ZEP 10/01/2015

Non, mon quartier à Reims n’est pas le berceau du djihad en France

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Le 7 Janvier 2015, des terroristes attaquent Charlie Hebdo. La France accuse, choquée, le coup de cette violence. Et les jeunes ils en pensent quoi ? Série de témoignages.

 

« Reims, 7 janvier 2015, Quartier Croix-Rouge : en ce moment même, une opération de police de grande envergure est en cours pour interpeller les assassins de Charlie Hebdo. »

Quelle surprise de voir, à 23 heures, en bas de mon immeuble, des policiers armés. Dans la matinée de ce 7 janvier 2015, les journalistes de Charlie Hebdo ont été victimes d’un assassinat par deux personnes, qui visiblement, « selon des sources policières »,  sont mes voisins de quartier.

Au-delà du nombre impressionnant de policiers en arme, c’est toute une flopée de journalistes – armés, eux, de leurs micros, caméras et appareils photos – qui s’installe peu à peu en bas de chez moi, pose des questions aux policiers et aux curieux venus voir ce qu’il se passe.

Je commence à recevoir de nombreux messages de mes proches  qui me demandent ce qu’il en est exactement et qui me conseillent de rester chez moi. Ce que je fais. Car un, je n’ai pas ce côté voyeur/curieux, pas envie d’aller faire un selfie  sur place avec la police, et mon immeuble figure déjà sur de nombreux plans à la TV.  Et deux, j’ai plutôt envie de voir ce qu’on en dit dans les médias.

À la TV… les “experts”

De nombreux « experts en terrorisme », « experts policiers », « spécialistes des quartiers » garnissent les plateaux TV, les chaines et les radios d’info en continu, et sont amenés à réagir à cette tragique actualité.

Et là, le choc. Tandis que les images de l’assassinat et de l’opération policière en cours tournent en boucle, ces « journalistes » et « experts » commencent à raconter que le quartier dans lequel  j’habite à Reims est le berceau du djihad en France, que les « jeunes » qui font du sport dans les gymnases du quartier se rassemblent  en fait pour s’entrainer physiquement et préparer des attentats. Et on en rajoute une couche en rappelant que le quartier a été récemment classé « sécurité prioritaire », les incivilités, la drogue, les islamistes radicaux, on ne prend pas de gants, on y va de son commentaire sur ce quartier dans lequel on n’a jamais mis les pieds,  dont on ne sait rien mis à part les articles publiés par le torchon local.

Au nom du buzz médiatique

J’ai encore en tête les images du Petit Journal de Canal+ quand Manuel Valls, à l’époque ministre de l’Intérieur, était venu visiter le quartier au moment de le classer « sécurité prioritaire ». Devant les caméras, les habitants, commerçants et policiers interrogés avaient témoigné de la tranquillité du quartier !

Surtout, « ne pas faire d’amalgame », « rester prudent », et toutes ces phrases conjuguées au conditionnel qui permettent justement à tout ce monde médiatique de pouvoir se lâcher sur les amalgames, les stéréotypes, les préjugés et les fausses informations, mais comme c’est dit « au conditionnel », ça ne comptait pas, on ne le pensait pas vraiment, on n’était pas sûr.

Au nom du buzz médiatique, au nom de l’audimat, au nom du scoop, de l’exclusif, de l’actualité à chaud, de l’édition spéciale et du sensationnel, au nom du « il faut meubler car on n’a rien à raconter et qu’il ne se passe rien actuellement », au nom de « on fait peur aux gens pour qu’ils nous regardent et nous écoutent», mais aussi au nom de la « liberté d’expression et de presse » qui « rassemble toute la France », on s’autorise donc à raconter tout et n’importe quoi, sans se soucier des conséquences que cela peut avoir sur la vie des personnes qui se retrouvent liées à tout cela malgré elles, et sur l’image de ce quartier.

Reims, 1h du matin, quartier Croix-Rouge.

Comme ils n’ont rien à raconter, les journalistes continuent leur « travail » en interrogeant les voisins, et espèrent recueillir des témoignages confirmant qu’effectivement « ça craint ».

Pour 2 assassins, 25.000 habitants du quartier dans le même panier

Je vais vous donner un scoop : OUI, si vous fouillez dans mon quartier, vous y trouverez des hommes, des femmes, des grands, des chauves, des Arabes, des homos, des handicapés, des fraudeurs de la CAF, des riches qui fraudent les bailleurs sociaux, des ouvriers et des cadres, des mamans seules, des papas seuls, des exilés, des réfugiés, des néo nazis, des gens qui laissent leur chien chier sur le trottoir et qui ne ramassent pas, des vieux, des petits trafiquants et des petites trafiquantes, des gens investis dans les associations et maisons de quartiers, des révolutionnaires, des gens qui votent UMP, des gens un peu bizarres, des étudiants, des personnes qui roulent en Twingo ou d’autres en monospace, des gens qui lisent VRAIMENT Charlie Hebdo et d’autres la presse gratuite, des pervers(es),  des familles nombreuses, des personnes isolées, des collégiens et des lycéens, des gens qui laissent leur place assise dans le bus pour les p’tits vieux, des gens qui se garent n’importe comment, des commerçants, des gens qui préfèrent le Quick plutôt que le Macdo, des parents qui s’occupent comme ils peuvent de enfants avec les moyens qu’ils ont, des voisins qui gueulent tout le temps, des squatteurs dans les halls d’immeubles, des enfants qui jardinent en bas des tours.

