ZEP 07/10/2014

Je n’ai pas de « phobie administrative » mais je n’ai plus le RSA !

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Vivre avec le RSA c'est déjà difficile, mais quand on te le retire tu fais quoi ? J'ai vécu cette situation et entendre parler de l'affaire Thévenoud et de sa phobie administrative, ça me rend folle !

C’était au mois de juillet dernier. Un courrier du Conseil Général nous annonce qu’on nous suspendait notre unique source de revenus : le RSA. Un peu plus de 500 euros par mois qui nous permettent déjà à peine de survivre à deux, avec trois animaux et un loyer à payer.

Motif de la suspension ? Mon copain, le bénéficiaire, a raté un des rendez-vous obligatoires. Sauf qu’il n’a jamais reçu le fameux courrier l’informant de l’heure et de la date du rendez-vous en question. Entre leur parole et la nôtre, on avait perdu d’avance. Nous voilà donc pris dans l’infernale spirale administrative.

Humiliée et infantilisée

Nous avons dû nous expliquer devant une espèce de « commission ». Nous avons été reçus de la manière la plus déstabilisante et froide qu’il soit. On nous a solennellement annoncé qu’on allait être privé de RSA pendant plusieurs mois si nous n’avions pas une bonne raison d’avoir été absents lors du rendez-vous qui nous avait été fixé. Qu’est-ce qu’une « bonne raison » pour eux ? Être à l’hôpital ou mourant. J’exagère à peine !

Nous nous sommes défendus comme nous le pouvions, bien conscients de notre position de faiblesse. Ils n’avaient pas l’air très convaincus par ce qu’on leur disait. En même temps, 40 personnes dans le même cas que nous viennent les voir chaque jour, pleurent, les supplient… Et souvent, mentent. Ils le savent, ils ne sont pas idiots.

Je me suis sentie humiliée et infantilisée. J’avais le sentiment d’être de retour à l’école, où l’on nous blâmait quand on ne justifiait pas une absence. Et encore, à l’école, on ne nous enlevait pas le pain de la bouche et on ne risquait pas de se retrouver à la rue.

Considérés comme des fraudeurs, menteurs, feignassses…

Leur punition, parce que c’est bien de cela qu’il s’agit, signifie nous mettre dans la merde totale pendant plusieurs mois, jusqu’à ce qu’ils se décident à bien vouloir traiter le dossier et décider de notre sort ; bien au chaud dans leurs bureaux, alors qu’on risque de se retrouver avec zéro euro par mois !

Quand nous avons été « entendus » pour répondre de nos actes, nous avons tout de suite senti dans le regard de nos interlocuteurs, dans leur façon de nous parler, qu’ils nous considéraient comme des fraudeurs, des menteurs, des feignasses qui tentaient désespérément de se justifier.

À chaque tentative pour expliquer notre cas, ils finissaient toujours par nous couper la parole et nous dire : « Mademoiselle, comme vous le savez, le RSA est soumis à une réglementation. Vous êtes dans l’obligation de vous présenter aux rendez-vous et de rendre des comptes. » En gros : vous devez nous prouver que vous méritez de survivre.

Dans le dédale de l’administration

On nous menace de nous enlever tout ce que l’on a à cause d’une erreur de courrier qui n’est jamais arrivé. Normal que l’on soit quand même un peu « énervés ». Mais non, ils ne le comprennent pas. Ils ne nous voient même pas comme des individus. Nous sommes des numéros de dossiers. Pas de place pour le cas par cas et la pitié dans le dédale de l’administration française. Et à voir la tronche qu’ils tirent rien qu’en nous voyant arriver parfois, on sent bien que l’on n’est pas sur le même pied d’égalité.

La notion de fraternité est-elle encore présente dans l’administration française ? Les services sociaux eux-mêmes peuvent-ils encore prétendre bien faire leur boulot ? À la base, tous ces services ont été mis en place pour aider les citoyens, pour nous permettre, même sans travail et sans revenus, d’avoir accès à un logement, à des soins, et à tout ce qu’il faut pour survivre à peu près correctement.

