ZEP 18/12/2013

Terminale, tout le monde descend

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Un lycéen sur 10 travaille pour financer sa scolarité. Pour moi, cela signifie beaucoup de sacrifices : pas de week-end et peu de vacances.

Ma vie fait un peu vide en ce moment. Je viens de passer mon bac S sciences de l’ingénieur et tout s’est assez bien passé pour ne pas stresser d’avoir les résultats, une mention peut-être. J’étais en internat depuis deux ans, deux ans avec les mêmes personnes que je côtoyais quasiment 24/24h et tout s’est arrêté d’un seul coup depuis deux semaines maintenant.

J’avais fait beaucoup de sacrifices pour pouvoir aller dans cet internat : mention très bien au brevet pour obtenir la bourse de mérite en complément des autres bourses qui étaient reversées à ma mère et sans lesquelles elle n’aurait jamais pu payer. Je m’y suis senti bien, hormis les broutilles classiques de l’adolescence, j’y ai rencontré des personnes qui m’ont énormément apporté, qui m’ont permis de me sociabiliser, de pouvoir faire confiance à d’autres que ma famille.

Maintenant tout cela est fini. Je suis accepté dans l’école où je voulais aller, à plus de 300km de tout ça, sans y connaître personne. Je suis curieux de savoir si je suis capable de recommencer quelque chose avec ce petit bagage en plus.

Le job d’étudiant comme vacances

Mais pour l’instant, c’est le plat complet. Je suis dans une routine que je ne souhaite jamais revivre. Depuis le mois de mars, je travaille le samedi matin dans une usine d’agro-alimentaire où je mets des cartons sur des palettes à longueur de journée afin de pouvoir assurer ma survie dans les prochaines années à venir, ou au moins la première…

C’est bien payé, l’ambiance est correcte, c’est un peu physique et je rentre très fatigué, mais je sais que je n’ai pas à me plaindre car tout le monde a besoin d’argent et j’aurai ma part du gâteau à la fin de ces deux mois d’été, quand d’autres auront passé leur temps à flâner. Je n’aurai jamais pensé que je me lèverai presque tous les jours à 5h du matin en plein été. J’ai pris la responsabilité de ne pas prendre de vacances et j’ai l’impression de m’être interdit la liberté de profiter des derniers moments de fêtes avant de commencer la vie dont on me parle depuis très longtemps.

Des plaisirs minuscules

Alors maintenant, le seul plaisir que je savoure, c’est celui du trajet entre l’usine et ma maison, que je peux effectuer grâce à la voiture de ma grand-mère généreusement prêtée pour cette période, où je roule à fière allure, toit-ouvrant et fenêtres grands ouverts, le vent qui me fouette le visage. Ça me rappelle d’ailleurs un livre dont ma prof de français de seconde nous avait parlé, La Première Gorgée de bière et autres plaisirs minuscules de Philippe Delerm. C’est peut-être ainsi qu’on réussirait à redevenir à être heureux dans les périodes dites « calmes » de la vie, si on prenait conscience de tous ces petits instants au lieu de se concentrer uniquement sur les petites douleurs passagères, les petites engueulades avec untel ou untel.

De l’optimisme !

Il paraît donc important de regarder les points positifs. Dans ma situation, je peux me dire que certaines personnes avec qui je travaille exécutent cette tâche 5 jours par semaine, 50 semaines par an, moins les jours fériés, depuis plus de 30 ans. Plutôt motivant lorsque vous n’avez même pas vécu ce nombre d’années. Et puis j’ai pu relater l’expérience du travail en usine lors de mes entretiens de motivation pour mes écoles, ce à quoi les différents jurys n’ont pas été insensibles, puisqu’on sortait des visions scolaires et stéréotypées de ces genres de travail. On pourrait alors parler d’un mal pour un bien, d’heures de sommeil et de travail sacrifiées au profit d’une expérience différente de la majorité. Une mention très bien troquée contre un peu d’argent et des courbatures.

Tiens, il se met à pleuvoir. On est pas en juillet pourtant ? Merde, le toit ouvrant.

 

Léon, 18 ans, ex-lycéen, à la campagne en Poitou-Charentes

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1 réaction

  1. Superbe témoignage!

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