Celia B. 03/03/2014

Laissez-nous prendre des risques !

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Suite à un article racontant l’histoire d’un jeune diplômé voulant devenir plombier, Célia a souhaité réagir, et pousser un coup de gueule.

Dans un article publié sur un blog du Monde, intitulé « Sciences Po, mention plomberie », on a découvert l’aventure atypique d’un jeune homme fraîchement diplômé ayant décidé de reprendre une formation en apprentissage pour devenir plombier.

L’article a attiré un certain nombre de pouces sur Facebook et des commentaires admiratifs. Honnête et sagace, ce futur expert en plomberie écrivait toutefois  : « Finalement, il y a quelque chose de très bourgeois dans ce que je fais, alors que, contrairement à mes camarades du CFA, j’ai la chance de pouvoir trouver un autre travail si la plomberie ne marche pas. »

Le privilège de choisir son orientation

Dans le mille ! C’est sur ces paroles que je veux rebondir : je travaille actuellement dans une association d’éducation populaire, chargée d’étude sur ce qu’on appelle aujourd’hui le « décrochage scolaire ». J’interroge le sens que prend l’engagement en service civique pour ces jeunes sortis de formation initiale sans diplômes, qui bousculent les normes établies. Pour se permettre le luxe de l’aventure, ces jeunes n’ont a priori pas le bagage, à la différence de notre futur expert en robinetterie. Et pourtant, de gré ou de force, ils ont décroché.

Du temps pour se chercher

Contre l’injonction à l’orientation, au diplôme et au projet d’avenir, je voudrais crier avec eux : « LAISSEZ-NOUS PRENDRE DES RISQUES ! » Donnez-nous le temps et les moyens de nous chercher, sans pour autant que cela nous stigmatise et nous coupe de celles et ceux, du même âge, qui sont restés dans le circuit conventionnel. Favorisez au contraire les échanges au sein d’une même génération, parmi laquelle les individus ont choisi différentes voies d’appropriation du monde et d’implication dans la société.

Lors de mes entretiens, il est rare que le terme de « décrochage » ou de « décrocheur » fasse l’unanimité auprès de celles et ceux qu’il est censé désigner. Il suscite généralement un silence perplexe, un sourire confus et culpabilisé, voire encore de la colère. Avec une durée de vie qui s’allonge, un encouragement à la mobilité et à la créativité, des exigences réitérées sur les offres d’emploi d’un bagage d’expériences fourni, je me demande toujours pourquoi les normes qui valorisent un parcours scolaire « sans faute » effectué à toute vitesse dans un temps imparti conventionné sont encore aussi rigides et pesantes.

L’orientation c’est se chercher, se trouver, se placer

Sur un marché du travail internationalisé et qui est censé refléter, en Europe et d’ici 2020 « l’économie de la connaissance la plus performante du monde », le diplôme peut certes apparaître comme nécessaire : un gage de compétences. Cependant, en travaillant sur les passerelles et la formation tout au long de la vie, en dé-sanctuarisant les établissements de formation secondaire, les universités et les établissements de formation professionnelle en encourageant leur ouverture sur l’extérieur, on peut imaginer plus idéalement des parcours zigzags et progressifs, qui s’autorisent une escapade à l’étranger, la découverte d’un métier artisanal et/ou agricole, une expérience associative…

Éviter le « tout droit dans le mur »

Des parcours qui prennent le pari de l’aventure, des individus qui travaillent leurs appuis, leurs forces et leurs faiblesses. Des jeunes qui réfléchissent, avec les adultes, sur leurs réussites et leurs échecs. Se chercher, se trouver, se placer, et comme on en a jamais fini, on recommence. Sans culpabiliser.

Un professeur adepte du vélo nous a un jour déclaré : « Vous savez comme moi, quand on a la tête dans le guidon, c’est le meilleur moyen pour se prendre un mur. » On m’a suggéré un autre titre pour cet article qui aurait pu s’intituler : « J’ai décroché, et alors ? J’ai simplement choisi d’éviter le mur et de pédaler plus doucement pour me laisser (enfin) le temps d’admirer le paysage. »

Célia, 25 ans, étudiante en alternance, Rennes 

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4 réactions

  1. Merci à toutes et à tous pour vos commentaires. Je suis optimiste car je me dis qu’avec tant de visions convergentes -dont nous ne sommes qu’une illustration micro-, les choses vont devoir bouger. Heureuse que le mot “projet” suscite des réactions d’urticaire chez d’autres personnes (à ce propos la conf’ (45 min) de Léa Lima sur l’allocation du FAJ aux jeunes en difficulté à l’EHESP le mois dernier, re-visionnable pour constater que cette injonction se développe implicitement envers les publics les plus fragilisés et qui, pour le coup, sont encore plus éloignés de formuler tout projet ou du moins ce que les attributeurs considèrent comme un “bon” projet). Quentin, si tu ne l’as pas vu, je te recommande le sketch de Frank Lepage sur les mots-valises. Le prochain article pourrait être sur l’injonction à la citoyenneté envers les jeunes qui, semble-t-il, en ont perdu le sens et la vertu…. 😉 ça aussi, c’est comme le projet, on commence à la voir partout… Elodie, Laura, vous laissez pas faire, vive les parcours zigzag! après c’est certain qu’il faut un système politique et économique qui facilite ce genre de parcours, avec des aides et autres filets de rebond. Et ce genre de choses, ce n’est même pas à dépoussiérer, c’est à créer! ça aurait été chouette de discuter avec vous de tout ça, et de refaire le monde, à notre échelle….. micro. Bonne route!

