Arthur J. 30/10/2019

Parole de prof (1/6) : « J’enchaîne les établissements et ça m’use »

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Titulaire sur zone de remplacement (TZR), Arthur navigue entre différents niveaux, classes et programmes... un casse-tête qu'il n'a pas choisi.

Non, ce n’était pas une vocation. Non, je n’ai pas fait ce choix par défaut. Oui, j’aime enseigner, mais aujourd’hui j’en saigne. Je veux parler d’un système qui, dès les premières années m’a procuré un tel sentiment d’insécurité que je ne passe plus un jour sans songer à une reconversion. Parce que je suis TZR, prof titulaire mais sur zone de remplacement, et que j’enchaîne les établissements.

J’ai été admis au Capes (certificat d’aptitude au professorat du second degré) de français, je retournais donc à la fac avec le master 2 MEEF (master de l’enseignement, de l’éducation et de la formation), un mémoire, et un stage/premier poste à… Brive-la-Gaillarde. Je venais de prendre un appartement à Limoges, à 90 kilomètres ! N’ayant pas de voiture, j’ai pris le train jusqu’en novembre, passant quelques nuits dans une auberge de jeunesse un peu glauque pour pouvoir dormir deux heures de plus. Les trains étant à 6 heures du matin, et le retour parfois vers 20 heures. Je déboursais tout cela de ma poche. J’ai fini par trouver un logement de fonction dans un autre établissement que le mien à Brive.

J’étais alors en collège, au milieu de la réforme de Najat Vallaud-Belkacem. Je devais appliquer en cours les anciens programmes, tout en apprenant les nouveaux en master 2, mais avec quelques séquences sur l’ancien. On me faisait comprendre à l’époque qu’il ne fallait pas prendre position malgré les conflits internes. À l’époque, les mouvements de grève et les contestations étaient nombreux. Rester à l’écart donc, et m’assurer une titularisation tranquille, sans faire de vagues.

Le #PasDeVague a beaucoup tourné sur Twitter. La parole des profs s’est libérée et, avec elle, les problèmes de l’Éducation nationale. Parmi eux, @LesStylosRouges se battent pour de meilleures conditions de travail du personnel éducatif.

 

Lorsque l’on passe le Capes, il faut faire des vœux pour les mutations. À la fin de mon année de stage, avec le système de points et le nombre de places disponibles, je n’ai pour l’instant eu que des postes de titulaire remplaçant, dit TZR. J’avais 21 points, le minimum de départ : ceux qui ont le plus de points obtiennent leurs premiers vœux, ceux qui n’en ont pas assez devront se contenter de ce qu’il reste. Comme moi. J’aimais bien mon établissement, le fonctionnement d’un collège de REP+, mais j’ai appris que je devais quitter l’académie de Limoges pour celle d’Amiens. Ok… mais où ça ?

Au mois de juillet, on m’a dit Beauvais. Mais je n’avais pas encore de poste. Contrairement à un poste fixe, qui permet une stabilité, être TZR signifiait que j’étais malléable. Exactement comme un contractuel, à la différence qu’un TZR n’a pas la possibilité de refuser un poste. Au moins, il sera rémunéré même si le rectorat ne lui trouve pas immédiatement un poste. Ça m’a fait hésiter à poursuivre ce métier : un déménagement vers l’inconnu, sans savoir si je serai véritablement à Beauvais (où se trouvait mon établissement de rattachement) ou bien à 40 kilomètres, dans un, deux, voire trois établissements.

Et j’ai atterri à Beauvais ! Mais entre un lycée et un collège (mon établissement de rattachement) dans lequel on me faisait faire différentes activités car aucun poste n’était disponible : CDI, accompagnement personnalisé, cours en co-intervention et atelier théâtre (ça, ça me plaisait beaucoup). Je n’ai su que plus tard que je pouvais refuser ce type de tâches et me contenter de pointer pour faire le nombre d’heures nécessaire. Mais j’y avais pris goût ! Malheureusement, au milieu de l’année, un troisième établissement s’est substitué au second puisque le travail que j’effectuais dans ce collège n’était qu’une manière de compléter un service incomplet. Le lundi d’après, je recommençais avec deux nouveaux niveaux à préparer : des secondes et des BTS en deuxième année.

TZR c’est quatre classes, trois niveaux et deux établissements

J’ai appris en quelques jours ce en quoi consistait la CGE (culture générale et expression), ainsi que les modalités d’examen des élèves. Je conservais donc deux classes de première STMG dans le premier lycée et réalisais le reste de mon service dans un autre avec les secondes et les BTS. Je n’allais au collège que pour l’administratif (de type fiches de paie). Quel déchirement en passant dans la cour lorsque les élèves m’ont demandé pourquoi je ne venais plus, et pourquoi ils ne pourraient pas faire le spectacle. Il m’était impossible de cumuler les nouveaux cours avec cette activité.

