Pauline Q. 21/09/2019

Travailler chez McDo ça m’a surtout dégoûtée de Paris

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Vivre à Paris, j'en rêvais depuis petite. Étudiante, j'ai enfin pu réaliser ce rêve... Mais travailler au McDo l'a vite transformé en cauchemar.

J’ai travaillé au McDo pendant toute mon année de L1 (en psycho) pour pouvoir payer le loyer de mon studio parisien. À la base, je viens de Mantes-la-Jolie, c’est un mix entre la banlieue et la campagne. Et après le bac, je rêvais de la vie de parisienne. J’avais l’impression de tout louper en habitant à Mantes et que je passais à côté de plein d’expériences. Pour moi, Paris, c’était la fête, la culture, l’art, la diversité et, encore plus qu’à Mantes, la liberté. J’ai donc trouvé un petit studio avec toilettes sur le palier comme beaucoup d’étudiants, et je me suis mise à bosser au McDo 26 heures par semaines en plus des cours.

Je faisais les fermetures du McDo de Strasbourg-Saint-Denis : plusieurs fois par semaine, je finissais le travail à 2h30 du matin et je rentrais chez moi entre 3 et 4h, le temps que le taxi ramène toute l’équipe. Et à 8h40, je devais être à la fac pour une journée de cours. Puis je rentrais 30 minutes pour faire une sieste et repartais au McDo à 19h pour une nouvelle fermeture. Le manque de sommeil, tu t’y fais rapidement, tu apprends à gérer ton temps, le répartir entre la fac, le taf et les potes. Au début, je ne rentrais pas souvent à Mantes, je vivais ma vie rêvée et même si c’était difficile, c’était l’éclate. Débrouillarde et libre, je me sentais forte. J’ai trouvé le temps de faire tous les musées de Paris, j’adorais me perdre et marcher jusqu’à pas d’heure la nuit quand je travaillais pas, j’ai fait des jolies rencontres, beaucoup de fois la fête et c’était parfait.

Quand tu bosses chez McDo, ni le sdf ni la bourgeoise ne te respectent

Et puis, il y a le premier client qui te traite mal, il a pas ton âge, c’est un vieux, tu te dis que c’était une mauvaise journée et tu fais avec. Quand tu bosses la nuit, tu vois de tout, tu vois toute la méchanceté du monde et tu te rends compte qu’elle traverse les âges et les classes sociales. Quand tu bosses chez McDo, ni le sdf ni la bourgeoise ne te respectent. Et un jour, il y a trois filles de ton âge, qui auraient pu être tes potes, qui te parlent mal. Tout le monde te parle mal.

Deux situations m’ont profondément marquée. Un soir, une fille à peine plus âgée que moi m’a demandé trois fois de suite plus de glaçons, plus de ketchup, plus de serviettes et finalement, des frites plus chaudes en s’amusant de mes allers-retours avec ses amies. Elles riaient toutes ensemble et c’était un jeu pour elles. Je crois que la règle, c’était de ne dire ni « s’il vous plaît », ni « merci ». Un autre soir, alors qu’on avait fermé le restaurant et que j’attendais mes collègues devant la porte d’entrée du McDo en fumant ma clope, un groupe de trois filles est sorti d’un Uber et elles m’ont bousculée pour rentrer dans le restaurant. Évidemment, la porte était fermée. Je leur ai dit que c’était fermé et une d’entre elles m’a regardée de haut en bas et m’a dit : « Pour toi peut-être, mais pas pour nous. » Peut-être qu’elle a cru qu’un physio de boîte allait lui ouvrir la porte. Déjà, quand tu sors de sept heures de boulot où tu cours partout et tu fais des frites, t’as une sale dégaine, t’as la peau grasse, tu sens la frite et forcément, t’as pas ton meilleur outfit. Donc juste avec sa phrase ma self-confidence en a pris un coup. Mais poliment, je lui ai répondu que je travaillais ici et que si, c’était bel et bien fermé pour tout le monde. Ce à quoi une autre fille du groupe m’a répondu : « Vous êtes vraiment des branleurs, on a faim nous, on fait comment ? » Après ça, elles sont parties en me bousculant à nouveau. Il est arrivé la même chose avec un homme seul un soir après la fermeture, sauf qu’il s’est énervé quand je lui ai dit que c’était fermé et j’ai dû m’enfermer à l’intérieur parce qu’il frappait la porte et voulait nous tuer (c’était ses mots). On a dû appeler la police à trois reprises. Elle n’est jamais venue (ils ne se déplacent pas pour ça bizarrement). On a patienté presque une heure avant qu’il parte.

Tu te sens inutile, tu sais que tu perds ton temps

D’un coup, Paris m’a dégoûté. Après seulement deux-trois mois à travailler au McDo de Strasbourg-Saint-Denis. J’avais rêvé de la vie parisienne depuis toujours, j’ai réalisé que j’avais idéalisé la ville et ses habitants. J’ai commencé à me replier sur moi-même, à perdre confiance en moi, parce que tous les jours au travail j’étais rabaissée, parfois humiliée et les personnes avec qui je faisais la fête ou que j’allais voir en expo ou en concert, c’était les mêmes qui me prenaient de haut au travail. Après, je me dis qu’on ne peut pas leur en vouloir, McDonald’s fait de toi une machine en tant qu’employé, alors les clients te traitent comme une machine.

