolarisés antérieurement ds leurs pays d’origine ). peut-^tre vous verra-t-on un jour comme collègue ? souvent les stagiaires ou les bénévoles Afev ont “la révélation” de leur futur métier après qqs heures avec mes élèves !
    en tout cas je vous souhaite une bonne continuation en sciences de l’éducation .
    Martine

  2. ” Nous avons tout à gagner…” pardon, dans l’émotion, j’en oublie un mot…

  3. Merci beaucoup Estelle ! C’est d’autant plus un honneur de votre part ! Quel métier magnifique vous faites ! Toute mon admiration.

    Romain

  4. Très beau texte, je suis enseignante dans une UPE2A ( classe d’accueil) et je trouve que vous parlez très bien de ces enfants et de leurs histoires. Nous avons tout gagner à leur contact. J’apprends chaque jour d’eux autant et même parfois plus que ce que je peux leur transmettre.
    Merci à vous pour ce texte.

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