Lidia K. 26/05/2016

Ma première douche au centre d’hébergement d’urgence

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Au centre d'hébergement d'urgence de la rue Saint-Pétersbourg (Paris), les destins se croisent et les parcours sont différents. Lidia nous raconte sa première douche dans ce lieu si particulier.

 

Je m’appelle Lidia, j’ai 16 ans et j’habite dans un centre d’hébergement d’urgence. C’est pour les gens qui n’ont pas de maison. Je suis ici avec ma mère et mes deux sœurs. Vous vous demandez où est mon père ? Il est décédé avant que j’arrive à Paris. Je viens d’Allemagne et je suis arrivée au CHU il y a deux ans, après avoir passé deux mois dans un foyer.

Je vais vous raconter ma première douche.

Ça sentait mauvais, ça m’a dégoûtée

J’étais dans le centre d’hébergement d’urgence depuis 2 jours. J’étais dans ma chambre, au 3e étage, et là, j’ai décidé d’aller à la douche. Je suis descendue à la cuisine, au 1er étage, là où se situent les douches pour les femmes. A cette époque les douches des hommes étaient juste à côté, c’est même arrivé une fois qu’un homme entre dans les douches des femmes se doucher. Depuis, on les a déménagés au 5e étage. Heureusement. Déjà, les douches à côté de la cuisine, je me suis dit : tout le monde va nous voir passer avec la serviette et tout. Et j’ai tout de suite pensé qu’il fallait y aller soit très tôt le matin soit très tard. Il devait être 20h quand j’y suis donc allé pour la première fois.

J’ai ouvert la porte, il y avait cinq douches. Je suis entrée dans l’une d’elles. Première chose qui m’a marquée : ça sentait mauvais. J’ai posé mes affaires sur une chaise. Il y avait de l’humidité. J’ai regardé la douche, c’était vraiment très très sale. Ça m’a dégoûtée. Impossible de me doucher au milieu de cette saleté. Le sol était noir avec des traces. La chaise grise, alors qu’elle était blanche normalement. Il y avait des grosses traces orangées-jaunes sur le mur blanc.

Mes gants ont craqué tellement je frottais fort

J’ai donc décidé de nettoyer ma douche. Après avoir demandé des gants, de la javel et des serviettes jetables, j’ai commencé à nettoyer. Je me suis mise à genoux et j’ai frotté pendant au moins 15 minutes. Tellement je frottais fort, mes gants ont craqué. Alors j’ai été en demander des nouveaux à l’agent hôtelier. J’en ai pris deux. Je suis retournée dans la douche et là, j’ai vu une dame qui se douchait à l’endroit que j’avais nettoyé, une Africaine d’une trentaine d’années, enceinte. Le pire, c’est qu’elle m’avait vu nettoyer. Elle a attendu que je parte pour prendre ma place !

J’étais très très en colère. Tellement en colère que j’ai été voir un agent pour lui dire qu’une femme avait pris ma douche. On a attendu pendant 15 ou 20 minutes. Quand elle est sortie de la douche, on lui a dit qu’elle avait pris ma place Elle nous a répondu : « Je m’en fous, c’était propre, je me suis douchée. » J’étais choquée, ça ne se fait pas. J’ai dit : « Aucun respect ici ! » Heureusement, je ne l’ai pas recroisée par la suite. Quelques semaines plus tard, elle était partie. Mais sur le coup, j’étais tellement en colère, que je ne voulais plus me doucher.

Je suis montée chez moi et j’ai tout raconté à ma mère. Elle m’a dit : « Je vais le dire à la directrice. » Je lui ai dit : « Ça ne sert à rien de te fatiguer pour rien. » Et finalement, je l’ai convaincue de ne pas y aller. La directrice aurait dit quoi ? « Ok ok », et c’est tout. Ça n’aurait rien changé. Je suis retournée à la douche le matin d’après, tôt, vers 7h, avant de déjeuner, pour être sure qu’il n’y aurait personne. J’étais toute seule. Et j’ai repris la douche que j’avais nettoyée.

Deux ans après, rien n’a changé

C’était il y a deux ans. Aujourd’hui encore je nettoie à chaque fois ma douche avant de me laver. Plus aussi longtemps. Ça ne sert à rien. Rien ne change. Maintenant, j’ai pris l’habitude de voir toutes ces saletés, je ne touche pas les murs, je nettoie la douche à l’endroit où je la tiens. C’est simple, je nettoie juste ce que je touche. Tout ce que je touche. J’amène aussi ma couverture, que je coince dans la porte de la douche, pour être sure qu’on ne me voit pas. Le produit qu’on nous donne pour se laver le corps, je ne l’utilise pas. On ne sait jamais. Je me dis que peut-être ma peau ne va pas bien l’accepter et que je vais avoir des boutons. Moi, je prends un truc à l’abricot exprès pour le corps. Après, je mets du shampoing L’Oréal.

Fofana, mineur isolé à Paris, raconte un quotidien fatiguant. Marcher, faire la queue… pour manger, boire et survivre.

Mon rêve aujourd’hui ? Prendre un bon bain bien chaud avec de la mousse. Et un verre de coca bien froid. Et de la musique latino.

 

Lidia K., 16 ans, Paris

Crédit photo Lidia © Stan Zambeaux

NB : Ce texte a été écrit dans le cadre d’ateliers d’écriture organisés par la ZEP avec l’association Aurore au centre d’hébergement d’urgence de la rue Saint-Pétersbourg (Paris). 

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