Khadidja S. 21/10/2020

Au lycée, on m’a dit : « Il y a des métiers que des Noirs ne peuvent pas faire »

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« Noire, musulmane et de cité », Khadidja voulait décrocher son job de rêve... mais les déterminismes l'ont rattrapée.

« Aujourd’hui, j’ai plus de chance de trouver un emploi que Madame Sissoko », lança mon professeur de sciences économiques et sociales en terminale. Pourquoi, sur une classe d’une trentaine d’élèves, cette femme à un an de sa retraite, blonde aux yeux clairs se référait à moi, 18 ans, noire, une élève parmi d’autres dans cette classe toute ouïe ? Et pourquoi une proche m’a lancé : « Il y a des métiers que des Noirs ne peuvent pas faire » en commentant mon choix de faire des études ? Chers pessimistes-bienveillants, mes deux années de RSA après un MBA (Master Business Administration) vous donnent amplement raison. Le déterminisme, j’avais pourtant refusé d’y croire.

« Non, pas de victimisation », me disais-je. Après tout, j’étais parvenue à trouver assez facilement des stages et des emplois durant mes études. Tant que je n’en demandais pas trop. Cependant, ces postes consistant à exécuter les mêmes tâches derrière un ordinateur ne me convenaient plus. Je sais que ça ne m’a jamais convenu. Intérieurement, je me disais : « Je rêve de contribuer à améliorer les conditions de vie des plus démunis. » Alors jusqu’où étais-je capable d’aller ?

Les déterminismes dépassent l’effort

Après mon master en commerce à l’université de Créteil, j’ai poursuivi mes études avec un MBA au Canada. Là-bas, j’ai eu l’opportunité d’expérimenter ; de l’ingénierie à l’humanitaire, des conférences, des associations, tout était permis. « De retour en France, je pourrais enfin avoir ce poste tant rêvé, contribuant à impacter positivement des vies », me disais-je. Des vies comme celles qui passaient dans ces reportages sur France 5 ou sur France 2 dans l’émission Envoyé spécial. Des vies de personnes moins chanceuses. 

« Je suis marocaine, banlieusarde, musulmane, voilée, fière et brillante, et je ne trouve pas de travail. » Ouassila est une jeune femme motivée et compétente sauf que, pour ses recruteurs, son voile est une barrière à l’embauche.

Sauf que, de retour en France, ma vie commence à ressembler… à la leur. À la télé, ils expriment leurs difficultés voire leurs impossibilités à s’insérer sur le marché du travail. Suis-je moi-même devenue une « moins chanceuse » qu’il faut aider ? J’avais pourtant tout fait pour ne pas en faire partie, mais il faut croire que certains déterminismes dépassent l’effort. Je ne voulais pas d’aide, mais il faut croire que cette position d’aidée est bien plus simple à obtenir et à entretenir qu’un emploi. Dois-je m’estimer heureuse de pouvoir bénéficier de ce système d’aides plutôt que d’indépendance à mon jeune âge ? 

Mon cœur saigne de me voir prise en exemple dans mon milieu pour prouver que « les études, ce n’est pas important, ce n’est pas suffisant, c’est une perte de temps ». Mais que répondre ? Puisque j’illustre si bien ce propos. Je deviens de ceux que l’on montre du doigt pour mettre en garde sur le risque de faire des études quand on est « noire, musulmane et issue de cité ». Nos proches sont les premiers à nous rappeler à l’ordre. Les victimes peuvent devenir les meilleurs oppresseurs vis-à-vis de leurs pairs sous prétexte qu’elles vous aiment… 

Bref… je ne reviens pas sur le millier de candidatures que j’ai certainement déposées pour ces postes à responsabilités dans le domaine commercial, social ou humanitaire. Je vous passe ces promesses de recrutement sans suite. Et je vous passe les 95 % de candidatures auxquelles je n’ai jamais eu de retours. Les seuls qui voulaient bien de moi étaient souvent les mêmes ; ceux que j’ai fuis en faisant un MBA au Canada. Trop barbants et sans intérêt pour moi. 

Ma bouée de sauvetage, c’est le réseau 

Mais, « en France, on vous prend pour ce que vous avez déjà fait. » Les différentes personnes qui me conseillent me font comprendre que ma bouée de sauvetage, c’est le réseau. C’est lors de mon premier événement de réseautage il y a deux ans, deux mois après mon retour en France, que j’ai rencontré Inès Seddiki, celle qui m’a aujourd’hui embauchée dans son association, Ghett’up

Ghett’up est une association qui valorise les jeunes des quartiers populaires, auprès du grand public et d’elles/eux-mêmes. Pour cela, elle organise des soirées de networking, ainsi que des ateliers et des formations avec des lycéen.ne.s et collégien.ne.s de Seine-Saint-Denis. Au programme : rencontres, partage de savoirs et estime de soi.

Entre-temps, sur les conseils des optimistes-bienveillants, Yves (rencontré par le biais de NQT [Nos Quartiers ont des Talents]) et Siham (amie rencontrée au Canada), je continuais de faire des rencontres et à envoyer des candidatures. Optimistes car ils sont parmi les rares personnes à ne jamais m’avoir demandé de revoir mes ambitions à la baisse. Ils m’ont encouragée et m’en ont donné les moyens en m’ouvrant leurs réseaux. Au fil des rencontres, j’ai appris, j’ai mûri et surtout, je suis davantage sortie de ma zone de confort pour contacter des personnes clés. Exercice très malaisant au début, mais je suis parvenue à y prendre goût. Sans l’avoir prévu, ces deux années m’ont permis de me préparer au poste que j’occupe aujourd’hui : responsable des programmes européens d’éducation chez Ghett’up.

Aujourd’hui, avec Ghett’up, nous donnons ce que nous aurions dû recevoir plus jeune. Aux plus jeunes, nous disons de rêver et qu’avoir trop d’ambition n’est pas un problème. Nous leur donnons les moyens de concrétiser tout cela à travers un programme de formations, des rencontres clés pour nourrir leurs réseaux et les pousser à être, à leur tour, des acteurs dans leur environnement. Nous valorisons ces jeunes auprès du grand public, mais surtout auprès d’eux-mêmes, car beaucoup d’entre nous avons finalement intériorisé ces schémas discriminants. Au point que nous nous contentons du minimum, au point qu’on se refuse à rêver de trop grandes ambitions, au point qu’on ne se demande finalement plus ce qu’on veut réellement. On s’arrange juste à rentrer dans ces cases : celles qu’on a prévues pour nous.

Ce témoignage a été réalisé lors d’un cycle d’ateliers d’écriture à destination des lauréats de l’Arc de l’innovation de Paris&Co.

« Pourtant, il y en a qui y arrivent », disent-ils. Oui, mais combien se sont mis volontairement des bâtons dans les roues avant qu’on ne le fasse pour eux ? Pire, combien se refusent à se demander ce qu’ils veulent réellement pour éviter de payer le prix social, financier et psychologique de leurs ambitions ?

Khadidja, 28 ans, salariée, Aulnay-sous-Bois

Crédit photo © Khadidja S.

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2 réactions

  1. Merci beaucoup à vous !

  2. Très beau témoignage… poignant..mais positif et boostant pour les jeunes ..qui souffrent de l’exclusion de leurs rêves
    Bravo Ghuett’UP

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