Thecle H. 01/06/2018

En banlieue, en plus de me plaindre… je me bouge !

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Pour moi, on n'est pas conditionné par sa classe sociale. Oui, je viens d'Argenteuil, oui, j'ai grandi dans une cité et ai fréquenté un mauvais lycée. Mais je me suis bougée pour m'en sortir !

Dans mon lycée, j’entends souvent Gwenaëlle dire « C’est de la faute de Monsieur Buisson ou Madame Clerc », ou encore « On s’ennuie dans le lycée ! Pourquoi les Terminale L, ils font des sorties et pas nous ? Pourquoi on n’est jamais au courant quand y’a des séjours en Espagne ou à Londres ? ». Mais est-ce qu’on cherche vraiment à savoir ce qui se passe, est-ce qu’on se bouge ?

Tu fais un pas dans les couloirs et tu entends au moins une fois : « C’est à chier dans ce lycée ! ». Si seulement tu avais bougé ne serait-ce qu’un petit doigt, tu saurais que tu as la possibilité de vivre tes années de lycée comme tu les imagines. Tu saurais qu’il existe plusieurs dispositifs dans ta ville comme la Bourse Initiatives Jeunes qui peut t’aider à financer un de tes projets. « Ouais mais c’est où ? »…

C’est ce genre de réponse qui m’agace au plus haut point. Sur 30 élèves dans ma classe seulement, 2 n’ont pas de smartphone. Tu fais toujours pas le lien ? Ok. Dans la barre de recherche tape Bureau Information Jeunesse Argenteuil, puis clic sur la petite loupe. BAM ! T’as l’itinéraire qui s’affiche : prendre le bus numéro 18 ou 8 ou 140 ou 272 ou 4 bref, tous les bus qui ont pour terminus Gare d’Argenteuil. Marcher 8 minutes. Vous êtes arrivé au 7 rue des Gobelins, 95100 Argenteuil. C’était compliqué ?

Même hors les murs du lycée, il y a plein de truc à faire ! Récemment il y a eu l’excellente pièce À vif de Kerry James (4€ la place avec l’espace jeunes de ton quartier). La grande majorité des musées en France sont gratuits pour les moins de 25 ans. Ne me dis pas que c’est un truc de « babtou » ou de riche ! Renseigne-toi ! D’ailleurs je te conseille d’aller voir Human à la Fondation GoodPlanet ou encore TeamLab à la Villette, ça a l’air cool.

C’est d’abord par ta curiosité que les choses changent

Ce que je veux que tu comprennes c’est que ce « monde » est à notre portée, si on s’en donne les moyens. Oui, je reconnais que notre point de départ n’est pas le même que celui des élèves d’Henri IV (remercions nos profs qui nous le rappellent 3400 fois par an). Mais pour l’instant, on ne peut pas faire autrement. Avant de parler de retourner le système, travaille sur toi-même !  C’est trop facile de présenter l’État comme seul responsable de la situation actuelle des banlieues en France. Je te rappelle que c’est toi qui reste assis au « carré » de 11h à 3h du matin et qui utilise les petits de la cité comme esclaves. Tout cela, en attendant que tout change en un clin d’œil. Résultat : les petits aussi se mettent à glander au carré. Je salue tout de même votre ingéniosité, très judicieux d’installer son QG à deux pas de la boulangerie et de l’épicerie. Quant aux Gwenaëlle qui pensent à 40 jours du bac que ce sont les profs qui devraient se remettre en question, malheureusement, vous êtes irrécupérables.

