Solenn L. 10/04/2020

Infirmière en réanimation, ça me laissera des traces

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Avec les décès, les angoisses et l'éloignement de mes proches, la gestion des patients atteints du coronavirus est compliquée. Mais je me bats.

Je me souviendrai longtemps du premier patient atteint du coronavirus que nous avons intubé. Me regardant droit dans les yeux, il m’a demandé : « Est-ce que je me réveillerai ? » Il est malheureusement décédé la nuit dernière après 20 jours de bataille.

Je suis infirmière en réanimation polyvalente dans le sud de la France. Ce service a toujours été une vocation pour moi, de par sa technicité et aussi l’urgence de certaines situations. Mais neuf mois après mon diplôme, je ne pensais pas vivre une telle situation.

Nous sommes habitués à prendre en charge toutes sortes de pathologies en réanimation, mais depuis le début de la pandémie, les patients atteints du Covid nous ont particulièrement marqués, même si, étant dans le privé, on en voit moins que dans le public. Certains sont jeunes, n’ont pas d’antécédents, et se retrouvent à l’hôpital sans leurs proches.

Contrairement à d’autres pathologies, au moment de sédater un patient atteint du coronavirus, nous n’avons absolument aucune idée de si ce dernier s’en sortira ou pas. On peut lire la peur dans le regard de chaque patient au moment de les endormir.

A la fois une course contre la montre et un marathon

Nous sommes trois nouveaux infirmiers diplômés dans ce service. Nous n’avons reçu aucune formation spécifique donc nous appréhendions beaucoup l’arrivée de ces patients.

Ces patients, par leur lourde prise en charge, nous prennent bien plus de temps que les autres, notamment avec les décubitus ventraux qui mobilisent plusieurs soignants au même moment afin de retourner le patient. Et il nous faut tenir sur la durée car cette pandémie sera longue et nos patients resteront plusieurs semaines en réanimation, pour ceux qui s’en sortiront. C’est une course contre la montre, un marathon.

« Tous tiennent « pour l’instant » » : Libération a partagé le journal de bord de dix soignants. Une plongée dans le quotidien du personnel hospitalier pendant la pandémie de coronavirus.

 

 

Nous, soignants, sommes dans une spirale, et bien que ce soit notre métier de soigner quotidiennement, la situation inédite nous touche bien plus qu’en temps normal. Nous savons tous que nous ne sortirons pas sans blessures de cette bataille.

Gérer la crise, loin de mes proches

Soigner des patients atteints du coronavirus impacte également notre vie privée. Nous sommes plusieurs à avoir pris la décision de nous éloigner de nos proches afin de ne pas les contaminer car nous savons que nous avons de grandes chances de contracter le virus. Depuis bientôt trois semaines, après un appel que j’ai lancé sur les réseaux sociaux, je vis dans un appartement prêté gracieusement par des anonymes. Nous sommes deux infirmières dans cet appartement. Ce geste m’a énormément touchée et nous aide à nous reposer entre les nombreuses gardes. Mais cette décision n’a pas été facile à prendre…

Je ne vois plus mon compagnon, ni ma famille de qui je suis très proche. Mais c’était inévitable : la peur de les contaminer m’aurait ajouté une angoisse supplémentaire. C’est un déchirement de ne pas rentrer auprès des siens le soir mais c’est aussi notre devoir de les protéger. Ils n’ont pas choisi notre métier, déjà assez lourd à vivre quotidiennement. Les quelques appels passés à nos proches nous redonnent beaucoup d’énergie, mais nous faisons aussi toujours attention de ne pas leur raconter certaines dures situations afin de les protéger de la réalité actuelle.

Je ne leur raconte pas que, au travail ou en repos, je vis depuis plusieurs semaines dans l’angoisse permanente… L’angoisse de ne pas savoir combien seront sauvés… L’angoisse de devoir annoncer aux familles lorsque le patient se dégrade mais qu’ils ne peuvent pas venir à son chevet… L’angoisse, quand je vois ces patients, d’avoir aussi un de mes proches arriver en réanimation, et l’angoisse d’être contaminée car nous sommes beaucoup de soignants avec des pathologies à risque ! Je suis asthmatique et ça m’effraie plus que d’habitude. Mais, contagieux ou pas, je dois m’occuper d’eux, c’est mon rôle de soignante.

