Salmane H. 02/04/2023

Français et arabe, j’enquête sur mes racines

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Tiraillé entre ses origines algériennes et sa nationalité française, Salmane a fait ses propres recherches pour répondre à ses questions. 

Une première personne, plutôt âgée, avec un chapeau melon, une écharpe verte autour du cou, et un costume beige. Très austère, le genre de personne qui se couche à 20 heures et qui regarde Samuel Étienne sur France 3. Puis, une autre personne, habillée de manière décontractée, qui écoute du Cheb Khaled et qui sent le thé à la menthe. L’un parle dans un français très fleuri, l’autre en arabe, je reconnais le dialecte algérien. Ils sont assis l’un à côté de l’autre, à la terrasse d’un café parisien. Le vieil homme est dérangé, gêné, voire agacé par son voisin. « Tellement bruyant, on ne comprend rien à sa langue, il devrait parler français, ce jeune homme. » L’autre ne comprend pas ce que le vieux dit, il est heureux.

En réalité, tout ça se passe dans ma tête. Le vieux Français en question, c’est moi. J’ai la nationalité française, j’ai grandi en France et suis fier de vivre ici. Mais alors, le jeune Algérien, qui est-ce ? Eh bien c’est moi aussi. J’ai des origines algériennes et ma famille a grandi là-bas, du moins pour la plupart.

Mon identité française se résume en un surnom : Boubakeur Junior. Ce sont des amis du collège et des vieilles connaissances qui m’appellent ainsi. Je ne sais pas si vous connaissez l’ancien recteur de la grande mosquée de Paris, le Dr Dalil Boubakeur. Il le dit de lui-même, c’est quelqu’un qui a « un amour pour la France ». Il a aussi des habitudes de dandy, une manière de parler très clichée, des mimiques éloquentes, un homme qui connaît sur le bout des doigts l’histoire de France et qui n’hésite pas à utiliser un français très raffiné pour parler. Ce qu’on m’a souvent dit, lorsque j’étais au lycée.

Le 93, incarnation du mot « fraternité »

J’ai grandi dans un quartier populaire, dans le 9.3., en Seine-Saint-Denis, département ayant une triste réputation au niveau national. J’y ai toujours trouvé ma place toutefois, et suis fier d’avoir grandi dans ce coin. C’est un département multiculturel, et la majorité des habitants sont serviables et sympathiques. Ils reflètent parfaitement, à mon avis, le sens du mot « fraternité » dans le triptyque républicain. Toutefois, il serait malhonnête de ne pas préciser dans quel contexte je vis. Je vis dans une zone pavillonnaire, loin des quartiers sensibles, je ne sors pas souvent et je ne connais pas la vie dans les cités. Mon avis n’est donc que subjectif et n’est bien sûr pas à prendre pour argent comptant.

Je n’ai jamais subi de contrôle aléatoire, ni abusif. Je n’ai jamais été victime de violence ou de bavure policière. Des fois même, je ne me reconnais pas dans certaines luttes de personnes victimes. Bien évidemment, une violence policière n’est jamais acceptable, comme toute violence. Comme pour les affaires d’islamophobie et de racisme. J’ai été victime de racisme une fois dans ma vie, et je l’ai mal pris. Alors que je revenais du lycée pour déjeuner, un malheureux est passé sur mon chemin et m’a crié « sale Arabe », sans aucune raison. J’avais mon masque et mes écouteurs, je ne lui ai même pas parlé. J’ai essayé de réagir mais, peine perdue, il s’enfonçait dans son déni.

Est-ce que, pour autant, cela veut dire qu’il faille faire une généralisation ? Qu’avec une brebis galeuse, on en arrive à une conclusion d’une généralisation du racisme en France ? Que nenni. D’ailleurs, je ne me reconnais pas dans le mot « islamophobie », la peur de l’islam n’est pas une maladie dans le sens premier du terme. C’est un malaise, une haine qui ne mérite aucune justification. Il serait préférable de dire « rejet anti-musulman ».

Creuser plus loin

J’ai étudié à l’école de la République et, malgré les critiques qu’on peut lui faire, c’est là qu’a grandi mon amour pour la France, pour la République et ses valeurs. Au lycée, je devais faire une dissertation en littérature. Ma professeure a vérifié dans un logiciel antiplagiat si je n’avais pas repris mes dires sur des sites spécialisés. Je lis depuis petit, et je pouvais même lire jusqu’à cinq livres par jour à 9 ans, surtout sur les deux guerres mondiales. En troisième, j’étais devenu le référent de la classe en histoire, mais ma curiosité m’a toujours poussé à creuser encore plus loin. Parfois, je corrigeais même le professeur. Mes sujets favoris sont aussi la Révolution française et la Commune de Paris.