Bref, dans ce quartier banal, si vous fouillez, il est possible – aussi – de trouver des « islamistes radicaux armés et prêts à tuer ». De là à faire de tous les habitants du quartier des « islamistes radicaux armés et prêts à tuer », il n’y a qu’un GRAND pas, que les journalistes font allègrement, « au conditionnel » pour ne pas faire d’amalgames et de généralités…

Oui, ce matin (8 janvier), j’ai la gueule de bois. Toute la nuit, j’ai entendu que j’étais un terroriste, j’ai lu que j’étais un barbare, j’ai vu que j’étais un jeune délinquant préparant le djihad. Pour deux assassins, ce sont 25.000 autres habitants du quartier qu’on met dans le même panier. Je me sens humilié, bafoué. Je travaille dans ce quartier depuis 2008 et y habite depuis un an. Mon travail consiste, entre autres, à travailler avec des « jeunes » dans ce quartier qui NON, ne sont pas « des hommes de 15 à 30 ans islamisés et prêts au combat, radicalisés, jeunes délinquants, etc. »

Non, les garçons et filles qui font du sport dans les gymnases ne se préparent pas au djihad.

Non, le quartier Croix-Rouge n’est pas le berceau du terrorisme en France.

Non, ici vous ne risquez pas votre vie à chaque coin de rue.

S’excuser d’un crime que les musulmans n’ont pas commis

Oui, ici vous pouvez aller et venir librement, en toute sécurité. Attention cependant, nombreuses sont les personnes qui vous reconnaissent et vous disent « bonjour ». Quels drôles de gens !

Oui, à Croix-Rouge, il y a des « problèmes ». Comme partout ailleurs, et pas plus qu’ailleurs.

Oui, ce matin, des habitants des immeubles perquisitionnés ont eu très peur et n’ont pas mis leurs enfants à l’école.

Oui, ce matin, dans un collège, des enfants se sont battus autour d’un mur d’expression, certains trollant les débats en disant que Charlie hebdo l’avait bien cherché, d’autres le pensant vraiment, et d’autres, au contraire, défendant la liberté d’expression.

Oui, aujourd’hui, j’ai reçu des messages d’amis musulmans, s’excusant de honte pour un crime qu’ils n’ont pas commis.

Oui, aujourd’hui, un jeune homme à Reims se balade une cible dessinée dans son dos, pris pour cible justement par les journalistes et les proches de Marine du fait de sa religion.

Oui, j’ai vu aujourd’hui des Musulmans pleurer, bouleversés par ce qui arrive.

Oui, j’ai vu aujourd’hui des personnes qui ont peur juste parce que leur couleur de peau est associée à « religion fondamentaliste » et « terrorisme », et que certains fachos parlent déjà de représailles.

Charlie hebdo dénonçait régulièrement cette presse qui veut faire (doit faire ?) le buzz et ses dérives. Cette presse hypocrite, qui aujourd’hui affiche son soutien à Charlie hebdo après lui avoir craché dessus, bafoue complètement son image et s’en sert à tort et à travers. Ils sont une nuée de sauterelles qui dévore tout sur son passage et repart en laissant alors un triste paysage. Qui sait si cela repoussera, et surtout qu’est ce qui repoussera ? Qu’est-ce qui restera de tout ça dans l’esprit collectif ? Encore plus de violence ?

13 novembre. Le jour d’après, la ZEP organise un atelier d’écriture avec les élèves d’une classe de première. « Je n’ai pas peur pour moi mais pour ma France », « Dans le Coran il n’y a pas marqué ce qu’ils disent les terroristes », « D’habitude c’est dans un pays lointain », […].

Au rassemblement place de l’Hôtel de Ville de Reims ce midi, plusieurs minutes de silence ont été observées. Les journalistes aussi se sont tus. Et ça fait du bien.

La Marseillaise a été chantée par quelques personnes, reprise par un groupe de nazis chantant le bras tendu. Si eux aussi pouvaient se taire…

 

P., 32 ans, salarié et habitant du quartier Croix-Rouge à Reims

Illustration Baptiste Sanchez, 19 ans, ex-KaBoom, Île-de-France

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1 réaction

  1. Merci au blog zep, et à ses rédacteurs, comme toujours extrêmement pertinents.

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