Noâm K. 11/12/2018

Un banlieusard dans une prépa parisienne

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Banlieusard venant d'une ville populaire, Noâm a vécu son passage dans une classe prépa parisienne comme un décalage douloureux, mais aussi un moment d'ouverture essentiel.

Quand mon prof principal de terminale m’a proposé d’inscrire des CPGE (Classes Préparatoires aux Grands Écoles) littéraires dans mes vœux d’orientation, deux semaines avant la fin des délais, je n’ai pas pu m’empêcher de froncer les sourcils. Un élève plutôt bon, capable d’encaisser les mauvaises notes, d’accepter la pression et plutôt ambitieux : j’avais le profil prépa. Mais voilà, je viens de Vitry-Sur-Seine, ville populaire du 94, et là-bas, c’est les études professionnelles et l’UPEC qu’on nous propose généralement. Forcément, je ne savais pas à quoi m’attendre, mais il m’a suffi d’entendre « études supérieures », « le meilleur choix possible pour un L », pour que mon ambition me pousse à suivre son conseil.

Dès la rentrée, j’ai compris que je rentrais dans un nouveau monde : des livres à 50 euros, des sorties scolaires à faire dans des musées pour « seulement » (selon le professeur) 20 euros… Toute ma bourse y passait. Mes amis m’avaient dit : « Prépa, c’est pour les riches, les fils de et compagnie. » Mes camarades étaient différents : des provinciaux, généralement aisés, installés dans des studios à Paris et des Parisiens des beaux quartiers. Il y avait aussi des banlieusards, mais de communes riches comme Vincennes ou Neuilly-sur-Seine qui préfèrent payer des taxes plutôt que d’installer des HLM.

J’étais déconnecté. Quand je parlais d’où je venais, j’avais l’impression de parler d’un monde imaginaire à certains camarades. On associait mon département essentiellement au rap : « Ah ouais Vitry ! Je connais, j’ai vu Kery James à la fête de l’Huma… » Il est d’Orly, mais je préférais ne rien dire, on m’aurait parlé de l’aéroport pour rebondir. Souvent, j’entendais des clichés sur la banlieue ou des réflexions déplacées qui m’irritaient grandement, comme ce moment où l’un de mes camarades a trouvé drôle de qualifier notre établissement type années 60 de « logement social », lui qui vivait paisiblement dans le 11ème arrondissement de Paris. La goutte d’eau, c’est quand on m’a demandé si je connaissais un bon dealer après avoir appris que je passais beaucoup de temps à Ivry-sur-Seine, moi qui n’ai jamais touché à aucune sorte de drogue. J’étais aussi le seul à être d’origine arabe, et avec une religion. Beaucoup de mes camarades n’hésitaient pas à critiquer haut et fort les religions.

En prépa, j’étais en décalage partout

En prépa, mon rapport à ma ville, Vitry-sur-Seine, a changé. Pour aller à l’école, je suis passé de dix minutes à une heure (au mieux). Le RER C et ses nombreux contretemps ainsi que le tramway, souvent défaillant, sont devenus mes nouveaux compagnons de voyage. J’allais à Paris, la capitale, quand avant je me déplaçais essentiellement dans ma ville de toujours. Paris, avant la prépa, c’était pour les grosses sorties entre amis. Mon emploi du temps était chargé et quand je rentrais chez moi à 20h, je préférais me changer les idées devant Fifa que poursuivre ma journée de travail, ponctuée d’endoctrinement élitiste. Aller voir des amis est devenu un parcours du combattant : « Samedi je fais une soirée, t’es dispo ? » Et toujours la même réponse : « Non, j’ai un DST à 8h et après faut que je révise. »

Sans surprise, on a commencé à moins m’inviter, on me reprochait de « changer », d’oublier d’où je venais. Je n’arrivais pas à jongler entre ma vie de banlieusard et celle d’étudiant investi dans l’« élite de l’Education nationale ». Sans le remarquer, je me suis progressivement tourné vers mes camarades, ceux que je considérais comme des « fils à papa », des riches sans aucun mérite qui se vantaient de leurs voyages tout autour du monde. Il y en avait, certes, mais contrairement aux idées reçues que j’avais sur eux, ils n’étaient pas tous des enfants gâtés ou méprisants. Certains, même, connaissaient des conditions similaires aux miennes, mais dans un milieu différent qui m’était en réalité tout autant étranger que le mien pour eux. Quelques-uns vivaient dans des conditions tout aussi modestes que les miennes, mais dans un milieu péri-urbain. On vivait la même galère de la prépa. Ça ne pouvait que nous rapprocher.

Être traitée comme une « banlieusarde », Sana l’a connu mais dès le lycée ! Elle se sentait jugée par des profs frustrés.

Un homme est debout au milieu d'une classe. Il pointe du doigt vers quelque chose. Autour de lui, de jeunes enfants sont assis à leur table. En fond, on voit un mur peint en vert canard, un rideau crème et des affiches artistiques avec des profils dessinés et colorés.

C’est en sortant de la prépa que j’ai compris que ce que je voyais comme un décalage douloureux a aussi été pour moi un important moment d’ouverture. Être un banlieusard de ville populaire, que ce soit Bobigny, Evry ou Vitry-Sur-Seine, c’est être victime d’une ségrégation spatiale mais aussi être constamment vu comme moins « important que Paris », moins « poli » et tous les stéréotypes véhiculés par les chaînes de télévision. En rentrant en CPGE, j’avais déjà en tête que j’allais être le seul à connaître des difficultés financières, de transports… Et mon principal but était d’assumer d’être le banlieusard de ville populaire et de réussir malgré tout. J’insistais sur ma ville, comme pour affirmer mon appartenance et pour me démarquer. « Vitry capitale européenne du graffiti », « ville importante du 94 », tous les moyens étaient bons. Mais en rentrant dans ce nouveau monde, j’ai appris de nouvelles choses.

Aujourd’hui, je ne garde pas de très bons souvenirs de la classe préparatoire sur le plan éducatif, néanmoins, je n’ai pas honte de dire que le banlieusard que je suis toujours en a gardé quelques codes et amis.

Noâm, 20 ans, étudiant, Vitry-Sur-Seine

Crédit photo Adobe Stock // © luckybusiness

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