Paul C. 27/08/2018

Des crochets et des voyelles, mon aide aux sans papiers

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À Paris, au fond d’un petit local, cours de boxe et cours de français s’enchainent. Jeunes militants et jeunes immigrés se croisent. À force, j'ai décidé de les aider.

Comme chaque mercredi soir depuis un an, je vais boxer dans un local du 13ème arrondissement avec la Jeunesse Communiste. On fait ça entre camarades et surtout entre amis. Certains viennent pour se défouler, d’autres pour apprendre à se défendre. Il y a de tout : des lycéens, des étudiants, des jeunes travailleurs, des chômeurs.

Un soir où j’arrive plus tôt au local, je tombe sur une quinzaine de jeunes hommes autour d’une table, stylos à la main. Ils écoutent avec attention une dame décomposant des mots sur un tableau. Ces gars ne sont pas là pour distribuer des crochets ou travailler leurs esquives. C’est un cours de français pour jeunes immigrés sans papiers.

La dame, Claire, est une ancienne prof de français à la retraite. Elle vient au local depuis maintenant trois ans. Elle leur apprend l’alphabet, les premiers mots, les premières phrases. Elle prend surtout soin d’eux, écoute leurs histoires, les aide dans leurs démarches de demande d’asile. Je vais la voir à la fin de son cours. Elle adore faire ça. Elle les trouve « géniaux ». Elle n’a pas toujours donné des cours de français. Il y a trois ans, sa première façon d’aider ces jeunes était d’aller leur apporter à manger sous le pont d’Austerlitz.

La langue, la plus grande des précarités

Je lui demande si ce n’est pas trop dur, si elle a besoin d’aide. Elle me dit que non, qu’elle n’est jamais fatiguée, bien au contraire. Venir parler avec eux en français et leur apprendre quelques mots, ce serait déjà une aide énorme. Depuis ce soir-là, une à deux fois par mois, j’arrive un peu plus tôt à la boxe pour l’aider.

Ils s’appellent Mamadou, Nour, Omar ou Amed et me racontent leurs histoires. Ce sont des jeunes Africains ou Arabes qui parlent à peine français. Ils ont fui l’Afrique pour venir se réfugier en Europe. Certains ont connu la torture et la dictature au Soudan, d’autres l’esclavage en Libye. L’un a été rejeté de sa famille alors que d’autres ont simplement quitté leur pays dans l’espoir d’une vie meilleure. Ils vivent ici, à Paris, dans la plus grande précarité, alternant refuge associatif et squat. Mais leur plus grande précarité, c’est la langue. C’est celle-là qui les isole encore un peu plus. C’est pour cela que depuis six mois, trois soirs par semaine, ils viennent apprendre le français.

Chacun écoute et répond aux questions. Tous paraissent heureux, sereins, enthousiastes. Je suis assez surpris de leur niveau de connaissances. Ils n’apprennent pas simplement à dire bonjour ou au revoir, mais les mots les plus complexes qui définissent notre monde et ses concepts : « consommation », « idéologie », « justice ».

Chacun rit et apprend, en même temps. Personne ne semble se sentir étranger, personne ne semble souffrir, tous affichent un sourire et regardent les mots écrits au tableau. Eux, ils ont en reçu des vrais coups et bien pire, mais ils ne jettent pas l’éponge.

 

Paul, 20 ans, étudiant, Paris

Crédit photo Adobe Stock // © rudall30

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