Vincent-François R. 08/04/2016

J’ai fait des études de philo par goût intellectuel. C’est con, avouez…

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Vincent-François a fait des études de philo. Pas pour trouver un boulot, juste par intérêt. Du coup maintenant il a un petit boulot, mange des lasagnes et squatte Pôle Emploi. Parce qu'il est trop diplômé et trop "pensant".

Mes années de fac de philosophie où je me suis pris dans les mornifles du Kant sont, curieusement, les années où j’ai le plus appris dans ma chair la justesse des enseignements stoïciens. C’est que j’ai obtenu un diplôme de l’inutile. Ne voulant pas être prof, j’ai un papier que les gens estiment, mais dont ils ne prennent pas les vertus au sérieux. Un philosophe, c’est bien, mais pas chez soi, plutôt chez les autres. Après, je n’ai pas étudié la philosophie en vue de travailler, mais par goût intellectuel. C’est con, avouez.

La faim, une angoisse avant tout

Le problème comme dit Épicure, c’est qu’on ne philosophe pas le ventre vide. Et à Paris, c’est compliqué de cueillir des baies, de chasser ou de pêcher. En plus, à la bouffe se greffent d’autres désirs non nécessaires. Il faut bien que j’aille boire une bière et lire des bouquins. L’ennui est que souvent, je préfère les besoins non nécessaires à la nourriture ; le livre « l’Apocalypse du désir » de Boutang (37 euros prix conseillé) m’a forcé à manger des pâtes pendant une semaine.

Faute d’aides sociales, j’ai tenté de faire rentrer de l’argent, ou seulement de gagner de quoi bouffer : j’ai été professeur particulier, baby-sitter, cobaye humain, agent de sécurité, vendeur de chaussures, et j’en passe. À chaque fois, j’ai gagné six francs six sous, mais je pouvais me payer mes clopes, et ça me rassurait pour le lendemain. Voyez-vous, dans nos sociétés de satiété, on oublie trop souvent que la faim n’est pas vraiment un problème physique, c’est d’abord une angoisse. On peut tenir une semaine sans manger, voire plus encore. Mais l’ignorance de savoir si demain on aura dans l’assiette de quoi manger, c’est une vrille qui vous use. Et comme toute angoisse, on essaye de la mettre en arrière-plan par quelques addictions, l’alcool et la littérature étant mes préférées.

J’ai remplacé la dèche par la dette

Après, j’ai été chanceux, j’avais des parents, un frère et des amis. Ça vous fournit des occasions de mieux manger. J’ai eu un certain talent de pique-assiette, j’amenais un paquet de chips et dévorais un bœuf. J’ai su souvent forcer les autres à m’offrir à boire.

Il ne faut pas croire à m’entendre ainsi que j’étais un traine-guêtre sans scrupules et sans argent. J’ai toujours été économe. Mais je n’avais rien à économiser, ça complexifie un peu la chose. J’ai bien accepté de vivre pendant deux ans chez une personne âgée pour tirer vers le bas mon loyer. Je lui apportais un peu de mouvement, et il me fournissait un toit. Et puis je me plains, mais la dernière année de fac, j’ai fait un crédit étudiant : j’ai remplacé la dèche par la dette. Je ne suis pas sûr d’avoir gagné au change, l’une est plus courte que l’autre, mais tellement moins confortable.

Je suis guichetier, 50% assistant social, 50% commercial

Maintenant, les emmerdes se profilent sur le temps long : mon problème n’est pas de savoir ce qu’on mange, mais comment payer demain ce que j’ai déjà mangé. Il a fallu trouver un boulot, et ne voulant pas être prof et ayant un master de philo, j’avais l’air vraiment con. J’étais trop « diplômé » et trop « pensant » pour les postes auxquels je postulais. Ça ne m’a pas empêché d’être pris en CDI chez un chausseur français. Au bout de deux mois, je jetais l’éponge. Je ne supportais pas de travailler le dimanche et, ayant foncé à la hussarde, j’avais accepté l’emploi sans avoir de logement. J’enchainais donc les squats, les locations courtes et j’ai pris un peu trop mes aises dans un local associatif.

Après, je découvrais Pôle emploi ou, plutôt, j’ai compris que c’était une merveilleuse administration à la française : un gros machin incompréhensible et inefficace. En me démerdant comme un grand, j’ai décroché une mission d’intérim dans une banque : je suis guichetier, c’est-à-dire le mec payé à être 50% assistant social et 50% commercial, mais surtout à se faire engueuler à la place des autres. Mais bon comme le répète les clients : « Ce n’est pas contre vous, mais… » et le soir je peux bouffer des lasagnes congelées en matant NETFLIX et en trouvant que notre société est exceptionnelle.

 

Vincent-François, 24 ans, Marseille

Crédit photo Gratisography

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1 réaction

  1. Merci. Je suis en L1 en fac de philo et moi non plus, je ne veux pas être prof. Du coup, je me réoriente l’année prochaine !!

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