Cherif 08/02/2014

Mon premier « séjour » en prison

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Depuis 1976, les bénévoles de l'association Genepi s'engagent auprès des détenus pour faciliter leur future réinsertion. Voici comment s'est passée ma première fois...

Il y a des jours où on se dit que ce moment va changer votre vision et remodeler votre existence. C’est ce qui m’est arrivé. Je ne pensais pas qu’en une fraction de seconde, une seule parole suffise à me plonger dans un torrent de questions, de « pourquoi ? », de « comment ? », de « et après ? »…

Je me suis inscrit dans une association, Genepi*, qui intervient en prison. Je n’ai aucune expérience, je ne sais pas ce qui m’attend, je sais juste que je dois y aller. Après 30 minutes de bus, me voilà arrivé devant un immense bâtiment construit dans les années 1980 : pas grand monde, il fait froid, juste des cris d’oiseaux et le bruit des cailloux qui s’entrechoquent sous mes pieds.

Onze portes à franchir

Onze ! C’est le nombre de portes qu’il m’a fallu passer avant d’entrer en salle de cours. Et 20 minutes pour y arriver. Après vérification de ma pièce d’identité, des objets qu’il y a dans mon sac, j’arrive dans une sorte de carrefour des prisonniers : là, on me donne une alarme sur laquelle je dois appuyer s’il y a le moindre problème. Mais qu’est-ce que je fous là ? Des bruits de cliquetis, des portes qui claquent, des sonnettes qui couinent à chaque ouverture de porte. Je ne sais vraiment plus où donner de la tête, je regarde partout, je ne tiens plus en place… Le moindre mouvement attire mon regard. Soudain j’entends un prisonnier qui crie : étrangement cela ne surprend que moi. On m’ouvre une autre porte, je discute une dernière fois avec le responsable et la surveillante, et me voilà dans la salle de cours vide.

Des détenus, des prisonniers… tout simplement des hommes

Les détenus entrent, ils s’assoient, me regardent, me déshabillent du regard. Pourtant très sûr de moi dans ma vie au quotidien, ma confiance est complètement ébranlée. OK : j’ai en face de moi des détenus, des prisonniers, des personnes jugées pour des crimes et qui purgent leurs peines.

Je respire un grand coup, je me pose la question : « Pourquoi suis-je venu ? » Je trouve dans ma réponse la force de continuer. Je prends la parole et leur demande de donner chacun à leur tour nom et prénom, assez facilement tout le monde me répond, et le débat commence : « L’école joue-t-elle son rôle d’ascenseur social ? » La seule chose que je peux vous dire, c’est que ce fût enrichissant et drôle à la fois. J’ai en face de moi, non pas des prisonniers comme je me le suis d’abord dit mais des hommes dans toute leur dignité : un jeune de 19 ans, trois adultes et deux personnes âgées.

Une confiance s’installe

Petit à petit chacun se confie. Sur fond de débat sur le système scolaire, chacun me raconte un peu sa vie, son enfance, ses difficultés d’être étranger, de ne pas avoir eu la chance d’accéder à une bonne scolarité, faute de moyens, faute de quartier…

Je prends en compte et j’écoute. Je ne peux encore m’empêcher de me demander quels ont été les crimes pour lesquels ils ont été condamnés. Les regards sont par moment très froids, ce genre de regards qui vous transperce le cœur. Parfois aussi ils sont tendres, parfois je les sens perdus, des regards de résignation, ou de colère, ou même d’espoir.

Rentrer « chez moi »

L’un d’entre eux me parle d’un sujet d’actualité. N’ayant qu’une vague idée de l’info, à la fin du cours il me dit : « Mais si : je vous assure que j’ai raison ! Quand vous rentrerez chez vous, vous n’aurez qu’à vérifier. » Je me rends compte qu’effectivement moi, je vais quitter ce monde où je n’ai pas encore vu la moindre trace d’horloge. Je vais quitter cet endroit intemporel pour rentrer « chez moi ».

Le cours se finit et une autre personne me remercie d’être venu deux heures pour eux. Il me redemande si je suis bénévole, je lui ai répond que oui, il me dit que j’ai bon cœur : ça me touche, ce n’est rien d’exceptionnel, mais j’ai cassé en quelque sorte leur routine.

Chacun me serre la main, me dit : « Au revoir et à la semaine prochaine. » Je repars voir le responsable, je lui donne la feuille de présence, il me dit que M. X sera transféré dans un autre quartier. Je ne le reverrai donc plus.

Je sors de la prison, je rends mon badge. Mon alarme bien accrochée à ma ceinture, je passe la porte, je récupère mes affaires, je m’allume une clope, je jette un dernier coup d’œil derrière moi. La sensation est toujours aussi bizarre : Perpignan est la ville la plus ensoleillée de France, mais j’ai l’impression que cet endroit reste toujours gris.

Cherif, 22 ans, étudiant, Perpignan
Illustration Genepi / Genepi est une association qui permet à des étudiants bénévoles d’agir en faveur de la réinsertion sociale des personnes incarcérées.

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1 réaction

  1. J’adore ! Merci pour le témoignage ! J’avais entendu parler de l’asso Genepi lors d’un vote de dons sur écogine. Ca ouvre des possibles ! Et puis, je ne sais pas pourquoi je m’attendais à un récit venant d’un prisonnier.
    Est ce que les personnes du cours vous remettent directement en cause ? Y’a t il de la brutalité ? Et si oui, comment est elle gérée ?
    Je viens de découvrir le site. Je sens que je vais passer quelques temps devant pour écouter ces nouvelles histoires, celles que j’aimerais voir un peu plus dans les grands médias et je serais un peu plus réconfortée sur l’avenir.

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