En seconde , je me suis rendu à une conférence d’un prédicateur sur la confrérie des Frères musulmans. Elle était présentée comme un projet de « ré-islamisation de la société » tout en voulant instaurer la démocratie et en combattant les forces colonialistes. L’envie d’en savoir plus me titillait. Mais au fur et à mesure des recherches, je me suis rendu compte qu’il y avait une racine à tout cela, loin de ce que racontait le prédicateur. Un début qu’on appellera la Nahda, la Renaissance arabe. J’ai découvert d’autres courants de pensée de l’islam de cette époque, plus ouverts et modernistes. Ainsi a commencé mon intérêt pour le monde arabe. C’est ce qui m’a donné envie aujourd’hui de faire des études de langue arabe.

Si j’étais un livre, je serais celui de Rifa’a al-Tahtawi, savant égyptien du XIXe venu étudier la France et son fonctionnement. Il en a fait un portrait plutôt élogieux, vantant les progrès tant techniques que scientifiques de ce pays, et plaidant pour la démocratie. Son livre s’appelle d’ailleurs Takhlîs al-ibrîz fî talkhîs Bârîz, ou littéralement : Le raffinement de l’or : abrégé de Paris. Vous le trouverez sous le titre L’Or de Paris.

J’aurais aimé avoir des débats sur mes origines

Comme beaucoup de musulmans, j’ai longtemps ignoré ce qu’était la Nahda. J’aurais aimé que les religieux eux-mêmes en parlent. Peu de musulmans de France connaissent cette période pourtant retentissante dans le monde arabe et qui a poussé à des progrès phénoménaux pour l’époque, que ce soit au niveau politique, économique, littéraire ou religieux. Ces faits sont souvent tus, et on met en avant une pensée rigide, sans véritable but.

En tant que musulman, mes opinions et mes pensées sont très loin d’être représentées. Dans ce pays, l’islam est loin d’être montré à sa juste valeur par certains notables religieux, notamment les influents du net. Il est souvent réduit en une série d’accomplissement de pratiques religieuses, sans véritable fond. Concrètement, le système du licite et de l’illicite a le monopole sur la compréhension de la religion. Sur les réseaux sociaux en particulier, des jeunes poulains de la religion musulmane font parfois des longs lives en répondant à toutes les questions des internautes, parfois très jeunes. Elles se concluent, en trente secondes, par un avis : « halal » ou « haram ».

Un père musulman, une mère chrétienne, Adama s’est longtemps posé la question de la foi. Entre islam et christianisme, elle a fait son choix.

Capture d'écran de l'article "Deux parents, deux religions... et moi ?" publié sur le site de la zep le 6 juillet 2019. Photographie d'une femme noire de profil, les yeux clos, les mains jointes en prière, sur un fond bleu séparé en deux : à gauche une église et à droite une mosquée.

Un jour, lors des offices du vendredi, j’ai décidé de questionner l’imam sur l’eschatologie de la fin des temps. Il m’a répondu en conformité avec l’histoire sunnite. Toutefois, sa réponse m’a rendu perplexe. C’est suite à cette conversation que mon envie d’aller consulter l’histoire des autres courants de l’islam est née. Une volonté d’ouverture d’esprit, et non plus d’étroitisme.

Personnellement, j’ai l’habitude de lire des auteurs considérés comme « réformistes » tels l’imam de Bordeaux, Tareq Oubrou, Mohamed Bajrafil, le cheikh soufi Khaled Bentounes, l’anthropologue algérien Malek Chebel, pour ne citer qu’eux. Malheureusement, les jeunes que je connais ne sont pas adeptes de ce genre de littérature. Je suis convaincu qu’un jour, la jeunesse sera revigorée, n’en plaise à Dieu !

Salmane, 18 ans, étudiant, Tremblay-en-France

Crédit photo Pexels // CC Michael Burrows

 

 

 

Quelques ressources (safes) pour en apprendre plus sur l’islam

 

Questions d’islam

Histoire du Coran, islam libéral, place des femmes dans les récits… Loin des polémiques des chaînes info, ce podcast décortique, une fois par semaine, l’histoire et l’actualité de l’islam.

 

Coexister 

Sur sa chaîne TikTok, l’asso partage des astuces, savoirs et réflexes à avoir pour lutter contre les préjugés.

@coexister_france 🤔 Ai-je le droit de porter un signe religieux dans un lieu public ? Est ce que je peux aller voter en portant mon signe religieux ? 🤔 Tu veux en savoir plus ? On t’invite à regarder notre vidéo « la laïcité en 3 minutes » #laicité #coexister #vivreensemble #partage #tolérance #signereligieux #religion #don #kippa #juif #juive #agnostic #chrétien #chrétienne #islam #musulman #musulman #athée #convictions #pourtoipage #pourtoi #fyp #foryoupage ♬ son original – CoexisterFrance

Lallab

Le féminisme peut-il rimer avec l’islam ? Avec son magazine et sa newsletter, Lallab est une mine d’or pour celles et ceux qui s’intéressent au sujet. On te conseille aussi de suivre cette asso sur les réseaux si tu veux participer à des événements autour des droits des femmes musulmanes.

 

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  1. Je plussoie, excellent articl

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