Clément L. 09/01/2021

Blessée par un tir de LBD, ma mère n’ose plus manifester

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La mère de Clément garde des séquelles des violences policières qu'elle a subie en manifestation. Sa famille ne sait pas où en est l'IGPN.

Le 5 décembre 2019, lors de la manifestation contre le projet de loi de réforme des retraites, je suis avec ma copine et des amis dans le cortège, boulevard Magenta. Des rumeurs de fortes tensions avec la police se propagent autour de nous. Mon père m’informe que ma mère et lui ont quitté le cortège car tout est bloqué. Afin de se réchauffer, ils décident d’aller prendre un café. Ils pensent rejoindre la manifestation plus tard. Rassuré, je continue de cheminer lentement en direction de la place de la République. Plus on avance, plus la tension se fait sentir, dans une odeur de gaz lacrymogènes.

L’étau se resserre. Alors que je débouche sur la place, mon père m’envoie un message me disant qu’ils se trouvent aux urgences de l’hôpital Saint-Louis : ma mère a reçu un tir de LBD (lanceur de balles de défense) à la tête. 

Le CRS m’a ri au nez 

Nous décidons, ma copine et moi, d’aller les rejoindre. Place de la République, une charge de CRS venant de la gauche nous déporte sur la droite. Une jeune fille dans un groupe d’étudiants se fait charger, matraquer par les forces de l’ordre. On a l’impression d’être dans un chaos total. Les CRS bloquent toutes les issues sauf celle utilisée par le cortège qui se dirige vers la place de la Bastille. On reçoit des gaz lacrymogènes. Autour de nous, étudiants, parents, manifestants, syndicalistes cherchent à se protéger. 

Afin d’attendre que la situation se calme, nous nous réfugions dans un Burger King. Ma copine est angoissée, j’ai peur et je suis inquiet. Je demande aux CRS de nous laisser sortir en expliquant la situation, que ma mère est blessée à la tête par un tir de LBD. L’agent se met à rire et me dit que ce n’est rien, tandis qu’un de ses collègues me traite de « beatnik », en me disant de retourner dans le cortège. 

Depuis le début du mouvement des Gilets jaunes, la gestion du maintien de l’ordre a créé de nombreuses polémiques. Avec des vidéos de manifestation et les explications de cinq journalistes, Brut retrace la radicalisation rapide du maintien de l’ordre en France.

Nous continuons à chercher une rue pour rejoindre l’hôpital. Alors que nous ne présentons aucune menace, des gaz lacrymogènes sont à nouveau tirés. Des gens courent, reculent ou avancent au gré des confrontations avec la police. Nous avons le sentiment d’être pris dans une souricière. J’ai peu de souvenirs de ce moment, tout est flou. Nous réussissons tout de même à nous extraire et à rejoindre mes parents à l’hôpital Saint-Louis.  

Ma mère est en état de choc, mon père inquiet malgré son calme naturel. Le diagnostic : « traumatisme crânien ». Peu de mots sont échangés. Je rencontre à nouveau la jeune fille qui s’est fait chargée par la police un peu plus tôt, elle attend d’être prise en charge. J’apprendrai plus tard par mes parents qu’il s’agissait d’une lycéenne. Elle sortira des urgences avec six points de suture au crâne.

Un rendez-vous à l’institut médico-judiciaire de Créteil

Ce n’est qu’après que j’ai su ce qui était arrivé à ma mère. Mes parents avaient quitté la manifestation. Après avoir bu un café rue des Vinaigriers, ils ont emprunté le quai de Valmy. Au carrefour de la rue Dieu, ma mère, qui n’appartenait à aucun cortège, a reçu une balle de LBD tirée par un policier. Elle était seule sur le carrefour, mon père marchait quelques mètres devant elle. Elle avait juste regardé à droite en direction de la rue Dieu, où un policier se tenait à environ trente mètres d’elle. Leurs regards s’étaient croisés, il avait armé et tiré, visant l’œil. Instinctivement, elle a baissé et tourné très légèrement la tête afin de protéger son visage. 

