Elsa L. 10/11/2018

Comment j’ai aidé une migrante à étudier et à se loger

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Décidée à aider les jeunes n'ayant pas été acceptés dans la filière de leur choix, Elsa a rencontré Laeticia, SDF. Elle l'a hébergée, et plus encore.

Il est souvent difficile de se dire qu’on a les capacités de venir en aide aux gens de manière concrète. Mais à plusieurs, c’est toujours plus motivant. Alors au début de l’été, on était quelques camarades de fac, assis à des tables pour accueillir les jeunes qui n’avaient pas été acceptés dans l’université et la filière de leur choix. Au départ, j’étais démoralisée par ce qui avait été imposé aux étudiants au niveau national et c’était plutôt difficile d’imaginer qu’on réussirait à obtenir des inscriptions même sur notre propre fac. Et puis, de plus en plus de personnes sont venues nous voir.

On était là tous les jours, du matin au soir, on parlait avec les jeunes, avec les parents, on essayait de répondre à leurs questions. J’étais témoin de ce que signifiait être sur le terrain. Cette fois-ci, je n’étais pas en conseil d’université avec des adultes qui, souvent ne t’écoutent pas, et contre qui tu ne peux rien. Je n’étais pas non plus en train de participer à des congrès qui n’aboutissent pas non plus. Cette fois, j’avais l’impression de servir à quelque chose. En tout cas, les jeunes que je recevais me le faisaient comprendre. Et puis, j’ai fait une rencontre qui m’a bouleversée, qui m’a permis de découvrir une autre forme d’engagement et qui m’a beaucoup « changée ». J’ai aidé une jeune fille qui voulait étudier, mais qui surtout, avait besoin d’un endroit où dormir.

« Merci pour tout ma fille »

Ne pas savoir où dormir la nuit, voilà un sujet qui a tendance à me terrifier et qui m’empêche parfois de dormir, alors que je suis moi-même au chaud sous une couette. Alors, le jour où j’ai rencontré Leaticia je n’ai pas pu faire autrement que de me mettre à sa place, et d’essayer de l’aider. Elle était sans papier et démarchait auprès de notre comité d’étudiants pour s’inscrire à la faculté de Nanterre. Au fil de la discussion, elle m’a expliqué qu’elle dormait dans un squat situé Porte de Clichy. Et là, j’ai eu comme un flash, cet été j’étais passée en voiture devant cet endroit, et ça m’avait fait froid dans le dos. Le genre de situation embarrassante comme lorsque l’on croise des SDF assis dans la rue et devant lesquels on passe souvent rapidement pour ne pas voir.

Avec une amie, nous lui avons proposé de venir dormir dans nos appartements respectifs. On ne pouvait pas rester là sans rien faire. J’ai été impressionnée par la générosité de mon amie Carla, qui même travaillant pendant son été, a toujours été là en cas de besoin. En plus de lui prêter son lit, elle gardait un peu d’argent de côté pour elle. C’est lorsque je suis revenue à Paris à la fin du mois d’août, que Laeticia est venue s’installer chez moi. Elle a déposé sa valise, qu’elle avait eu dans une association, et m’a montré avec beaucoup de joie les quelques vêtements qu’on avait pu lui donner là-bas. Au fur et à mesure, j’ai appris à la connaître. Elle me racontait ses histoires de famille, sa vie en Côte d’Ivoire, ou me parlait de « son mec ».  De temps en temps, elle avait sa mère au téléphone, qui m’adressait quelquefois la parole : « Tu es vraiment une princesse, merci pour tout ma fille. » J’étais gênée et bouleversée. En fait, je crois que je ne réalisais pas vraiment l’ampleur de la chose. Je n’arrivais pas bien à faire la différence entre héberger une de mes amies de la fac et l’héberger elle, si ce n’est que sa vie en Côte d’Ivoire n’avait pas l’air facile tous les jours, comme pour les études.

C’était une lutte collective

Lorsque que je lui racontais mes « aventures » lors des manifestations à Paris, elle me regardait toujours avec de grands yeux, comme si elle n’y croyait pas. Pour elle, on ne pouvait même pas lever le petit doigts sans se faire arrêter ou emprisonner. Je trouvais ces discussions passionnantes et je crois que Laeticia prenait du plaisir à me raconter ses expériences. Souvent, elle venait nous aider à la fac entre deux recherches d’emplois et était aussi déterminée que nous. Le fait de la voir tous les jours, de partager des moments avec elle, m’a fait me rendre compte à quel point elle se sentait bien et entourée. En fait, c’est tout ce que je voulais. Certains de mes camarades cherchaient des solutions pour son logement, d’autres se « battaient » avec la présidence de l’université pour son inscription en licence économie-gestion. C’était une lutte collective pour défendre les droits d’une jeune fille tout aussi méritante que nous.

Et puis, mi septembre, alors que je sortais d’un cours de philosophie, Laeticia m’a appelée pour me dire que la fac l’avait acceptée. Elle était tellement heureuse et moi aussi. C’était un des dossiers les plus compliqués pour la fac de Nanterre, étant donné sa situation, mais notre détermination a finalement aboutie. Même si ça concernait l’inscription d’une seule personne, c’était la vie entière de Laeticia qui changeait. Et si elle a pu être inscrite, alors pourquoi pas les autres ? Voilà de quoi redonner espoir. Elle est restée dormir sur mon clic-clac pas vraiment confortable quelques semaines avant que l’on trouve pour elle une chambre chez le père d’un ami, qui a accepté de l’héberger quelque temps.

Cette expérience m’a mis une claque

J’ai été confrontée de plein fouet à la précarité, aux problèmes de logement, aux discriminations. Des choses que je croyais connaître et qui m’étaient en fait assez lointaines. Je crois que de m’attaquer à ces questions de société de manière beaucoup plus personnelle m’a vraiment apporté. Ce que je croyais être une démarche difficile, héberger quelqu’un sans abri, a été beaucoup plus « facile » que ce que j’imaginais. Bien sûr, je suis étudiante, je travaille à côté pour pouvoir manger ou acheter des vêtements, donc financièrement, ce n’était pas vraiment ce qu’on pouvait avoir de mieux, mais ce n’était pas le plus important. Ça m’a mis une claque.

Cette expérience m’a donné de la force. J’ai réellement appris à tendre la main aux gens, à agir concrètement. Je crois que je n’ai jamais osé entreprendre ce genre de choses jusqu’à présent, parce que je ne voulais pas paraître comme une fille qui aurait simplement eu de la peine et qui voulait montrer aux yeux de tous à quel point elle faisait preuve d’humanité.

Nous avons moyen d’agir même à petite échelle, dans notre ville, dans notre université, c’est réellement important, et ça peut nous permettre de continuer de croire à l’entraide ou aux changements. Il n’y a pas qu’une seule façon d’aider les gens qui nous entourent et parfois, un geste qui nous paraît anodin, peut s’avérer avoir beaucoup plus d’impact que ce que l’on pensait.

Elsa, 20 ans, étudiante, Courbevoie

Crédit photo Adobe Stock // © Rawpixel.com

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