Yasmine M. 26/08/2020

Wesh la misogynie et la stigmatisation, bien ou quoi ?

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Issue des quartiers, Yasmine est fière de ses cultures et de son argot. Même s'ils lui valent une stigmatisation qu'elle ne tolère plus.

Je parle l’argot, je suis une meuf, je viens d’un quartier « sensible » et mes appartenances culturelles multiples me valent une stigmatisation systématique !

Par exemple, on m’a déjà dit que j’parlais comme un bonhomme ou que j’avais « un accent de la cité ». Au début, je le prenais mal car pour moi, c’était quelque chose de péjoratif. J’avais pas entièrement tort, « l’accent de la cité » est mal connoté dans l’imaginaire collectif parce qu’il renvoie directement à la représentation médiatique qu’on a des banlieues et des quartiers populaires. Je pense par exemple aux excellentissimes reportages de Bernard de la Villardière hyper neutres, professionnels et bienveillants (lol), les reportages sur les trafics de drogues et j’en passe.

Dans ces émissions, habituellement, c’est des mecs qui sont mis en scène. Et pas de façon très élogieuse. Je remarque d’ailleurs que c’est généralement des hommes qui sont les visages ou les vitrines de nos quartiers, que ce soit pour les réussites ou les échecs. Les personnes issues de la « culture urbaine » qui ont percé dans le rap, le cinéma, le stand-up, le sport ou autre et qui sont le plus médiatisés sont très souvent des hommes (diversité je te cherche).

Stigmatisation et argot : rester soi-même c’est une manière de militer

Du coup, quand moi, meuf issue de ces mêmes quartiers, je m’exprime, je vais automatiquement être assimilée à une certaine masculinité alors que non en fait, c’est juste une manière de parler qui est propre au territoire. On va pas dire à une fille du Sud qui a l’accent toulousain qu’elle parle comme un bonhomme. Je parle de cette manière parce que j’habite dans une cité moi aussi, rien à voir avec le genre, c’est simplement un héritage culturel.

Je suis fière de mon accent et de mon argot car ils sont nés d’un mélange de cultures toutes plus riches les unes que les autres, du nouchi ivoirien en passant par le créole et l’arabe. C’est un beau bagage à porter avec soi. Rester soi-même et ne pas essayer de s’assimiler à la blanchité en changeant sa manière de parler, de se vêtir et d’agir, c’est une manière de militer en soi. Surtout dans des milieux où je suis en minorité visible et où on aura tendance à douter de ma légitimité.

Sur Instagram, j’ai demandé à mes followers s’ils et elles avaient déjà été pointé·es du doigt concernant leur manière de parler et une des réponses m’a particulièrement plu, je tenais à la partager : 

 

Retrouvez les autres témoignages ici

À l’inverse, quand je vais m’exprimer de manière plus soutenue, je vais avoir droit au fameux « tu fais trop la babtou toi » venant des miens et à l’excellent « tu parles bien pour une renoi/meuf de cité » venant des autres. Ce type de discrimination touche tous les sexes, c’est certain, mais il y a un paramètre misogyne à tout ça qu’on ne peut ignorer. En tant que fille j’ai l’impression (et une impression partagée) que ma manière d’être, de parler et d’agir est d’autant plus criblée. Les termes de b*urettes et de n*afou n’existent pas au masculins. Ça en dit déjà beaucoup.

C’est pas notre image qu’on doit changer mais le regard qu’on porte sur nous

En grandissant, j’avais très peu voire pas de modèles de réussite de femmes de couleur et plus spécifiquement noire à qui me référencer dans les médias. Ces dernières années, quand j’ai vu Aya Nakamura grimper dans les charts je me suis dit : « Putain enfin ! Une meuf, noire, qui parle l’argot fièrement qui PERCE ! » J’étais vraiment enjaillée puis ensuite, j’ai vu comment elle a été traitée médiatiquement, comment elle se faisait lyncher sur les réseaux sociaux par rapport à son physique et sa manière de parler… La hype est vite redescendue. On en est encore là genre ? Affolant…

J’ai l’impression que les filles des quartiers, on est un peu invisibles d’un point de vue sociétal. Qu’on nous oublie dans les luttes féministes alors que la misogynie et le sexisme tirent notre veste de tous les côtés aussi. On est sous-représentées, discriminées, on peut pas se comporter comme on veut ni parler comme on veut car tout est sujet à stigmatisation.

Enfin, la discrimination par le langage est peu abordée or traiter la problématique est primordiale pour désamorcer les privilèges et les stigmatisations. Le problème, c’est pas qui on est et comment on parle, mais comment on est perçus et qui décide de ce qui est correct ou pas ? Avec quel prisme ? Comme le dit Edouard Zambeaux : « C’est pas notre image qu’on doit changer mais le regard qu’on porte sur nous ! » 

Je suis à ma place partout, avec tous les bagages culturels que je traîne et tout ce qui constitue mon identité.

Yasmine, 22 ans, journaliste, Chanteloup-les-Vignes

Crédit photo Yasmine par © Nathalie Hof

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3 réactions

  1. Déjà Yasmine merci d’avoir rédigé ton article.
    Il est fortement intéressant et je souhaite apercevoir davantage de new venant de toi et de t’es articles Bonne continuation.

  2. Je ne suis pas issue de banlieu mais je suis petite fille d’immigrés sicilien… quand j’entends mon fils de 11 ans rentrer du collège en disant wesh et wallah… alors que je suis catholique.
    Même si je suis désormais athée, ce vocabulaire me hérisse.
    C’est juste une question d’apprendre à s’exprimer correctement.
    On nous bassine avec la mixité sociale… le but c’était de tirer les quartiers vers le haut. Pas de dégringoler au niveau des quartier

    Si tu veux être avocat, « ta mère va niquer tes morts wesh »… risque de fort mal passer dans un prétoire

  3. Je viens de banlieue et j’adapte mon langage. Je ne parle pas de la même manière devant un éventuel employeur ou devant un ami. Il y a des gens que j’ai pas pu embaucher car ils ne SAVENT pas parler. « C’est moi je l ai », « Oklm » en entretien… Des banderoles « c’est nous on braque Paris » pour demander justice. Je travaille avec des enfants de issus des quartiers prioritaire et j’essaie de les corriger dès qu’ils s expriment mal. La richesse de l’argot est au niveau du vocabulaire c’est tout. On a le droit de rester poli aussi. Cette semaine une petite fille du 93, métisse m’a posé une question : « Il y a combien de réserves au juste ?! » On était en train de ranger après une journée d’activités très enrichissantes. J’ai répondu à sa question tout en la félicitant car elle parle très bien pour une petite fille de son âge… Désolé mais votre article c’est VRAIMENT de la merde.

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