Morgane P. 25/02/2014

Tranches de vie de Roms, loin des clichés

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À Lille, où j'habite, je travaille auprès des Roms. Police, précarité... Voici leur quotidien.

Je suis arrivée à l’université de Lille 1 en septembre 2012. Je savais qu’il y avait des familles roms qui s’étaient installées près du métro où je descendais. Tout le monde en parlait mais je ne les avais jamais vraiment remarqué. En janvier, ils se sont fait déplacer par des CRS sur un parking de l’université en attendant une expulsion.

Ce jour-là, il y avait tellement de CRS qu’on ne pouvait pas les rater. Un collectif de soutien s’est monté. Je me suis tout de suite engagée. Nous avons monté quelques projets pour aider les familles : une vente de crêpes pour acheter des couches pour les nourrissons, une collecte de vêtements… Nous avons ensuite acheté une caravane qui devait servir d’école sur le terrain où nous leur donnions des cours de français.

J’allais les voir régulièrement, pour les aider ou simplement leur rendre visite.

Je me suis liée d’amitié avec une jeune femme. Elle s’appelle Caroline, elle a 19 ans. Elle est en France depuis 3 ans et a toujours vécu à Villeneuve d’Ascq. Elle vit dans une petite caravane avec sa famille. Elle est mariée et a une petite fille de 1 an. Son mari part souvent pour travailler à droite à gauche. Elle, elle part mendier près de la Poste, à la mosquée ou près de la gare. Dans ma classe, depuis qu’on me voit aller sur le parking où elle est installée, un périmètre de sécurité s’est formé autour de moi au cas où j’aurai attrapé une maladie (la gale revient souvent). On me demande pourquoi je vais la voir avec mon sac, on me dit que je devrais me méfier. On me crache dessus aussi parfois.

En juin, Caroline m’annonce qu’elle est enceinte.

J’ai décidé de l’aider dans ses démarches administratives pour la grossesse. Vers le milieu du mois de décembre, je l’ai emmené à la maternité pour faire une échographie. Un ami nous a conduit en voiture. Ce jour là, elle me demande d’aller sur un autre terrain où d’autres familles sont installées. La caravane de l’une de ses amies a brûlé. Nous sortons de l’hôpital et nous dirigeons vers le terrain. J’essaye d’en savoir plus sur cet incendie mais Caroline n’a pas plus d’informations. Je connais ce terrain, j’y suis déjà allé plusieurs fois pour y distribuer de la nourriture.

Une fois arrivé, Caroline court vers une caravane. Il y a une odeur affreuse sur le terrain. Nous savons que ce n’est pas qu’une odeur de plastique brûlé. Je m’approche des restes calcinés d’une caravane. Elle rappelle à toutes les familles qu’il y a eu un incendie. Des enfants me reconnaissent et viennent me voir. J’en profite pour essayer d’en savoir plus sur l’incendie. Les enfants m’expliquent. La famille avait froid, elle a allumé un feu dans une sorte de cheminée qu’ils avaient construite à l’intérieur. Ils y ont mis du bois, puis de la paille. Les parents sont sortis parler avec les voisins.

Un bout de paille tombe par terre, la caravane prend immédiatement feu.

Voilà, je ne voulais pas en savoir plus, je connaissais les causes de l’incendie. Mais les enfants continuent. Une jeune fille me dit : « Il y avait un enfant dedans. » Cette information m’a fait l’effet d’une bombe. J’essaye d’en savoir plus sur cet enfant. Il a trois ans. Il est à l’hôpital, là où j’étais une heure avant pour l’échographie de Caroline. On m’apprend finalement que l’enfant est décédé.

La semaine suivante a été difficile, j’avais l’impression de sentir l’odeur partout.

Je n’arrivais plus à dormir : je voulais les aider. Il faut toujours essayer de faire face lorsqu’on s’occupe de famille vivant dans une telle précarité. Un jour, en discutant avec une amie des cadeaux de Noël, j’ai eu une idée. J’allais organiser un goûter de Noël pour les enfants. J’ai fait appel à tous mes amis. Le secours populaire a mis la main à la pâte. Ils nous ont donné du lait, des chocolats. Nous avons fait des crêpes, ramené du jus d’orange, et des vêtements. Un ami s’est déguisé en père Noël.

Je sais que ce n’est qu’un goûter de Noël mais ces enfants étaient heureux l’espace d’un après-midi. Nous avons bien ri aussi. Depuis, je vais voir ces enfants régulièrement.

Caroline a accouché le 6 janvier 2014 à 00h52 d’un petit Loucas. Elle a été relogée à Louvroil dans une chambre avec toute sa famille.

 

Morgane, 22 ans, étudiante en sociologie, Lille

Illustration Flickr CC Alain Bachelier

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6 réactions

  1. C est tres courageux bravo , heuresement qu il reste encore un peu humanité ici bas.

  2. Merci beaucoup !
    Je continue de voir ces familles !
    Vendredi, une petite fille Rom de 8 ans est décédée à Roncq (dans le Nord). Suite à une expulsion, la famille a trouvé refuge près d’une route. La petite fille s’est faite renversée par un chauffard…
    Une marche blanche est organisée samedi à Roncq.

  3. Merci beaucoup !
    Je continue de voir ces familles. Vendredi, une enfant Rom de 8 ans est décédée à Roncq (dans le Nord). Suite à une expulsion, la famille a trouvé refuge près d’une route. La petite fille s’est faite renversé par un chauffard… Une marche blanche est organisée ce samedi.

  4. ton aricle est très bien, je suis fière de toi et de ton dévouement envers les plus démunis. Continue comme ça

  5. tu as fait un très bel article je suis fière de toi et de ton dévouement envers les autres. Un grand bravo

  6. Ton article est très fort.
    Bravo pour ton engagement auprès de ces familles.

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