C’est d’abord par ta curiosité que les choses changent. Si j’en suis capable, tu l’es aussi. On n’est pas si différents. Mes parents ne sont pas milliardaires, à eux deux, ils gagnent grand max 2500 € par mois pour faire vivre six personnes. J’habitais à la cité Champagne, l’un des quartiers les plus paumés d’Argenteuil. Au moins 10 fois par mois, j’avais le droit à des pannes d’ascenseur et c’est pas marrant quand t’habites au 12ème étage. La pauvre, la petite vieille du 8ème qui faisait ses courses toujours au mauvais moment. Je viens d’un lycée où 70 % des élèves étaient là par défaut. On va dire qu’il n’avait pas très bonne réputation ce lycée du centre-ville. Même si, grâce au travail de l’ancien proviseur et des profs, ça va beaucoup beaucoup mieux.

Tous ces facteurs, ces inégalités, ne m’ont pas empêchée de m’engager au sein de ma ville en co-créant une association, d’aimer le théâtre, de voir ce qui se passe autour de moi et tout cela, parce que j’ai été curieuse, parce qu’en plus de me plaindre, je me suis bougée.

 

Thecle, 18 ans, lycéenne, Argenteuil

Crédit photo Adobe Stock // ©  Sergey Nivens

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3 réactions

  1. Très beau texte sur une triste réalité. Je reste fasciné par la masse de ces personnes qui prétendent vivre dans un « ghetto » alors qu’ils sont souvent à moins de dix kilomètres des musées et bibliothèques de Paris, que des trains les y emmènent toutes les 20 minutes (dans le pire des cas), gratuitement avec l’abonnement scolaire, et qu’ils ont tous une bibliothèque municipale gratuite à quelques centaines de mètres (ou soyons fou, quelques kilomètres) de leur « ghetto »… Des milliers de villages en France sont à des dizaines de kilomètres de la moindre petite ville, sans train, sans bus, sans bibliothèque ni musée, sans piscine et toboggan, et personne ne songe à parler de « ghetto »… Le phénomène qui te choque Thecle a un nom : la connerie. Et il y a beaucoup de cons dans « les banlieues », comme tu le constates. Il y en a aussi beaucoup en-dehors, mais il faut avouer que « la banlieue » est un lieu particulier de concentration. Quant à « light » qui veut te donner une leçon de lavage de cerveau (lire Bourdieu, c’est bon pour les bourgeois qui veulent prétendre connaître gentiment la vie ouvrière), c’est à pleurer… Light, tu devrais surtout lire et relire le texte de Thecle et t’interroger profondément sans a priori sur ce qui constitue l’intelligence humaine. Essaye de remettre ton compteur à zéro et pars vivre dans un « ghetto » une bonne décennie ou deux, bon courage.

  2. Il ne faut pas prendre mon texte comme un règlement de compte.
    Je réagis seulement aux comportements des gens qui m’entourent comme mes amies, ma famille, mes camarades de classe etc…ça pars de ma propre expérience.

    Je pense (mais je ne suis pas encore sûr) qu’on peut réussir avec de la volonté mais il faut tout de même nuancer. Il n’y a pas que la volonté qui permet de réussir. Je suis totalement consciente qu’il existe des inégalités sociales, des inégalités culturelles etc… d’ailleurs en cours on étudie tout ça (bon je ne suis pas une experte en la matière).
    Ce que j’essaie de dire c’est qu’il y a des jeunes qui ne font pas suffisamment d’effort mais qui se donnent le droit de se plaindre et de pointer « les autres » du doigt.

    Peut être qu’il a des choses maladroites dans mon texte, mais jusqu’à aujourd’hui les livres que j’ai pu lire, les témoignages, réflexion, reportage, débats que j’ai pu entendre me font penser de cette façon.

    Je reste totalement ouverte aux points de vue divergents qui me permettront de forger mon opinion sur ses questions. C’est pourquoi je suis allée voir la conférence de Franck Lepage Inculture(s) et je reste mitigée sur la question de la culture…

  3. Eh bien ! On dirait que tu règles tes comptes avec certaines personnes.

    Ton message de base est louable mais tu tombe dans le travers du « si on veut, on peut » et de la culpabilisation. Je te conseille fortement d’aller lire Bourdieu, d’écouter Franck Lepage avant de sortir des discours comme ceux-là.

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