Léa G. 26/04/2016

Bac + 5 : j’ai un métier mais pas d’emploi qui me fasse vivre !

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Difficile de décrocher un boulot après ses études. Elle a eu beau bosser pendant des années, au moment de décrocher un contrat stable, Léa a galéré.

Tout au long de mes études et dès ma décision d’intégrer une filière littéraire, je m’étais mis en tête de démontrer toute « l’utilité » de ma formation. Résultat : je travaille depuis mes 18 ans, ce qui revient à bientôt sept ans de bons et loyaux services auprès de différents employeurs.

J’ai choisi la peste, on me propose le choléra

Aujourd’hui, j’ai repris mes études en littérature comparée et j’ai abandonné l’idée de prouver quoi que ce soit à qui que ce soit. Quand on me demande ce que je fais, je réponds : « Repose-moi la question plus tard. »

Qu’est-ce que je fais dans ma vie ? J’étudie d’abord et je fais plein d’autres choses : je suis membre d’un orchestre associatif, je corrige mémoires et livres d’amis, j’écris bénévolement pour une revue de littérature, je pige pour un ancien employeur…

Je ne suis pas en CDI, je n’ai pas d’emploi du temps fixe, je ne rentre même pas dans mes frais. Je vis sur le dos de mon compagnon, à l’ancienne… J’aurais pu prendre un petit boulot mal payé mais je m’y refuse. J’ai l’impression d’avoir choisi la peste et qu’on me propose le choléra. Après tout le travail fourni et toutes ces années d’études, il me semble normal d’avoir un minimum d’exigences.

J’ai fait tout ce qu’il fallait…

Je suis sociable et bien entourée. Je mesure ma chance. Pendant quatre ans, j’ai pu travailler derrière un bureau, au service photothèque d’un hebdomadaire, loin des frites ou des gardes-d’enfants. J’ai évolué dans le monde de la presse, côtoyé tous les services ; j’ai donc eu l’avantage de travailler dans un domaine lié un tant soit peu à mes études, même si, à ce moment-là, j’espérais plutôt faire de la recherche.

Et puis je suis arrivée à la fin de mon master 1 en Lettres, arts et pensées contemporaines à Paris-Diderot. On m’a fait comprendre qu’il ne fallait rien espérer du côté de la recherche, que déjà les normaliens-agrégés-louis-le-grandesques se bagarraient à douze pour une place.

Et puis il y a eu ce séminaire de « découverte » des métiers possibles à la fin de notre master : écrire bénévolement pour des sites littéraires, créer sa maison d’édition après dix ans de galère, de larmes et de sang ou obtenir (par l’opération du Saint-Esprit) un contrat doctoral, etc. Je vous épargne la vague de panique qui a submergé l’amphi semaine après semaine devant l’abondance des possibilités et l’air penaud du professeur qui, à la question « vous ne pouvez pas inviter des gens qui ne font pas de bénévolat ou de doctorat ? », a répondu : « Mais qui voulez-vous que j’invite ? Il n’y a rien d’autre. »

Mais là encore, j’ai eu ma bonne étoile avec moi. Au même moment, un master 2 en alternance ouvrait à Paris-Diderot. L’objectif était de prouver que les profils littéraires sont « employables » et surtout qu’ils ont à apporter des compétences et des savoirs. J’ai foncé et eu la chance d’être prise comme rédactrice apprentie pour le magazine interne d’une grande institution.

Pendant mon master 2, plus que jamais, les activités professionnelles et estudiantines se sont combinées à merveille.

La fin des études, la claque

Il y a des choses comme ça, on ne les comprend qu’une fois qu’on y est confronté, alors même que tout le monde les rabâche.

Comme je n’avais pas galéré plus que ça jusqu’ici, je pensais naïvement que « quand on veut, on peut ». Je n’ai pas été embauchée à la fin de mon apprentissage, mais ils m’ont gardée comme pigiste.

J’ai travaillé pendant près d’un an pour une association : j’accompagnais des personnes sourdes à l’écrit via des retranscriptions, de l’aide au français et à la communication. Une fonction totalement dévalorisée pour laquelle on me demandait souvent si c’était mon vrai métier ou si j’étais payée.

