Camille A. 07/04/2016

Non, les gamers ne deviennent pas des fous

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Hey ! Vous saviez qu'il y a 34 millions de gamers en France ? A différentes échelles, jouer aux jeux vidéos c'est leur passion. Camille nous raconte sa honte puis finalement sa décision d'être lui-même.

Imagine-toi te lever un matin, t’étirer un bon coup, prendre ton petit dèj’, partir te doucher, te regarder dans la glace et… « Merde… J’ai pas pris un peu de bide ? Va falloir faire un peu d’exercice si je ne veux pas finir comme une grosse larve. Tiens, et si je commençais maintenant ? »

Continue à t’exercer, à étudier, à travailler

Quelques pompes, quelques abdos, t’as bien sué, mais tu te sens fier de toi. Tu pars au boulot et dans le métro, tu lis un bouquin sur la programmation Flash. Ce n’est pas passionnant, mais t’as l’impression d’apprendre des choses et ça va peut-être te permettre de faire une petite animation sympa pour l’anniversaire de ta mère dans un mois. Une fois arrivé, tu t’installes derrière ton bureau et fais… je ne sais pas… de la compta disons. Ouais, j’aurais pu te choisir un métier plus palpitant, mais ce n’est qu’un exemple de toute façon. Toute la journée, tu te penches sur de gros dossiers difficiles à traiter, mais t’es un bosseur, tu ne laisses pas tomber, et à la fin de la journée, tu as tout fini. Ton patron n’y crois pas, il pensait qu’il faudrait une semaine pour ça. Il te félicite et tu repars tout fier chez toi. Tu rentres, te prépares un bon repas, t’installes devant ton ordi, puis vas te coucher quelques heures plus tard. C’était une bonne journée.

La première chose que tu sens en te réveillant le lendemain, ce sont les courbatures. Apparemment ; faire de l’exercice ne t’a pas fait tant de bien que ça. Mais bon… Au moins, t’as un peu maigri, non ? Pas d’un gramme, te dit la balance, et ton reflet dans la glace te le confirme. Sur le chemin du boulot, tu ressors ton livre et t’attaques au chapitre suivant, mais pas moyen de comprendre ce dont il parle. C’est comme si tout ce que tu avais lu la veille avait disparu de ta mémoire. Tu relis le chapitre précédent, mais peine perdue, tout s’embrouille dans ta tête et tu as l’impression en descendant du métro d’être plus bête qu’en y étant entré. Arrivé au boulot, mauvaise nouvelle, baisse des effectifs, finalement ton CDD ne va pas être renouvelé à la fin du mois comme tu le pensais, désolé. C’est sûr, t’as fait des efforts et tu travaillais bien, mais on n’y peut rien, c’est la crise, tu comprends ? Tu rentres chez toi, en te sentant gros, bête et déprimé. Finalement, tous tes efforts n’ont servi rien ? Si, bien sûr. Continue à t’exercer et tu vas maigrir, continue à étudier et tu finiras par comprendre Flash, continue à travailler avec ardeur et quelqu’un finira bien par s’intéresser à tes compétences. Ça demande juste du temps, des efforts continus et un peu de chance.

Mais si je te disais qu’il existe un endroit où tous tes efforts sont instantanément récompensés ? Un endroit où toutes tes actions ont de l’influence sur l’univers qui t’entoure et non l’inverse, un endroit où tu n’as pas à t’investir en continu pour obtenir les résultats souhaités. Ça ne te paraîtrait pas tentant ? Si, bien sûr, ce serait le paradis. Bienvenue dans le monde merveilleux des jeux-vidéos, un endroit fort agréable.

Le monde virtuel, tellement mieux que le réel

Comme l’essentiel de ma génération, j’ai toujours connu les jeux-vidéos, ils font partie de mon monde depuis que mon père me portait sur ses genoux en jouant à Civilization II quand j’avais quatre ans. Jeux éducatifs, jeux d’aventure, jeux de stratégie… Ils sont restés pendant toute mon enfance ma principale source de divertissement. Bien sûr, mes parents ne me laissaient pas devant l’écran autant que je le voulais, après tout, les enfants ne savent pas se modérer et j’aurais sans doute passé l’essentiel de mes journées devant mon ordinateur s’ils ne m’en avaient pas empêché.

La preuve en est que lorsque je suis devenu trop grand pour qu’ils puissent limiter mon temps de jeu, c’est exactement ce que j’ai fait. Pendant la majorité de mon adolescence, mon temps de jeu hebdomadaire moyen s’élevait facilement au delà de soixante heures, et il aurait été bien au-delà si le collège et le lycée ne m’avaient pas forcé à me décrocher temporairement de ma machine.