Le lendemain, de gros hématomes sont apparus. Elle a décidé d’aller porter plainte au commissariat sur les conseils d’un manifestant. D’après ses dires, l’IGPN (inspection générale de la Police nationale) a un rôle de sanction administrative, alors que déposer une plainte engage une procédure judiciaire. L’agent à l’accueil n’a pas daigné ouvrir la porte, lui demandant de se rendre au commissariat central. Au commissariat central, il a fallu dix minutes de persuasion et de larmes pour que l’agent veuille bien prendre sa plainte. Un rendez-vous à l’institut médico-judiciaire de Créteil lui a été prescrit.

Elle y a été reçue par un médecin. Lors de l’entretien, qui consistait au récit des faits dans les moindres détails, on lui a demandé si elle ne s’était pas volontairement frappée la tête contre un meuble. Ayant reçu une réponse négative, le médecin s’est enquis de savoir si elle avait pensé à ramasser la balle après le tir ou s’être rendue le lendemain sur le lieu de l’agression pour tenter de récupérer l’impact. Ahurie, elle a répondu : « Non. » Le médecin s’est alors demandé quel était le diamètre d’une balle de LBD. S’en est ensuivi une situation cocasse : elles ont commencé à chercher toutes les deux sur internet les dimensions des balles. Pour en conclure, en mesurant avec un mètre la blessure au crâne, que c’était peut-être un impact de « balle de défense ». 

Violence disproportionnée, absence de matricule ou recours abusif aux armes… L’IGPN a conduit 1 400 enquêtes en 2019, une hausse de 24 % par rapport à 2018. Avec quels moyens ? Et quelles techniques ? Le Monde nous explique comment fonctionne la « police des polices ».

 

Par la suite, elle a pris un rendez-vous chez l’ostéopathe. Après examen, le praticien a diagnostiqué un coup du lapin ainsi qu’une compression de la boîte crânienne. Malgré la séance, des douleurs au niveau des vertèbres persistent. Les migraines et les troubles du sommeil aussi. Sur le registre psychologique, lorsqu’elle croise des policiers, un sentiment de peur irrationnel l’envahit. Elle ne peut plus se rendre à des manifestations, ce qui est peut-être l’objectif recherché, car elle y ressentirait un sentiment d’insécurité insupportable. Les reportages à la télévision sur les violences policières réactivent chaque fois l’agression. Elle ne comprend toujours pas pourquoi. 

Je ne sais que peu de choses concernant la procédure en cours. Elle a eu un rendez-vous à l’IGPN pour décrire une nouvelle fois les faits, et pour essayer d’identifier l’agresseur. Un rendez-vous avec un psychologue mandaté par l’IGPN est prévu, plus d’un an après le tir. 

Les ordres ne sont pas des excuses aux violences policières 

Depuis cet incident, ma vision de la police a changé. J’éprouve un sentiment d’insécurité. J’avais déjà perçu ce changement en 2018 lors des manifestations des cheminots et des Gilets jaunes et en 2019 avec le mouvement contre la réforme des retraites.

J’assiste à des manifestations depuis longtemps. Adolescent, j’y allais avec mon père et c’était pour moi un moment de rencontres, d’échanges. On sentait qu’ensemble, on pouvait espérer modifier ou empêcher des contre-réformes. 

C’est aussi pendant et après une manifestation que Popline a été victime de violences policières. En novembre dernier, après avoir manifesté contre le projet de loi « sécurité globale », elle nous racontait ses dix-sept heures de garde à vue vécues comme une humiliation :

 

Maintenant, quand je me rends à une manifestation – je tiens à participer au mouvement actuel contre les violences policières, j’y vais avec une réelle appréhension et, dès que je vois un mouvement de foule, je me prépare à courir. Je sais que je pourrais être agressé et matraqué à tout moment, sans aucune raison, sans avoir esquissé le moindre geste pouvant être interprété comme violent. C’est devenu systématique et c’est en cela qu’il est clairement porté atteinte à un de nos droits fondamentaux qu’est le droit de manifester. 

Il faut bien, pour aboutir à ce constat, qui ne saurait résulter du comportement de quelques brebis galeuses, que les forces de police se sentent autorisées à pratiquer cette violence dissuasive et non de riposte. J’ai conscience que l’autorité politique (ou le gouvernement) est pleinement responsable du recours à cette violence dissuasive, mais cela ne doit pas diminuer la responsabilité des policiers qui l’appliquent. L’ordre n’est et ne sera jamais une excuse !

Clément, 26 ans, salarié, Villejuif

Crédit photo Unsplash // CC Ev

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