Ce qu’il faut savoir aussi, c’est que tu subis des humiliations de la part des clients, mais tu subis surtout une pression monstre de la part des managers. Il faut aller toujours plus vite, être toujours plus efficace, ne pas parler avec les clients, juste être à son poste et faire vite, sinon ça peut arriver de se faire insulter par ses managers. Ce qui m’a fait tenir, c’est un client qui m’a vraiment marquée. Tous les mercredis, vers 1h30 du matin, après la fermeture de son bar, il venait commander et chaque semaine, il me demandait comment j’allais, parfois même sans rien commander.

Un étudiant sur deux travaillerait à côté de ses études et d’autres voudraient un emploi ! Le problème, c’est que les jobs étudiants se précarisent avec l’évolution du marché de l’emploi et l’auto-entrepreneuriat. Un article Le Monde.

Mais malgré ça, au bout de six mois, j’avais perdu beaucoup de poids et toute ma confiance en moi. Le truc quand tu fais un travail qui n’est valorisant ni par son importance pour faire progresser la société, ni par le rapport humain que tu peux avoir, ni par les compétences que tu peux en tirer, c’est que tu te sens inutile et que tu sais que tu perds ton temps. Je perdais aussi ma santé mentale. Au fur et à mesure mes notes ont chuté. Avec tout ça, l’idée de Paris que j’avais n’avait plus rien d’un rêve. J’avais de moins en moins envie de sortir, parce que j’avais toujours en tête que tous les clients que je servais, ceux qui me rabaissaient, ça serait les mêmes que j’allais croiser dans Paris. C’est difficile de faire la différence entre le manque de considération des gens pour ta profession et le manque de considération pour ta personne en elle-même. Les gens ne voient qu’une casquette McDo, mais j’étais moi avant tout. Donc j’ai fini par penser que personne ne me considérait ni me respectait. Et ça, même en dehors du travail. Tout le monde me semblait pressé et mauvais.

J’avais besoin de respirer, alors j’ai arrêté

Le déclic, ça a été une nuit au travail. Un sdf dormait devant la porte coulissante qui était fermée car il y avait une tempête dehors. Mon manager a appelé la police pour le faire partir. Vous comprenez, « il va dégoûter les clients ». Moi, j’avais l’habitude de donner mon repas employé de la fin de service aux sdf du coin. En cachette car c’est interdit. Parfois ils me passaient commande pour le lendemain soir. Le restaurant était plein à presque 2h du matin. Comme le sdf refusait de partir, devant nous tous, à travers cette porte vitrée, ils l’ont frappé, genoux sur la tête, coups dans le ventre. Mon manager me disait de préparer les commandes plus vite tout en assistant à cette violence gratuite, et les clients s’impatientaient pour leurs commandes, personne ne réagissait. Avoir leurs frites chaudes était plus important. Ça m’a tétanisée. J’ai quitté mon poste et je suis allée chercher de l’aide auprès des seules personnes qui te respectent dans ce travail, les hommes d’entretien qui nettoient le McDo la nuit. Parfois il fallait leur parler en anglais, parfois à cause de leur accent on ne se comprenait pas bien, mais les sourires et les pleurs sont universels. Ils ont tout de suite compris que quelque chose n’allait pas et ce sont eux qui sont sortis pour venir en aide au sdf et calmer la situation.

A trop forcer, on s’abîme la santé. Et dans le travail la rupture c’est souvent le burn-out. Elodie ne l’a pas vu venir, mais un matin elle est allée chez le médecin plutôt qu’au travail.

J’avais besoin de respirer, j’étais rentrée dans une spirale infernale et j’aurais pu chercher un autre travail mais je ne me sentais pas capable de faire autre chose, comme si je n’étais bonne qu’à ça. Alors après les partiels de fin d’année, j’ai arrêté d’aller travailler comme ça sans rien dire, j’ai mis fin au bail de mon appart’ et je suis retournée chez mes parents. Je n’ai jamais autant aimé Mantes-la-Jolie, sa simplicité et son authenticité. Maintenant, je bosse comme caissière dans un Franprix à Paris les week-ends pour mettre de côté. C’est pas un poste qui impose le respect des clients, mais au moins, tu prends le temps d’échanger avec eux.

Aujourd’hui, je suis en troisième année de licence à Paris, je me réveille plus tôt que quand j’habitais là-bas, mais c’est toujours mieux que de rentrer du travail à 3h du matin. Je me sens à nouveau capable. J’ai retrouvé la motivation. Je continue de découvrir Paris et je n’ai plus le sentiment de passer à côté de quoi que ce soit en étant à Mantes. Pas que Mantes soit un eldorado d’humanité, mais Paris réveillez-vous, vous en manquez cruellement.

 

Pauline, 21 ans, étudiante, Mantes-la-Jolie

Crédit photo Flickr // CC Rodrigo Filgueira

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2 réactions

  1. Ça résonne tellement dans mon esprit ton histoire ! Je suis aussi étudiante en psycho en L3 et je travaille chez BurgerKing pour financer mes études et mon studio, je suis fatiguée de tout ça mais je m’efforce de bosser dur pour les cours et d’aller au travail pour avoir mon diplôme et surtout rendre mes parents fiers…

  2. Je voudrais te dire pardon au nom de tous ces cons..mais c trop tard je pense..ce monde est d une noirceur et partout c est l indifférence..le mépris et la violence qui font la loi..en tout cas bravo de n avoir pas sombré..bonne continuation

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