Pourquoi une telle obsession ? Relis les trois premiers paragraphes. Comment résister à la promesse d’un monde dans lequel toutes mes actions sont instantanément récompensées de façon claire et quantifiable ? Quand je tue un monstre dans un jeu de rôle, je peux clairement voir ma barre d’expérience grimper. Je sais que si j’en tue encore X quantité, mon personnage gagnera un bonus permanent à ses attributs. Un bonus qui ne disparaîtra pas, même si j’arrête de jouer pendant des mois, ce qui donne à ce progrès d’autant plus de sens en apparence. Je n’ai jamais pensé que le monde était pourri. J’ai toujours largement apprécié ce qui se trouvait derrière mes fenêtres et, même si je passais l’essentiel de mon temps enfermé, je ne trouvais pas désagréable de sortir, me promener, voire courir un peu pour me détendre. Oui, le monde réel est bien agréable, mais le monde virtuel est juste tellement mieux.

Souvenez-vous World of Warcraft…

Alors comment m’en suis-je sorti, moi, pauvre junkie ? Comment ai-je échappé à l’emprise de ces terribles jeux ? Eh bien, c’est là la chose intéressante : je n’y ai jamais échappé, et c’est très bien comme ça. Bien sûr, je ne joue plus autant qu’avant, mais je n’ai jamais abandonné ce loisir, et je ne considère pas m’en porter plus mal pour autant. J’ai des amis, une bonne variété d’activités, mon autonomie financière et ce que je considère comme étant une vie relativement équilibrée, ce qui n’était clairement pas le cas quand j’avais seize ans. Mais qu’ai-je fait pour en arriver là et ne plus être complètement accro ? Pas grand chose à vrai dire. Une partie du problème venait probablement du fait que j’étais adolescent à l’époque, ce qui, à la surprise d’absolument personne, n’est pas forcément le moment le plus stable dans la vie d’un individu. Cependant, le moment le plus important a sans doute été celui où j’ai cessé de me mépriser pour ce que j’étais.

Souvenez-vous des années 2007-2010, le grand jeu qui faisait alors parler de lui s’appelait World of Warcraft, des millions de joueurs de par le monde, tous extrêmement fidèles et passionnés. Et pratiquement tous les mois, un nouveau reportage sur l’addiction provoquée par ce jeu, sur les dérives d’un ado rendu fou après y avoir passé des journées entières et sur le danger qu’il représentait pour la jeunesse. À l’époque, j’étais un de ces joueurs, et je sentais en permanence le regard désapprobateur que la société jetait sur moi. J’avais honte, alors je me cachais… derrière mon écran. Ça les enfants, c’est ce qu’on appelle un cercle vicieux. Tu joues, donc tu t’identifies en tant qu’accro au jeu, donc tu te sens exclu de la société, donc tu joues encore plus.

… les joueurs sont passés à autre chose

Et puis, au fil du temps, j’en suis venu à me dire que peu importait mes loisirs, peu importait ce qu’on pouvait bien penser de moi, j’avais le droit d’être ce que j’étais. Donc j’ai arrêté de me cacher, je me suis mêlé aux autres et je leur ai présenté ma passion. Et je me suis senti bien bête quand je me suis rendu compte que la majorité des jeunes de ma génération considéraient le jeu comme quelque chose d’acquis et naturel, certainement pas comme quelque chose de honteux. Que beaucoup de personnes de vingt ans aujourd’hui jouent encore à Pokemon, et que personne ne se moque d’eux. Aujourd’hui, World of Warcraft ne compte plus qu’une fraction des joueurs qu’il avait à l’époque. Contrairement à ce que nous annonçaient les médias, la plupart des joueurs ne sont pas devenus fous, ils sont juste passés à autre chose.

Je ne dis pas que l’addiction ne peut pas être un problème grave pour certains. Après tout, tout cela n’était que le récit de mon expérience personnelle. Mais je pense qu’il est important de rappeler que bien souvent, nous sommes à l’origine de nos propres problèmes, qu’il s’agisse des jeux ou d’autre chose. Je sais que ça fait extrêmement cliché, mais au final, la morale de ce récit est sans doute : be yourself. Accepte sans honte ce que tu es, et ta vie sera incroyablement plus facile. Je ne suis pas le premier à le dire et tu l’as sans doute entendu cent fois, mais si tout le monde le répète, c’est sans doute qu’il y a une raison à ça, non ? Aujourd’hui, je travaille essentiellement auprès d’enfants. Et si l’un d’eux me parle d’un jeu auquel il joue, je veux qu’il soit heureux et fier de me raconter la façon dont il s’amuse avec, parce que stigmatiser un groupe pour une quelconque raison n’a jamais aidé qui que ce soit.

 

Camille, 23 ans, étudiant et volontaire en service civique, Ile-de-France

Crédit photo Gratisography

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