Mathieu L. 22/05/2014

Jeunes européens et vieille Europe

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En 2005 a eu lieu le référendum sur le traité établissant une constitution pour l'Europe. Le non a recueilli 54,68 % des votes. À l'époque, le sujet faisait déjà débat. Aujourd'hui, peut-on dire qu'il y a « deux jeunesses européennes » ?

Il y a presque une ambivalence originelle à naître européen aujourd’hui.
L’Europe, région du monde où le niveau de vie est le plus élevé ; continent où les Etats sont les plus protecteurs. L’Europe, première économie mondiale et zone la plus respectueuse des Droits fondamentaux à travers le monde ; territoire où l’espérance de vie demeure la plus élevée de la planète. Naître sur le continent européen aujourd’hui, c’est multiplier ses chances de connaître la prospérité, de vivre en meilleure santé et de profiter d’une liberté individuelle et collective plus importante.

Paradoxalement, cela signifie aussi accepter la croissance molle, le chômage, le déclassement. Naître sur le continent européen, c’est également se résigner à rembourser ce que des Etats irresponsables ont trop longtemps tenté de cacher sous le tapis. C’est se familiariser avec les cures d’austérité dont les effets sur le bien-être restent à prouver. Aujourd’hui, les représentants européens sont contraints de l’admettre : tout n’a pas… marché !

Des villages d’antan au village global

Globalement, le « jeune » est satisfait de l’époque dans laquelle il vit. Selon l’enquête sur La jeunesse du monde réalisée en 2011, deux jeunes sur trois considèrent la mondialisation comme une opportunité. Les Chinois (91 %), les Indiens (87 %) et les Brésiliens (81 %) tirent naturellement les chiffres vers le haut. Si cet optimisme est partagé par la jeunesse européenne, les États membres concentrent toutefois les plus grandes disparités : 74 % des Finlandais perçoivent la mondialisation comme une source d’opportunité ; à l’inverse, 51 % des jeunes Grecs considèrent cette dernière comme une menace ; de même que 47 % des Français.

Depuis l’origine, le projet européen a pour ambition d’inscrire les États membres dans le processus de mondialisation. Un tel objectif aurait dû susciter l’adhésion d’une jeunesse désireuse de libertés et souhaitant participer au processus démocratique. Manifestement, aujourd’hui, le contrat n’est pas rempli. Une partie de la jeunesse ne croit plus en la capacité de l’Union européenne à porter une vision globale. Dans les faits, cela se traduit surtout par une défiance patente envers les institutions communautaires (53 % des Européens ne leur font pas confiance). Les jeunes Européens se montrent encore plus sceptiques à l’égard de leurs gouvernements nationaux (25 % de confiance en moyenne). Enfin, ils sont majoritairement inquiets concernant l’avenir de leur pays. Seul 17 % des Français estiment que l’avenir de l’hexagone est prometteur. L’Allemagne fait un peu mieux avec 25 %. Comment l’expliquer ?

Deux jeunesses européennes

Dans un monde ouvert, l’État-nation, en tant qu’unité de puissance, se voit relégué au second plan. Dans un nombre croissant de domaines, le salut de la France passe désormais par la coopération avec ses alliés européens. Dernier exemple en date : une directive du Conseil européen visant à assurer une meilleure protection sociale aux travailleurs saisonniers. Paradoxalement, le transfert de confiance qui aurait dû s’opérer – de manière consubstantielle avec le transfert de compétence – au profit de l’Union européenne ne s’est pas produit. Une situation parfaitement décrite par Dominique Reynié : « Le pays déçoit mais l’époque console. »

Ces données traduisent la coexistence de deux jeunesses européennes. Une jeunesse enthousiaste, plutôt majoritaire, tirant profit des biens-faits de la mondialisation (programmes d’échanges, réseaux numériques, communautés virtuelles) et aspirant à un avenir meilleur ; une jeunesse sceptique, concentrée dans les pays du sud de l’Europe, qui se raccroche aux dernières lueurs de puissance de l’État.

Partout le grand retour de l’identité nationale…

La tentation du repli nationaliste est une hypothèse bien réelle. En France, le Front national ne cesse de revendiquer l’étiquette de  « premier parti chez les jeunes ». Ailleurs en Europe, en Hongrie, en Grèce, en Suède, les leaders populistes prétendent fédérer l’électorat jeune. Une partie de celui-ci est en train de s’unir : les jeunes du Front national viennent de lancer avec trois autres partis populistes européens (le FPÖ, le Vlaams Belang flamand et les Démocrates Suédois), la plateforme « Youth European Alliance for Hope » en vue des élections européennes.

Dans un contexte de crise, le patriotisme fait un retour généralisé dans les discours et les programmes politiques. Il rassure une partie de la jeunesse européenne, qui, bien qu’elle souhaite profondément voyager, découvrir d’autres cultures et faire sa place dans le monde globalisé, veut aussi des garanties sur son identité, sa citoyenneté. À ce titre, 58 % des Français considèrent que leur appartenance à l’espace européen compte peu voire pas du tout dans leur identité personnelle. Pour une majorité d’entre eux, l’État demeure le gardien de leur identité et de leurs droits.

Sauf à l’Est

À l’inverse, 61 % des Roumains estiment que cet aspect européen est une composante fondamentale de leur identité. Faut-il voir dans ces déclarations un message pour l’Europe ? Et si, aujourd’hui, le projet européen était porté par la jeunesse des pays de l’Est ? Et si nous assistions en direct à la délocalisation du moteur de l’Europe ?

 

Mathieu Lyoen, 24 ans, étudiant en sciences politiques, Paris

Illustration Phileas Fogg
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