Suzanne F. 18/01/2020

Sans salaire, pas de liberté

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Dans ma famille et dans celle de mon copain, je n'étais pas libre. Je suis sur le point d'avoir mon premier salaire, mon appart, et mon indépendance !

En mars 2019, je suis partie de la maison. Je pensais découvrir une autre vie, une vie meilleure, ou plutôt la liberté. Libre de faire des choses qui m’étaient interdites avec ma famille : libre d’être moi-même et non la petite fille modèle à la limite de l’implosion, libre d’aimer l’homme que j’ai choisi et que ma famille n’aime pas, libre de sortir en soirée avec des amies tard le soir. Libre de m’habiller comme j’ai envie, d’être ma personnalité, avec des tatouages, des piercings, des jupes courtes et des vêtements moulants.

À la maison, et dehors quand je sortais, j’étais surveillée constamment, surtout par mon frère, qui en plus me frappait. À chaque fois que j’étais sous la douche, je n’étais pas sereine car il prenait mon téléphone et regardait les messages. Je voyais mon copain en cachette et j’avais dû me séparer de lui parce que ma famille n’était pas d’accord. On s’est remis ensemble et cette relation cachée était douloureuse. L’angoisse de se faire attraper était constante, on se disait : « On va se faire cramer. » Des fois, il venait à la maison quand tout le monde était parti. Vu que mon frère me tapait, il voyait mes bleus, mes hématomes sur mes jambes. J’ai même reçu un coup à la mâchoire. C’est à ce moment-là que mon copain, qui n’aimait pas me voir dans cet état, m’a proposé de cohabiter avec sa famille. De début janvier 2019 jusqu’au mois de mars, j’ai réfléchi, cogité… et je suis partie en cachette de chez moi, en laissant un mot à ma famille.

Enfin libre ? Ça dépend pour quoi

Maintenant, je cohabite avec la famille de mon copain. Au début, tout allait pour le mieux. Plus de sorties avec les amies, j’ai pu me percer les oreilles et je peux porter des vêtements décolletés, des mini-jupes et même des strings. Par contre au niveau des sorties, c’est devenu un peu plus compliqué.

Au début, quand on sortait, sa mère ne disait pas grand-chose mais, à force, s’est développée comme une sorte de jalousie parce qu’on sortait plus souvent qu’elle. Au bout de quelques mois, ça a dégénéré et j’en ai souffert. Mon copain m’a dit que sa mère était jalouse des femmes qui étaient avec son fils et que je l’accaparais. Elle a même dit à son fils dans mon dos : « Vous êtes pas faits pour être ensemble. » Les critiques de la grand-mère de mon copain et de ma belle-mère étaient toujours les mêmes, et dures à entendre : « Faut sortir le chien », « Vous êtes toujours dans votre piaule », « Je ne nourris pas des fainéants », « C’est pas vous qui payez », « Vous sortez encore »… Une fois, elles nous ont dit que si on rentrait tard, elles nous fermeraient la porte à clé et qu’on devrait se débrouiller pour dormir. Des fois, j’en pleurais, ça devenait une habitude. Alors, quand mes amies me demandaient si on pouvait sortir, je n’osais pas, de peur d’avoir une réaction négative ou des remarques.

Mais je n’avais pas le choix de rester parce que je n’avais pas de revenus.

Il avait peur qu’en partant, j’aille voir ailleurs

Je n’ai pas voulu me laisser aller pour autant, je voulais m’en sortir dans ma vie professionnelle, prouver que j’étais une battante. J’ai eu des difficultés dans ma scolarité, ce qui m’a poussée à partir du milieu scolaire en 2017, en terminale ST2S. Puis j’ai eu des problèmes de dépression. J’ai trouvé l’E2C (École de la Deuxième Chance) à Melun en mars 2018, une formation qui aide les 17-25 ans sortis du milieu scolaire ou qui n’ont pas de travail fixe à trouver soit une formation soit un emploi. J’ai été admise et j’ai trouvé le métier de ma vie ! Le 28 novembre 2019, j’ai été embauchée en alternance à Villeneuve-Saint-Georges en tant qu’accompagnant éducatif et social, en CDD à Noisiel. Je vais donc gagner mon premier salaire pour avoir mon appartement. Enfin une bonne nouvelle qui va changer ma vie !

À sa majorité, Jeff est parti de la Guadeloupe pour s’installer seul à Paris. Il a découvert l’indépendance, ses libertés et ses contraintes : « J’ai pris mon indépendance à 8000 km de chez moi »

Toute fière, j’ai dit à mon copain que j’avais été embauchée et que j’allais devoir louer un petit studio à Relais Jeunes à Torcy, à une heure et demie de chez lui… jusqu’à la fin de ma formation d’un an. Sa réaction nonchalante m’a interpellée. Il me faisait la tête, il avait peur qu’en partant, j’aille voir ailleurs. J’ai dit pour le rassurer : « Ce n’est pas parce que je vais partir que je vais t’oublier. » Et : « J’ai envie d’avoir mon indépendance, pour pouvoir avoir une vie privée avec toi et vivre sans contraintes et critiques sur comment je vis ma vie personnelle. » Il a confirmé que même si on allait se voir moins souvent qu’avant, le côté positif, c’était qu’on pourrait vivre indépendamment, sans personne pour nous dicter notre façon de vivre.

Et j’ai appris une autre bonne nouvelle récemment : mon copain a obtenu un CDI de conducteur d’engin dans le forestier. Mon copain et moi voyons notre avenir ensemble s’approcher et devenir une réalité. Une vie à deux dans un appartement, avec notre travail, des animaux, et peut-être plus tard une famille épanouie, avec des amis.

 

Suzanne, 19 ans, en formation, Grandpuits

Crédit photo La ZEP © Clément-Amadou Sall

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