Marion C. 22/06/2016

Le jour où j’ai planté un compas dans ma peau

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Marion avait 11 ans, quand elle a commencé l'automutilation, quand elle a commencé à penser à la mort. Aujourd'hui, elle en a 20, et nous parle de ses années, dans lesquelles elle souffrait intérieurement.

Sûrement, je ne savais rien. J’avais onze ans. Et j’étais tellement jeune. J’étais tellement belle, tellement innocente. J’étais désespérée, terriblement triste. Je ne voyais aucune issue. Un jour, j’ai pris un compas et je l’ai planté dans ma peau.

Si mal, si peur, si honte

J’ai eu si mal. J’ai eu si peur. Je voulais mourir. Mais j’avais si peur. J’avais si honte. Je me sentais si incapable, si inutile et si pathétique. Aujourd’hui, j’y repense, je ferme les yeux et je me vois avec mes yeux d’adulte, et je trouve ce spectacle horrible. J’avais onze ans ! Onze ans ! Et je voulais mourir. Non, cela n’était pas une crise ! Non, cela n’était pas normal ! J’avais si peur et si honte de passer pour une petite adolescente privilégiée de merde, qui voulait juste attirer l’attention. A croire que je voulais tellement attirer l’attention que mes parents n’ont pas réagi. Je voulais surtout disparaître, ensevelie sous ma honte et sous le sang que je faisais couler de ma peau.

Je me sentais si mal. L’amour était une douleur énorme. Chaque émotion était un poignard. Chaque sentiment raisonnait très fort, beaucoup plus fort qu’avant, dans mon cœur. Je me détestais. Je pleurais. Je m’enfermais dans les toilettes du collège, je sortais ma lame et je « résolvais » mes problèmes. Je me souviens de la brûlure des cicatrices en cours. Je me souviens des larmes, de tout ce que je ne laissais pas paraître. J’avais onze ans et j’étais dépressive. C’était très grave. Et c’est un pas énorme aujourd’hui de pouvoir l’écrire, de pouvoir l’admettre. Je me suis scarifiée pendant huit années. Je me suis arrêtée pendant presque deux ans entre le collège et le lycée. Mais tout reprenait toujours. Il y avait toujours plus de sang, toujours plus de cicatrices, et toujours plus de douleurs. Je n’ai pas toujours voulu me tuer. Parfois, je voulais me punir parce que je pensais que si je souffrais, c’était de ma faute. Je voulais voir le sang couler pour me prouver que je souffrais vraiment beaucoup à l’intérieur.

L’oreille collée à la radio, rêver de la mort

Je souffrais de toute la pression qu’on me mettait, de toute ma rage d’être la meilleure, de toute la violence qui rôdait à la maison. C’était un mal-être immense. Avec le temps, je me dis que j’avais peut-être simplement besoin qu’une personne me prenne dans ses bras, de temps en temps, qu’elle embrasse mes joues et me dise que ma vie valait quelque chose et que j’étais importante. J’en avais terriblement besoin même si je le niais et même si le contact physique, les compliments et l’amour me dégoûtaient.

Je me scarifiais pour me rappeler mes souffrances. Je me scarifiais parce que je n’avais pas un rapport sain à la douleur et à la violence surtout. Encore maintenant, je n’en veux pas à mes parents. Je cachais mes cicatrices, mais ils en ont vues. J’en avais honte. Ils ne comprenaient pas. Maman disait que les jeunes qui faisaient cela voulaient juste attirer l’attention. Papa disait qu’il fallait les enfermer. Moi je pensais que je nageais dans le désespoir et la douleur.

Le soir, je m’asseyais sur le sol. Je collais mon oreille à la radio. J’écoutais attentivement la musique qui en sortait et chaque note mordait mes entrailles. Je rêvais de la mort.

Aujourd’hui, rattraper les années perdues

Au bout de huit ans, la mort n’est pas venue. Que reste-t-il de moi ? Je suis intacte. Si les pleurs viennent, si les douleurs du passé reviennent, je les laisse. Je ne m’en veux plus. Je suis belle et forte. Peut-être que je l’ai toujours été, mais que je ne pouvais pas le voir. J’aimerais faire disparaître certaines choses, parfois. Mais je ne peux pas. Alors, j’apprends à vivre avec mes souvenirs et avec mes cicatrices. Ils sont qui je suis et tant pis si mes parents ne comprendront jamais. Je ne peux pas me battre pour cela toute ma vie. Je me sens épuisée. J’essaie de retrouver la force, de rattraper les années perdues à sombrer terriblement. C’est dommage, parce que l’enfance et l’adolescence sont des étapes précieuses, pourtant elles m’ont paru si tristes.

Je veux rattraper les choses. Je veux me comprendre et vivre sainement. Et je pleure en écrivant ces mots. Je pleure en abordant ce sujet. Mais il était temps. Il était temps que je m’accorde la réflexion et le bonheur. Il était temps que je remue le passé. Il était temps que je me rende compte que non, je n’étais ni pathétique, ni à la recherche d’une attention démesurée. J’étais une enfant gravement blessée. J’étais une petite fille invisiblement meurtrie. Et cette petite fille est devenue une adolescente dépressive.

Il n’y a rien à cacher !

Bien sûr, j’ai peur de sombrer encore. J’ai peur que les monstres reviennent. Je suis terrifiée. Mais je reste confiante. Huit ans me semblent suffisants. Je ne veux plus. Je sais que je fais un pas énorme en parlant de tout cela librement. Je n’ai plus honte. Il n’y a rien à cacher. Le passé est là et je veux avancer. Je me prie de bien vouloir avancer. Je me supplie d’être bonne avec moi-même. Ma vie et mon corps m’appartiennent et je ne laisserai personne me faire du mal. Et je ne me laisserai plus me faire de mal. Je suis adulte à présent, et j’ai un regard plus apaisé, mais toujours attristé sur ce passé, sur toutes ces choses que je ne pouvais pas contrôler. Je me dis que c’est normal, que beaucoup de gens ont vécu la même chose que moi.

Et je vieillirai encore. J’aurai mal encore. Je rencontrerai encore tant de gens. Je raconterai encore mon histoire. Je ne cesserai pas d’être triste en y repensant. Je respecte cette tristesse. Elle est saine.

Je ne veux pas faire pleurer dans les chaumières ni me faire plaindre, mais je veux que mes souvenirs et mes réflexions profitent aux autres.

Je veux promettre aux autres que la douleur s’en va toujours, que la dépression sait mourir.

 

 

Marion Cécile, 20 ans, étudiante, Paris

Crédit Gratisography

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3 réactions

  1. Je m’appelle Marion et j’ai aussi 11ans mais je trouve ça triste et sombre

  2. c’est bien tu a réussi a combattre tout ça ! c’est géniale, bravo a toi de t’être battu et bon courage ! continue comme ça , tu as tout mon soutien <3

  3. Très beau témoignage…La souffrance diffuse qu’on ne comprend pas est la plus dangereuse…

    A défaut de la comprendre on peut toujours réaliser que le temps peut être un allié et être patient,tout passe.

    Bon courage à toi 🙂

    Amicalement

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