Hafid 08/07/2019

J’ai enfin retrouvé la mentalité du bled, à Melun !

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Arrivé enfant en France, j'ai beaucoup déménagé. C'est dans une petite ville de Seine-et-Marne que j'ai fini par retrouver l'esprit de solidarité et de partage qui me manquait depuis que j'avais quitté l'Algérie.

Aujourd’hui, j’ai 18 ans et ça fait dix ans que je vis dans le même quartier, avec les mêmes frères, mais ça n’a pas toujours était le cas. Je suis né dans une ville à la porte du désert, en Algérie, où je suis resté jusqu’à l’âge de 4 ans. J’ai passé une enfance tranquille et heureuse étant donné que j’ai grandi entouré de ma famille. Nous habitions tous avec mes grands-parents, mes oncles et mes cousins dans une grande maison. J’avais beaucoup d’amis avec qui je jouais dehors jusqu’à la nuit car c’était assez animé le soir.

Puis, je suis venu en France. Sachant que ma mère avait la nationalité, la transition fut plus simple que pour certaines personnes. D’abord, j’ai vécu dans le 92 pendant deux ans, dans deux villes différentes. Puis nous avons déménagé dans le 78 où nous avons vécu pendant une année, puis dans le 95 durant moins d’une année. Ensuite, nous sommes allés dans le 77 : d’abord à Montereau où j’ai passé un an, pour finalement s’installer à Melun où je vis depuis dix ans. On déménageait souvent pour s’installer dans la ville la plus proche du lieu de travail de mon père.

Les enfants du bled vs ceux en France

Durant toutes ces années de déménagements, je n’avais pas beaucoup, voire pas du tout d’amis car dès que j’avais un ami, je déménageais peu de temps après. Du coup, je m’amusais souvent seul et parfois avec mes frères, mais ils étaient encore en bas âge. Ils ont 4, 5, 12 et 14 ans d’écart avec moi. Mais contrairement à ce que l’on peut penser, cette « solitude » ne m’affectait pas.

J’ai ressenti une différence de mentalité entre les enfants d’Algérie et ceux des autres villes où je vivais en France, mais j’ai retrouvé la mentalité du bled à Melun. Dans les autres villes, les enfants étaient moins dans l’état d’esprit de partage, de spontanéité, car ils se retrouvaient souvent à se retenir et à ne pas montrer qui ils étaient. Je trouve l’enfance en France plus compliquée et plus fade : les parents voient le mal partout et du coup, ils mettent des barrières aux enfants. Je m’en rappelle, c’était dans le 78, j’étais en train de jouer avec un ami à moi, c’était un Arabe. On jouait avec le voisin qui lui était français et, à un moment, ses parents l’ont appelé pour qu’il rentre. Il pouvait nous prêter le ballon comme on faisait d’habitude, mais là, son père l’a appelé en lui disant de prendre la balle avec lui. Au bled, tu laisses ta balle, tu la retrouves devant chez toi le lendemain matin ! Au bled, les petits, dès qu’ils ont fini de jouer, ils la mettent dans un sac en plastique pour pas qu’il y ait de la boue dessus, puis ils la balancent par-dessus le mur, dans la véranda de la personne à qui ça appartient. Au bled ou dans les quartiers comme à Melun, les enfants sont sans retenue, dans le bon sens. Si deux amis se disputent, ils ne vont pas gâcher cette amitié en se faisant la tête, mais ils vont s’engueuler, voire souvent se battre, et tout redeviendra ensuite comme avant.

J’ai aussi vu ces différences en comparant l’enfance de mes frères et la mienne, car mes frères et moi n’avons pas du tout les mêmes attitudes. Moi, je suis plus dans l’attitude du bled et eux, dans la retenue. Aujourd’hui, ils ont 3, 6, 12, 13, ils sortent pas dehors, ils jouent à la play. À 3 ans, le plus petit commence déjà à sortir le téléphone. Ça me dérange pas qu’ils jouent à la play, mais c’est plus le fait qu’ils ne sortent plus dehors : qu’il y ait de la pluie, de la neige, moi je sortais. L’autonomie de l’enfant se développe plus vite au bled. Pour ma part, je me sentais déjà autonome dès mon jeune âge, je partais seul dans les petits magasins.

Plutôt jouer seul que mal accompagné

J’ai donc pris un écart vis-à-vis des autres enfants. Je jouais parfois avec eux, souvent au foot dans les parcs, puis on rentrait. Mais s’ils n’avaient pas été là, ça n’aurait rien changé. Pour m’occuper, je sortais soit au parc avec mes petits frères pour jouer au foot, soit tout seul. Du coup, je rentrais plus tôt qu’au bled. Ce n’était pas comme dans les quartiers où les gens se connaissaient tous et étaient tous en bon terme. Au bled, j’avais la même mentalité et façon de réfléchir que tous les autres enfants du quartier, c’était beaucoup plus dur de quitter mes amis là-bas qu’en France.

Quand Rena a débarqué en France à 12 ans, elle a découvert une réalité bien différente de celle qu’on lui promettait. Cinq ans après son arrivée, elle peut enfin penser sereinement à l’avenir. Mon intégration en France a été longue et douloureuse

C’est en arrivant dans mon quartier à Melun que j’ai retrouvé la mentalité du bled et donc le sens du partage. On pouvait laisser notre ballon dehors, on nous le rapportait le soir même. En plus, j’étais à l’école avec toutes les personnes de mon quartier. Le quartier avec les jeunes, les adultes, les petits… L’ambiance était détendue. Je pouvais aller toquer chez un pote à 22h sans que ses parents me crient dessus. Ça m’a permis de m’adapter plus facilement. Ce n’est qu’à l’âge de 15 ans que certains potes du quartier sont devenus des vrais amis, que je ne considère pas comme des amis mais vraiment comme des frères et avec qui je traîne toujours.

 

Hafid, 18 ans, lycéen, Melun

Crédit photo Unsplash // CC Alessandro de Bellis

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