Kim Z. 05/04/2016

« Ne deviens pas avocate ! »

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« Le travail nous éloigne de trois grand maux, l’ennui, le vice et le besoin », écrivait Voltaire. Le travail, à la fois instrument de torture et clé de la liberté, après lequel nous courons autant que nous essayons d’y échapper.

 

Un bac +5 ne suffit plus aujourd’hui

J’ai choisi les études longues, les soirées en tête à tête avec le Code civil pendant que les autres sortaient faire la fête, la panique à l’approche des partiels, la quête du diplôme, petit bout de papier salvateur. Les pages et les pages lues, assimilées, apprises, travaillées, régurgitées. La compétition, à se robotiser, à en oublier le sens des réalités. A force de nous répéter que dans ce concours de beauté, il faut se démarquer, se faire remarquer, passer les sélections, être le meilleur, accumuler les diplômes, parler plusieurs langues; pour avoir la chance d’exercer un métier qui nous plaira un tant soit peu, ou tout simplement, gagner sa vie. La pression de trouver sa voie, vite, trouver sa place, dans une société qui en laisse de moins en moins.

J’ai mis du temps à comprendre que personne ne nous attendrait à la sortie avec des offres d’emplois toutes chaudes, des sourires et des cookies. J’ai mis du temps à comprendre qu’un bac + 5 ne suffit plus aujourd’hui. Que pour trouver un stage sans contacts, même non payé, ou un job étudiant pour l’été, j’allais devoir me battre.

J’ai vu des avocats débutants au SMIC

Je suis partie étudier à l’étranger, consciente que l’expérience et la maîtrise des langues m’ouvriraient plus de portes. J’ai distribué des compotes aux arrêts de bus, j’ai vu mes amis travailler dans des magasins, des fast-food ou des usines à côté de leurs études ; fatigués, dépités de devoir parfois manquer des cours. J’ai vu, en première année, un professeur diviser de sa main l’amphithéâtre de cinq cents personnes en trois, et dire qu’à la fin, il n’en resterait plus qu’un tiers ou moins. J’ai vu des jeunes diplômés s’insérer plutôt bien, d’autres enchainer les stages non rémunérés, barbotant dans l’océan que représente ce flou transitoire qui sépare le monde universitaire de la vie active. J’ai vu des avocats débutants toucher un SMIC après sept ans d’études.

Et puis j’ai entendu. Lors de mon premier jour de stage en cabinet d’avocats, angoissée, toute excitée et fière, si fière, du haut de mes 19 ans ; entendu « ne deviens pas avocate ». Que la période est difficile, le marché du travail exigeant, même avec plusieurs diplômes.

Que l’avenir n’est pas en France.

Qui sont les prochains sur le marché de l’emploi ?

J’ai entendu qu’aujourd’hui, le travail est rare, fuyant : tout le monde en veut, peu en offrent. Entendu qu’à coup de licenciement économique et de prévalence des accords d’entreprises, on mutilait le Code du travail. Entendu dire avec mépris que les jeunes, les étudiants, les lycéens, feraient mieux d’aller réviser leurs examens pour espérer trouver un emploi un jour, plutôt que de sortir manifester dans les rues contre le projet de loi travail.

Pourtant, qui sont les prochains sur le marché de l’emploi ? Qui sont les plus touchés par le chômage, la précarité ? Ne dévalorisez pas nos diplômes, n’augmentez pas nos heures de travail pour quelques euros de plus, n’en rajoutez pas à cette instabilité déjà si présente. La jeunesse a besoin de vraies mesures, d’aide à l’insertion. Elle a besoin qu’on lui donne la parole. Qu’on lui fasse une place.

Je continue, j’y crois. Consciente de faire partie des privilégiés, d’avoir pu bénéficier d’une éducation gratuite, de qualité. On m’a appris qu’une carrière est parfois un sacrifice ; toujours une force. Une fierté. Se réveiller, se sentir utile. Aimer ce qu’on fait.

 

Kim Z., 21 ans, étudiante, Paris

Crédit photo Gratisography

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