Nous vivons comme en sursis

L’administration  est devenue un immense labyrinthe où il est facile de se perdre, et dans lequel personne ne vous tiendra la main pour vous accompagner. Il est devenu de plus en plus difficile de s’y retrouver et parfois, j’ai le sentiment que ce n’est pas un hasard si tout est devenu si compliqué. La moindre démarche est devenue terriblement décourageante. On nous renvoie sans cesse d’un service à l’autre : « Ce n’est pas de notre ressort, on ne peut rien faire. » Parfois, on attend des heures pour qu’au final on nous dise : « Il manque tel papier, vous devez vous rendre à tel endroit, vous devez appeler tel service… » Il y a de quoi devenir fou !

Nous attendons toujours, depuis juillet, que notre dossier soit traité. Nous vivons comme en sursis. La peur de se retrouver à la rue plane en permanence au-dessus de nos têtes. Pourtant, nous n’avons fait de mal à personne. Nous n’avons pas fraudé. Nous avons toujours gardé notre sang-froid face à des secrétaires impitoyables. On risque de tout perdre. Et pourquoi ? Parce qu’on n’a jamais reçu leur convocation et qu’on a donc loupé leur putain de rendez-vous.

Sommes-nous « libres » en étant au RSA?

Je me pose la question… L’administration française est-elle en accord avec les fondements mêmes de la République, à savoir « Liberté, égalité, fraternité » ? Ou bien est-ce, au contraire, une machine implacable et redoutable qui tente de pister et de broyer tous ceux qui ne font pas « comme il faut » ? Sommes-nous « libres » en étant au RSA ?

Je m’explique : le RSA est censé être un droit qui garantit un revenu minimum permettant (à peu près) de survivre. Quand on parle de droit, la notion de « devoir » apparait obligatoirement quelque part. On nous le répète assez souvent : « Eh oui ! On vous file du fric alors que vous ne foutez rien, c’est bien normal qu’il y ait des contreparties ! » D’accord. Aller à un rendez-vous une fois par mois, cela me parait plutôt normal. Mais nous couper l’herbe sous le pied comme ça, sans aucune considération pour notre mode de vie déjà perturbé, sans même écouter ce que l’on peut avoir à dire pour « notre défense », ça en devient humiliant.

J’ai pu observer, depuis que je suis en « RSA couple », qu’aux yeux de beaucoup de gens, les RMIstes sont perçus comme des assistés, des parasites qui profitent du système sans rien faire. C’est bien connu ! Tous ceux qui n’ont jamais été dans cette situation nous perçoivent vraiment comme des citoyens de seconde zone.

Si ça nous était arrivé on serait à la rue ou en prison

Lorsque j’ai eu connaissance de l’affaire Thévenoud et de sa soi-disant « phobie administrative », je n’en revenais pas. Cet homme, qui est quand même secrétaire d’État au commerce extérieur et qui gagne donc près de 10 000 euros par mois, ose prétendre, pour se défendre, qu’il souffre d’une phobie administrative, qui n’existe même pas ?!

Matthieu assiste à des audiences à la Cour Nationale du Droit d’Asile. Il raconte : « Même son avocate parle de lui comme s’il n’était pas là, comme si c’était le dernier des concernés. […] Pas une seule fois l’homme n’a fait part de son ressenti, de ses souffrances, et du possible traumatisme de ce qu’il a enduré. […] [Comment peut-on penser] qu’il aurait traversé le Sahara et la Méditerranée pour presque rien ? » 

« J’ai toujours été bordélique dans ma vie privée, tous ceux qui me connaissent le savent, mais je n’ai jamais été malhonnête. Seulement, j’ai une phobie administrative… »

Laissez-moi rire ! C’est une insulte envers les millions de Français qui souffrent réellement d’angoisses lorsqu’ils se retrouvent confrontés à des démarches administratives et qui, contrairement à lui, n’ont pas les moyens de s’y soustraire ou de s’en sortir. C’en est presque obscène. Peu de gens peuvent se permettre de « zapper » leur déclaration d’impôts ou leur loyer. Cela nécessite d’être « à l’abri », protégé d’éventuelles poursuites judiciaires, ce qui n’est pas le cas de la majorité des Français. N’importe qui d’autre, à sa place, aurait eu de gros problèmes ! Si c’était arrivé à mon copain ou à moi, on serait déjà à la rue ou en prison.

 

C., 23 ans, en recherche d’emploi, Perpignan

Crédit photo seb_ra/iStock/Thinkstock

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1 réaction

  1. […] Comme Aude, qui ne rentre dans aucune case de l’administration française, C. a aussi témoigné de ce dédale pour obtenir son RSA. […]

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