C’était douloureux mais surtout je ne m’y retrouvais pas. Je m’étais formée à un métier par l’expérience, j’avais fait de longues études, je n’avais pas fait tout ça pour « rien ».

J’ai tout lâché et, comme je le disais, j’ai repris mes études. Je n’ai pas eu énormément d’opportunités de piges pour d’autres magazines, elles sont toutes tombées à l’eau. J’apprends à glisser quelques mots sur mes recherches d’emploi aux gens que je côtoie ; la plupart des personnes sont bienveillantes et promettent de penser à moi. On verra bien.

Le constat que je tire de mon expérience, c’est que tout se passe bien quand vous êtes en stage, en alternance ou lié par des contrats « flexibles » et que vous êtes étudiant : on vous donne du travail à faire comme à des professionnels, vous êtes formé et intégré. Une fois sur le merveilleux marché du travail, vous ne valez plus rien. Les critères de sélection deviennent ridiculement insurmontables.

J’en suis alors arrivée à cette situation paradoxale, infantile sûrement, de préférer l’inconfort d’une vie coupée en deux, entre études et emploi précaire, d’une vie exteriosuffisante (merci la famille, mon compagnon et les amis pour les dépannages), à l’inhumanité et au non-sens du marché de l’emploi. Je suis tout de même plus contrainte qu’avant : les articles sont à rendre dans des délais parfois courts, je ne peux pas me permettre d’en laisser passer un seul. Alors je rentre dans mon agenda les dates de rendus d’articles et de travaux universitaires. Pendant un mois, je n’ai pas pu mettre les pieds en cours. J’ai du retard dans mon mémoire. Mais le jonglage entre les études, mes occupations bénévoles, mes quelques piges, s’il me permettait de gagner convenablement ma vie, je le maintiendrais longtemps encore. Parce qu’en face, l’horizon n’est pas plus heureux.

 

Léa G., 24 ans, scribe et étudiante, Pantin (93)

Crédit photo Charlotte Christiaën

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4 réactions

  1. C’est bien le mal français que de mettre les gens dans des cases et ne pas voir au delà des diplômes ; comme si nos formations à l’université ne nous amènent pas à acquérir des compétences. Et puis c’est tellement plus simple de faire travailler des sur-diplômé(e)s gratuitement et à bas prix et après leur faire comprendre que sous prétexte qu’ils n’ont pas choisis une supposée bonne filière. Je suis docteur eu sciences politiques et spécialiste d’un pays émergeant. Combien de fois n’ai je pas fait de consulting pour des émissions de radio et de télé. Non seulement, cela demande énormément de travail en amont mais les médias français refusent de payer et parfois demandent à ce que je me déplace à mes frais. J’ai un métier alimentaire qui me permet de “vivre” (si on peut le dire) et mener mes activités intellectuelles à côté; Aujourd’hui j’ai créé ma propre activité à l’étranger et dès que je peux en vivre, je partirai sans regret, car au fond, si on ne veut pas de moi et mes compétences ce n’est pas grave, d’autres les apprécient à leur juste valeur……….

  2. Choisir littérature comparée c’est vraiment choisir le choléra. Le corporatisme de cette profession est juste hallucinant, le personnel en place rétrograde et vicieux et les débouchés nuls. Les autres sections se moquent doucement du CNU 10. Bref. Peu reluisant. N’espèrez rien en la matière, ce serait perdre son temps et gâcher sa jeunesse.

  3. Salut !

    Moi aussi, je suis en 3ème année de fac en lettres et j’ai peur de l’avenir. Je suis pourtant très bonne élève, mais on nous dit sans cesse,( à raison) qu’on trouvera pas de boulot après… J’en viens à me dire que si je deviens prof, ce sera déjà pas si mal, ou en tout cas, préférable à la précarité, alors que j’ai PAS DU TOUT envie d’être prof… Pourvu que quelque chose se produise qui nous aident un peu….

  4. C’est tellement vrai, mais je crois qu’un jour le vent tourne. Ça prend juste beaucoup de temps, trop, et on perd l’envie de se battre, jusqu’à ce que les choses se (re)mettent en ordre, parce qu’on un déclic en nous, une envie de réussir, des amis bienveillants, et un ancien prof avec plein de contacts ! Putain de pays, regarde ce que tu fais de ta jeunesse, ne t’étonnes pas qu’elle soit dans la rue désormais.

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