Naomi M. 12/05/2016

A toi qui ce soir-là m’as anéantie

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Difficile de mettre les mots quand on s'est fait abusée. Naomi nous livre l'expérience d'une soirée traumatisante, de la honte douloureuse et l'espoir de cicatrisation.

Chimère a dit : “Va je ne te hais point.

Je n’y arrive pas encore. Peut-être est-ce parce que je ne t’ai jamais expliqué ce qui s’était passé, ce soir-là, chez toi, alors que tu m’avais promis une toute autre soirée ?

Un des pires instants de ma vie

Parce que, tu sais, ce soir-là, tu n’as pas seulement souillé mon corps ; tu m’as anéantie. Pour des années, tu as détruit la personne que j’étais et que j’avais eu bien du mal à construire. J’ai peur que tu n’en aies pas conscience, j’ai peur que tu crois que ce n’était qu’un petit accrochage entre nous, que tu aies considéré ça comme le fruit d’un manque d’alcool ou de libido chez moi ?

Tu sais, tu m’as fait connaitre la peur, la douleur, puis le dégoût, la haine et surtout, ce sentiment d’insécurité constant.

Tu m’as fais vivre un des pires instants de ma vie et j’ai eu envie de mourir, mais si j’avais su ce qui se passerait après, je pense que je me serais vraiment tuée à ce moment là. Tu sais, le pire ce n’est pas cette envie de vomir sur l’instant, c’est cette envie de se cacher en permanence ensuite. Quand, des années plus tard, tu finis par en parler parce que tu as besoin que ça sorte, parce que tu espères être consolée et que ce n’est pas ce qui se passe. Quand tu finis par raconter cette triste anecdote à l’une des personnes que tu aimes le plus au monde et qu’elle t’enfonce cet incroyable poignard dans le coeur en te répondant que, »quand même, tu devais bien le vouloir un peu, non?», quand on te dit que ça fait longtemps, que tu ne te souviens peut être pas très bien, que tu dois certainement en rajouter. Oui, en rajouter. Comme si la réalité ne m’avait pas suffi.

Qui ose croire que l’on peut »vouloir faire son intéressante» en abordant ce sujet?

Non, je ne l’ai pas cherché

Alors, tu sais, il m’arrive encore de me demander si ce n’est pas de ma faute. Parce que c’est ce que le monde autour de moi me pousse, depuis le premier jour, à me demander. Et parce que ce monde entier semble croire que ça ne peut pas être autrement car, ils te connaissent, tout de même, ce ne sont pas les gens comme toi qui font ça, tu n’es pas un tel monstre, enfin, tu n’as pas pu faire ça, non, je l’ai forcément cherché. J’ai forcément voulu que ça arrive »inconsciemment».

D’abord, allez vous faire voir, vous ne connaissez pas mon inconscient. Ensuite, arrêtez de croire qu’il y a »des gens comme ça». Les ogres n’existent pas, les monstres sous les lits non plus, les ermites se font assez rares de nos jours, et vous le savez. Ces horreurs sont produites par des hommes. Comme ceux avec qui vous travaillez, comme ceux que vous croisez au supermarché, comme ceux qui s’assoient à coté de vous dans le train. Des hommes. Que vous pourriez connaitre.

Pour finir, non, je ne l’ai pas cherché. Si »j’avais cherché» cette relation elle ne porterait pas le même nom, et je ne l’aurai pas vécu de cette manière. Aujourd’hui je ne vous en parlerais pas.

J’ai beau parler fort…

Tu sais, on m’a dit pas mal de fois que quand même si je n’en avais pas eu envie, j’aurais su me débattre, non ? J’aurais su crier ?

Et bien aujourd’hui, j’ai un scoop pour toi : non. J’ai beau parler fort, rire fort, ne pas avoir l’air de me préoccuper du regard des autres, m’habiller un peu comme un garçon, avoir les épaules larges et aimer les sports de combat, il y a des situations dans lesquelles je suis juste dépassée. Des situations dans lesquelles je ne sais plus réagir, car j’ai peur, car j’ai mal, car je ne veux pas croire que c’est en train de se produire.

Pour la première fois aujourd’hui, je mets des mots sur cette histoire. Mon histoire, ou une partie en tout cas.

Et j’aimerais prendre la décision de ne plus m’en vouloir. Parce que je n’ai rien fait pour mériter ça. Et que quoi que mon entourage puisse me dire, je veux garder cette conviction au fond de mon petit coeur fatigué. Je n’ai rien fait pour mériter ça.

J’aimerais aussi pouvoir te dire »va, je ne te hais point», car je pense que les sentiments négatifs m’ont déjà assez hantée. J’ai peur que cette bonne résolution ne prenne pas effet aujourd’hui, mais à moi, et à moi seule, car après tes actions et leurs réactions il n’y a plus grand monde que j’ai envie de satisfaire, je promets de donner le meilleur de moi-même pour y arriver un jour.

 

Naomi, 19 ans, en Service civique à l’Afev, Marseille

Crédit photo Gratisography

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4 réactions

  1. Vous savez dans la vie ont est toujours mal par rapport à une personne que l’on aime. Mon histoire est très dure à dire, mais j’ai subi la haine, ça fait mal.

  2. La honte doit changer de camp! Tu n’es pas coupable, ne le seras jamais. Même si tu as eu trop mal pour dire “non”, même si tu as eu trop mal pour débattre, frapper, hurler. Même si la peur t’a paralysée.
    La reconstruction est dure, lente, mais elle doit toujours se faire sur le socle de cette idée : ce N’est PAS de TA faute. Et ceux qui l’insinueraient ou le prétendraient seraient juste des ignorants souhaitant se voiler la face, souhaitant oublier que derrière chaque violeur peut se cacher son pote, son père, son collègue, son supérieur.
    Le problème global de cette domination sur les femmes amène une quantité de personnes à raisonner de la manière que tu décris, entérinant à jamais le traumatisme de la victime.
    Il faut sortir de ce cercle vicieux, TE sortir de ce cercle vicieux.
    Je ne peux que te conseiller les réseaux féministes pour t’aider dans cette démarche, pour te reconstruire.
    En tant que femme, ex-marseillaise et ex-AFEVienne, que je ne peux qu’être toucher par ton témoignage et t’envoyer un millier d’encouragements.

  3. Merci 🙂
    Je vais aller relire le Cid de ce pas histoire de savoir ce que je cite, tout de même

  4. Chimène disait “va je ne te hais point” à… je ne sais plus qui… (les études sont loin pour moi) parce qu’elle l’aimait. Si un jour vous arrivez à dire “va” (avec ce que vous aurez envie de dire pour terminer la phrase) ou pas, ça sera de toute façon très bien. Vous saurez faire ou dire ce qui est bon pour vous. Vous prouvez votre force intérieure en écrivant ce témoignage, vous donnez de la force à toutes celles qui ont subi. La honte doit changer de camp. Merci à vous.

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