Les blouses contaminées, nous devons les remettre

Alors, nous tenons. Pour eux, pour les familles, car nous savons aussi que nous sommes le seul lien… Bien que lourdement sédatés, il m’arrive très souvent de parler à mes patients, de leur donner des nouvelles de leurs proches, de faire passer un message. Je leur dis toujours de s’accrocher du mieux qu’ils peuvent contre ce virus qui emporte malheureusement beaucoup trop de monde. Leur parler est aussi pour moi une manière de me protéger et de me sentir utile au-delà des gestes techniques que je leur procure.

Depuis le Luxembourg, Flora voit le coronavirus atteindre ses proches. Alors pour ne pas céder à la panique, elle se raccroche aux solidarités du quotidien.

Enfin, s’il y a bien une chose qui nous angoisse, nous soignants, c’est ce manque de matériel. Nous continuons à soigner alors que nous savons que les masques ne nous protègent plus au bout d’un certain nombre d’heures…. Que les blouses sont souvent contaminées et que nous devons les remettre…. Que les gants qui sont une barrière précieuse commencent à manquer… Une chose est sûre, ce manque de matériel, qui est la base d’un soldat, ne nous aura pas aidés psychologiquement dans cette crise sanitaire !

Entre le manque de personnel permanent, de matériel, et la charge émotionnelle (car oui, nous sommes souvent les dernières personnes à voir le patient vivant), rien ne nous est épargné à nous soignants ! Nous fonçons droit dans un mur qui finira par définitivement céder !

Nous sommes fatigués, mais ce métier est en moi. Alors, jusqu’au bout je donnerai tout pour soigner ces patients atteints du coronavirus ! Même s’il y a des décès que l’on n’oubliera pas.

 

Solenn, 22 ans, infirmière, PACA

Crédit photo Hans Lucas // © Nicolas Portnoï (Série « Antoine donne du power aux soignants »)

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9 réactions

  1. Merci à TOI Solenn d’avoir su donner de l’amour, par procuration, aux personnes malades qui en avaient urgemment besoin. Merci . D’avoir su ÊTRE LÀ pour eux. J’ai pour ma part, perdu très gravement ma santé, en protégeant des petits élèves dans une situation dangereuse il y a 11 ans de cela. Je sais donc combien votre engagement a nécessité de Courage quotidien, de sagesse, d’empathie, de compassion, d’intelligence émotionnelle et d’altruisme…. MERCI à vous et à Tous les personnels soignants et aidants de France, d’avoir pris soin de ceux qui en avaient urgemment besoin durant toute cette période. Le revécu sensoriel pour les soignants touchés émotionnellement est un outil potentiel intéressant psychologiquement. Bien à vous, très respectueusement.

  2. Si jeune avec une vocation dévorante ,elle est au front presque désarmée pour sauver des vies,seul ,son amour pour son métier l’a emporte sur tout .bravo et merci à vous soignants bravo à toi très émue par ton récit

  3. Bravo pour votre courage. On sent votre sensibilité et votre amour du métier d infirmière.

  4. Bravo . Je vous admire . Vous avez beaucoup de courage et d alour a donner . Nous sommes tous reconnaissant de votre engagement passionné .

  5. Félicitations pour tout ce que vous faites. Courage. Votre article est touchant.
    Je vous admire.

  6. Beaucoup d’émotion en lisant votre article nous sommes de tout cœur parmi vous pour vous aider à garder cette force et ce courage .nous ne vous remercierons jamais assez.

  7. Mes plus douces pensées…
    Merci pour tout ce que vous faîtes

  8. Bravo à toi et merci

  9. Bonjour Solenn
    Je viens de lire votre ressenti, transféré par Valérie, je suis la « mamitta » de Paul et Nicolas, nos pensées sont avec vous à chaque instant vous faites tous un boulot
    Extraordinaire, et nous imaginons le courage et l’abnégation qui vous accompagnent chaque jour et j’espère qu’après cette catastrophe votre dévotion sera reconnu autrement qu’avec de belles paroles.
    Votre texte est très précis et je ressens une profonde émotion
    Bon courage à vous et à votre entourage professionnel

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