  2. Célia, je partage totalement ton avis que tu argumentes à merveille dans ton article.
    Oh que oui l’éducation nationale française a besoin d’être dépoussiérée.

    Et moi qui suis actuellement en recherche de stage je peux témoigner, un parcours académique de choix n’assure rien du tout. Les employeurs cherchent des jeunes avec de l’expérience! Mais le système français ne nous laisse pas la place d’expérimenter.

    Je suis moi aussi une étudiante de Sciences Po et pour arriver en Master 1 de cette école dite “formatrice de l’élite de demain” j’ai bien suivi toutes les étapes du manuel de la bonne élève.com. J’ai passé mon bac tout en faisant une prépa’ pour avoir une chance de décrocher le concours, je suis entrée dans l’école et puis aujourd’hui je me retrouve en M1 à 22 ans avec sur mon CV une jolie partie formation et quelques petits boulots étudiants dans la partie professionnelle. Me serais-je dirigée vers cette école en ayant eu l’opportunité d’aller voir en dehors de l’école quelque temps après mon bac? Peut être, mais je m’y serais engagée avec une motivation basée sur plus que sa renommée.

    J’ai eu la chance d’avoir des gens autour de moi qui m’ont donné l’idée de tenter Sciences Po et donc de pouvoir comme pour l’exemple donné par Célia, me rediriger vers un autre parcours plus aisément une fois mon diplôme en poche. Mais ça n’est pas comme ça que ça devrait fonctionner, ça n’est pas seulement le diplôme qui devrait être valorisé dès l’arrivée au Collège mais bien le développement personnel de chacun qui s’étoffe à travers des expériences à droite à gauche.

    J’ai la chance d’étudier avec des étudiants venant de partout à travers le monde et tous me regardent avec de grands yeux quand je leur dis que j’ai 22 ans. “22 ans en Master mais ça n’est pas possible” me disent-ils. Oui parce qu’il faut savoir que dans beaucoup de pays on fait ce que j’appellerai une “pause pro” entre sa licence et son Master. On va travailler, acquérir de l’expérience sur le terrain. Et parfois on change complètement d’orientation et on décide de faire un Master en Psycho’ alors qu’on a un bagage ingénieur. Ou alors on décide de ne pas faire de Master du tout.

    Il faut cesser cette dictature du diplôme, faire de longues et soit disant grandes études ne devrait pas être une fin en soi. Laissons nous prendre des risques comme le dit si bien Célia, laissons nous acquérir notre propre expérience à travers du bénévolat, des voyages et des boulots dans des domaines divers et variés.
    Et cette expérience il faut donner la possibilité, déjà, aux collégiens et aux lycéens d’aller l’acquérir. On ne nous parle pas assez de tous ce qui existe en dehors de l’école et on ne nous laisse pas le temps de nous investir ailleurs.

    Il faut dépoussiérer le système, ça urge…

  3. Laura ce que tu dis me rappelle le spectacle de Franck Lepage Incultures:
    http://www.youtube.com/watch?v=CloBuJEmrbw

    A la fin du spectacle (2H04) il affirme que le mot le plus utilisé dans les manuels de management est le mot PROJET.

    C’est ce mot et l’idéologie qu’il renferme qui fait de nous des consommateurs-producteurs et non des citoyens, parce que vivre ne suffit plus!
    Le citoyen ne devrait pas avoir de projet final préétablis, il devrait construire au jour le jour avec ses concitoyens une société dans laquelle il souhaite vivre sur le long terme. C’est tout simplement la vie.

    Et pourtant on sait ce qu’ont donné dans l’histoire les projets de société pré-établis: les totalitarismes.

    La vie ne se résume pas à un plan de carrière, encore heureux!

  4. Je suis entièrement d’accord avec cet article. Et derrière ce que tu as écris, on voit transparaitre l’importance qu’à pris la notion de “projet” dans la vie des jeunes.
    Pour les collégiens et lycéens qui sont encore dans le circuit “classique” c’est d’orientation qu’il s’agit. Mais dès qu’on sort des sentiers battus, alors il faut tout de suite le justifier avec un “projet”.
    “Tu ne veux pas passer ton bac cette année? Mais alors quel est ton projet?”
    “J’espère que tu as un bon projet pour ne pas vouloir continuer ta licence!”
    ou encore “Ah c’est bien de vouloir partir à l’étranger! Tu as pensé à tout ce que ça pouvait t’apporter dans ton projet?”

    Mais moi, j’ai pas envie d’avoir de projets.

    Je veux pouvoir être libre de ne pas sentir le besoin de passer mon bac à 18 ans, de faire une coupure dans mes études, de partir en voyage sans avoir besoin de le justifier en complétant une fiche de projet ou serait demandés les objectifs à court termes, les moyens utilisés, un échéancier, les compétences développées, la mise en place de l’évaluation, …
    Les projets ça sert juste à permettre que les autres valident ce qu’on veut faire de notre vie. ça les rassure.
    Mais nous, ça nous rassure, ou ça nous freine?

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