Je me sentais peu à peu sombrer. Je faisais des malaises avant les cours, je passais des nuits entières à préparer des cours et corriger des copies. J’ai décidé de démissionner si je n’étais pas muté ailleurs. J’ai joué tous mes points ESPE sur un coup de poker (50 points sur mon premier choix) et j’ai quitté Beauvais à la fin de l’année.

Le 21 septembre, Christine Renon, directrice d’une école maternelle à Pantin, s’est donnée la mort. Sa lettre, décrivant la situation professionnelle insoutenable qu’elle vivait, fût énormément relayée et de nombreux acteurs du corps enseignant exprimèrent le malaise palpable dans l’Éducation nationale.

Arrivé dans l’académie de Poitiers, et malgré les informations très tardives concernant les établissements où j’allais être affecté (toujours TZR hein…), j’ai vécu l’année suivante en REP+ comme une guérison : je retrouvais des amis, une vie en dehors du travail, j’ai repris le sport, le théâtre. J’étais à seulement 30 kilomètres de Poitiers où j’avais un appartement. Cette ville était au centre de mon département d’affectation et m’évitait potentiellement un autre déménagement l’année suivante. J’étais sur un seul établissement avec seulement deux niveaux ! La directrice, ainsi que des collègues, m’ont encouragé à demander à nouveau l’établissement l’année suivante mais… le statut de TZR ne permet aucune promesse. Quelques mois plus tard, je débutais la nouvelle année scolaire entre ce même collège (onze heures) et un lycée que je ne connaissais pas (huit heures).

Quatre classes, trois niveaux : une classe de sixième, une de cinquième, et deux classes de première avec plus de 30 élèves dans chacune que je devais encore préparer au bac. Prenant tous les matins à 8 heures, c’était reparti pour le train de 6h55, et les retours tardifs… L’alternance dans la même journée des deux établissements – des sixièmes de REP+ le matin aux lycéens l’après-midi et l’inverse le lendemain – était une sacrée gymnastique mentale. Je faisais de moins en moins bien mon travail, des parents me le faisaient comprendre. J’ai de nouveau terminé l’année avec la sensation d’avoir été vidé de ma substance alors j’ai demandé un temps partiel, tout en espérant être muté en collège. Je savais que les premières années après la réforme du lycée seraient usantes.

Ma santé physique et mentale décline peu à peu

Je devais reprendre des forces, me retrouver, voir des amis… et je voulais reprendre le conservatoire de théâtre, préparer une certification pour pouvoir enseigner la spécialité. Il fallait l’accord de la cheffe d’établissement, qui me l’accorda sans réserve. De nouveau, l’espoir ! Mais étant TZR, il aurait fallu que je sois de nouveau nommé sur cet établissement…

Bref, en juillet dernier on m’affectait en lycée, sur deux établissements dans deux villes différentes (Châtellerault et Jaunay-Clan) avec trois niveaux (seconde, première et BTS). 20 heures par semaine en présentiel, soit deux heures supp’ (obligatoires depuis la réforme).

Je suis rentré depuis six semaines et ma santé physique et mentale décline peu à peu. Entre les préparations, les corrections, les larmes en salle des profs (pas les miennes, pour l’instant) et les parents qui veulent comprendre la réforme. Sans oublier les élèves et leur panique face aux nouvelles épreuves, la mienne aussi… Je fais erreur sur erreur, je délaisse les classes avec lesquelles tout se passait très bien au début de l’année pour ne pas prendre trop de retard avec d’autres. Et chaque fois que je relève la barre d’un côté je sens tanguer un nouveau bateau. Je sais que je pourrais faire mieux mais je n’ai plus la force.

Il semblerait que l’enseignement supérieur ne soit pas non plus épargné ! Hausse des frais de scolarité, baisse des effectifs… à bout dans son école d’ingénieur, les profs de Théo se sont mis en grève. Et les élèves les ont soutenus, unis pour une certaine idée de l’éducation.

Là, j’écris entre deux corrections. Si vous me demandiez, maintenant, si j’aime mon métier, je pourrais passer des pages et des pages à parler des bons moments passés avec les élèves et du sens qu’a l’enseignement pour moi. Mais je n’ai pas le temps de l’écrire, parce que ces moments appartiennent chaque jour un peu plus au passé. Parce qu’ils s’effacent et parce que, face à la souffrance engendrée par les conditions de travail, ils deviennent une bien maigre consolation.

Arthur, 28 ans, enseignant, Poitiers

Credit photo Unsplash// CC Andy Baeles

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