Louise A. 03/08/2017

Trier, empaqueter, étiqueter… j’ai testé l’usine

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Serveur, hôte, animateur... un étudiant sur quatre exerce un job d'été. Moi, j'ai choisi l'usine. Mais, à la différence de mes collègues, ce n'était pour moi que l'affaire de quelques mois...

Depuis quelques années, je travaille plusieurs mois l’été dans une usine qui fournit des produits électriques à de grandes enseignes de bricolage. La première fois, j’avais 17 ans. J’y suis retournée trois ans plus tard pour travailler deux mois, et encore deux mois cet été. J’ai alors découvert les contraintes du travail du matin : 6h-13h avec une pause de 20 minutes.

J’ai fini par avoir une idée du fonctionnement du lieu et j’ai beaucoup appris sur les conditions de travail des salariés autour de moi. Au poste que j’occupais, j’étais principalement entourée de femmes. La plupart des salariées autour de moi avaient arrêtées l’école tôt, ont commencé à travailler vers 16 ans donc n’ont pas fait d’études supérieures, ce qui les pénalise si jamais elles veulent trouver un autre emploi. Leur seule expérience est celle d’un travail ouvrier que l’on désigne « non-qualifié » sur le marché du travail.

Premier constat : la notion même de « salariés » représente un ensemble de personnes dont le travail est en fait très divers.

Il est facile de remarquer des différences entre ceux qui sont à la production, à des tâches physiques, et ceux qui sont dans les bureaux, cantonnés à des tâches plus administratives, voire créatives. Les uns ont des cadences à respecter quand les autres ont davantage de responsabilités.

Dans les bureaux l’autonomie est plus grande, et même si chacun est sous la responsabilité d’une personne l’amplitude dans la gestion du travail est plus grande. Ils ont plus de pauses que nous et peuvent aménager leur temps de travail.

En revanche, à la production, il ne nous est pas possible de récupérer une heure le midi si un responsable n’est pas présent avec nous.  

Des tâches physiques réservées aux femmes

J’ai très souvent exécuté les mêmes gestes : prendre des fusibles pour les mettre dans un petit sachet, le refermer à l’aide d’un cavalier à agrafer, puis mettre une étiquette. Je devais ensuite réunir chaque petit sachet par paquet de cinq. Il m’est arrivé de faire cela durant 7h, parfois des jours même si d’autres tâches étaient intercalées. Certaines salariées le font pendant des mois.

Immédiatement, j’ai pensé que je n’aurais pas du tout aimé être à leur place. Evidemment, n’étant pas habituée, je pouvais avoir des douleurs que les salariées ne ressentaient plus. Cela faisaient des décennies qu’elles faisaient ce travail. La plupart étaient dans l’entreprise depuis au moins 20 ans. 

Leurs douleurs se situaient principalement au niveau des mains (canal carpien) mais aussi des épaules puisqu’une partie du travail consiste à porter, à répétition, des charges plus ou moins lourdes.

Et la plupart avait été opérées au moins une fois ou étaient sur le point de l’être.

De là j’ai réalisé ce que pouvait être la « pénibilité » au travail et combien il peut être difficile de la théoriser sans avoir vécu ce quotidien.

Un jour, une spécialiste est venue analyser nos gestes. Devant elle j’ai dû réaliser ce travail de mise en sachet de fusibles pendant qu’elle comptait très précisément le nombre d’actions que je faisais : il ne fallait pas excéder quinze actions. J’étais juste sous ce seuil.

Depuis je n’y suis pas retournée, mais j’ai appris que des changements ont été mis en place pour améliorer les conditions de travail : l’élargissement des allées, la réduction de la hauteur pour l’élévation des bras…

La répétition crée la routine…

Autour de moi, les salariés ne bénéficiaient d’aucune liberté d’entreprendre. J’ai donc rapidement ressenti la monotonie de mon poste et de là, un manque de motivation à répéter des gestes pour lesquels la reconnaissance et le sentiment d’utilité étaient minimes.

Je fais des études supérieures donc simplement exécuter des gestes mécaniquement ne correspond pas à ce que j’espère plus tard d’un travail.

Je me suis surprise à être très contente de moi lorsque j’ai pris l’initiative de simplement créer une étiquette sur un ordinateur à l’aide de Word.

Malgré les différences qui m’opposaient aux salariées, je pense toutefois avoir réussi à m’intégrer (le retour de mon accent picard en a été une preuve). Alors que je profitais de mon séjour Erasmus je leur ai envoyé une carte postale parce que je pensais à elles de temps à autre. Et en retrouver certaines un an après était aussi un bon moment.

Cela faisaient des décennies qu’elles faisaient ce travail. La plupart étaient dans l’entreprise depuis au moins 20 ans. Elles ne bénéficiaient d’aucune liberté d’entreprendre. Je me suis surprise à être très contente de moi lorsque j’ai pris l’initiative de simplement créer une étiquette sur un ordinateur à l’aide de Word.

Cela a été ma seule expérience en usine. Mais là où j’habite, les usines de verre sont très répandues (flaconnage de luxe). Pour connaître des personnes qui travaillent dans ces usines, pour avoir une amie qui y a passé plusieurs étés, je me rends compte que le travail que j’ai effectué était plutôt facile en comparaison à d’autres situations.

J’y ai appris à ne pas juger mes collègues. En les côtoyant j’en ai appris davantage sur leur trajectoire de vie et j’ai conscience qu’elles n’ont jamais pu avoir tout ce à quoi j’ai eu accès.

Je suis triste qu’elles aient exercé ce travail toute leur vie. Il peut maintenant m’arriver d’intervenir quand j’entends des discours qui ne prennent pas en compte ou dénigrent cette réalité sociale, surtout s’il s’agit de jeunes privilégiés.

 

Louise, 21 ans, étudiante à Sciences Po, Bordeaux

Crédit photo Pixabay CC Mikesphotos

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