ZEP 03/04/2014

Mon identité n’est pas d’une seule couleur

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J'ai quitté l'île de la Réunion pour Perpignan, afin d'y poursuivre des études en psychologie. Je suis française et pourtant, mes camarades de classe me regardent différemment. Au fil du temps, j'ai appris à développer la technique du caillou : les remarques des personnes qui m'entourent ne m'atteignent plus.

J’ai 20 ans. À mon âge, mon identité (d’adulte) est en plein travaux, un remue-ménage constant, des remises en questions mais aussi, des certitudes et des convictions qui prennent racines. Cette petite phrase : «  Ah ouais ? Ben on dirait pas pourtant… », j’ai dû l’entendre un millier de fois. Cette réplique a le pouvoir de mettre les nerfs à rude épreuve. Heureusement, depuis que j’ai quitté le cocon familial, j’ai appris à relativiser et à adopter la technique du caillou : mode de préservation qui consiste à ne pas se laisser atteindre par des phrases ou des comportements déplaisants, à l’image de l’eau qui coule sur le caillou sans qu’il ne soit imbibé, et de ce fait reste solide. Attention ! En cas d’extrême bêtise et de sournoiserie, cette technique reste difficile à adopter.

«  T’es pas d’ici non ? Tu viens d’où ? »

Je suis réunionnaise, et je suis en métropole depuis plus de deux ans. Animée par la soif de découverte, d’aventure mais surtout par l’envie d’étudier la psychologie (licence inexistante dans ma chère île), j’ai quitté famille, amis et bon petits plats pour vivre ma vie d’étudiante. J’ai eu la joie de découvrir le métro, le tramway et le train ; des moyens de transports très « exotiques » pour moi. Mais j’ai surtout réalisé que j’avais quitté mon île lorsque, autour de moi, les gens ne parlaient que français ! A la fac, j’ai fait connaissance avec d’autres jeunes (et moins jeunes). Et là, dans la majorité des conversations, vient la fameuse phrase : «  T’es pas d’ici non ? Tu viens d’où ? » Joueuse, je leur dit d’essayer de deviner :

Pas assez noire, pas assez locale

« Euh… T’es marocaine ? » Raté ! « Sud-Américaine ? » Toujours pas ! « Espagnole ? » Game over !
Finalement, j’abrège le jeu et leur dis que je viens de la Réunion. « Sérieux ? Mais… tes deux parents sont réunionnais ?  Parce que t’es pas très noire en fait… » Et oui ! Avec ma peau à peine bronzée et mes cheveux même pas frisés, je ne suis pas vraiment « le portrait type » de la fille qui vient des îles. Au début, ce genre de réactions vous amuse, mais à long terme, c’est comme si je perdais de la légitimité au regard de ces personnes là. Pas assez noire. Pas assez locale.

« Tu perds ta jeunesse ma pauvre ! »

Entre temps, j’ai vécu quand même de très bons moments : découverte de monuments historiques, de mes premiers flocons de neige, mais surtout les soirées étudiantes ! Et là les gens s’amusent, dansent (ou pas) et parlent.
« Sinon tu fais quoi en dehors de la fac ?
– Ben je visite un peu la ville, je sors avec des amis, je vais aux soirées salsa…
– C’est cool ça ! Tu connais d’autres jeunes qui ne sont pas de la fac ?
– Ouais, des jeunes qui vont à l’église avec moi. »

L’Eglise, t’es plus obligée tu sais ?

Et là c’est le drame ! La phrase : «  Ah ouais ? Ben on dirait pas pourtant… », reviens en force ! Après des explications, des débats, je les rassure je suis normale et pas contagieuse. Mais après cette fameuse révélation, beaucoup de regards changent, les attitudes sont différentes. C’est comme ça que du jour au lendemain, pendant que beaucoup continuent à parler normalement avec moi, d’autres se censurent, changent de discours car vous voyez je risque d’être choquée, et je ne peux pas « comprendre ». Aussi, des jeunes pleins de bonne volonté tentent de me ramener sur le droit chemin, le chemin de la vraie jeunesse.
« Mais pourquoi t’y vas à l’Eglise ? T’es plus obligée tu sais ? Tes parents ne sont pas là !
– Ah mais j’y vais de mon plein grès !
– T’es folle ma pauvre ! Tu ne profites pas de ta jeunesse là ! »
C’est sûr ! Quand je sors je ne profite pas ! Quand je vais danser je ne profite pas ! Quand je ris, chante, et m’amuse, je suis tout ce qui a de plus malheureux ! Bref ! Technique du caillou : le retour !

Le paradis c’est les autres

Dans mon île natale, j’ai grandi entourée de cultures, de religions et de personnalités très différentes. Ma plus grande découverte : les autres. C’est en allant vers les autres, en cherchant à les connaitre, que j’ai vu une variété infinie « d’arlequins ». Des arlequins ? Mais si, vous savez, ce personnage rigolo au costume multicolore !  Les arlequins dissimulent des talents, des trésors inestimables. Leurs costumes peuvent arborer des carrés rouges, qui montrent un caractère fort, passionné, des carrés bleus symbole de loyauté, ou encore du orange symbole de créativité. Et tout ça sur une seule et même personne ! Waouh ! une joyeuse Réunion de petits arlequins qui vivent très bien (ou presque) ce métissage et en ont fait leur fierté !

Je me considère comme une « arlequine » : une fille dont les pièces multicolores reflètent l’identité. Une identité qui peut paraître confuse voire désordonnée. Mais ne vous fiez pas toujours à vos premières impressions ! Vous verrez, certains arlequins pourraient bien vous surprendre et, pourquoi pas, vous en apprendre…

 

Stéphanie, 20 ans, étudiante, Perpignan.

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2 réactions

  1. 4 ans plus tard… Je me relis avec nostalgie et amusement !
    Merci de m’avoir donner la parole 😉

    Signé :
    Stéphanie « l’arlequine »

  2. Magnifique, merci pour ce beau témoignage!
    Une fille qui vient de Guyane

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