Christelle M. 26/03/2019

J’ai quitté ma mère pour ne plus vivre sous ses coups

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J'ai subi les insultes et les coups de sa mère, jusqu'à ne plus pouvoir supporter la situation et fuir. Question de survie.

Je me rappelle le jour où je suis née. Je croyais que ma vie allait être géniale ou du moins juste normale. J’avais eu le temps de rêver pendant neuf mois, de mon futur, de mon bonheur, de ma mère. Moi, j’étais contente de rencontrer celle qui m’avait portée, mais ce jour-là, elle n’a pas souri. Ça a commencé dès que je suis née. Mais au début, je le savais pas, donc ça ne peut pas compter. À partir de l’âge de 4 ans, j’ai commencé à me figer : je faisais pipi au lit à cause de la peur. Je dormais nue, sans oreiller, sans couette, juste sur un matelas et je faisais beaucoup de cauchemars.

À 5 ans, je me suis vraiment rendu compte que ce que je vivais était grave et pas normal. J’étais en grande section de maternelle. Je me levais seule, je m’habillais seule, je regardais la télé seule, j’ouvrais la porte et je partais seule à l’école. Souvent, il fallait que je demande à ma mère les clés, car elle les cachait, mais elle mettait trop de temps à me les donner, donc soit je n’allais pas à l’école, soit j’arrivais en retard. Juste avant d’arriver en classe, je séchais mes larmes pour montrer que j’étais forte. Je faisais semblant, je souriais, j’avais pas envie de me sentir différente, donc je n’en parlais à personne… Mais dans le fond, j’avais compris que chez moi, c’était différent.

Quand je sortais de l’école, il n’y avait personne pour m’attendre, donc je rentrais seule. Sur le chemin, je regardais mes copains et leurs familles. Ils se faisaient des câlins. Je les observais en souriant, parfois en pleurant, en me demandant pourquoi moi, j’étais différente ? Quand j’arrivais, moi je n’avais pas un bisou, pas un câlin, pas même un : « Comment s’est passée ta journée ? » Je ne goûtais même pas alors que j’avais très faim : ça n’existait pas chez moi, les goûters.

Je prenais toujours plus que mon frère et ma sœur

Moi, je passais ma vie à me faire battre pour un rien, à voir ma grande sœur se faire rouer de coups, à entendre des cris, des hurlements et des insultes. Ma mère me frappait avec tout et n’importe quoi. Ceinture, bâton, ustensiles de cuisine, fourchettes, couteaux, ses mains, ses poings. Plusieurs fois, elle a essayé de me noyer dans le bain ou de me cogner contre les murs. C’était rare les jours où elle me laissait tranquille. Des fois, avec mon frère et ma sœur, comme on n’avait pas le droit de manger, on allait se servir dans les placards, mais quand elle l’apprenait, elle prenait la spatule et nous tapait avec jusqu’à ce que notre peau gonfle et saigne. Moi, je sais pas pourquoi mais je prenais toujours plus que les autres.

À chaque fois que j’allais faire les courses avec elle, je lui parlais beaucoup pour qu’elle s’intéresse à moi. Elle me disait : « TAIS-TOI ! T’es chiante, t’es jamais sage, j’en veux pas de tes bisous et de tes câlins. » La seule chose qu’elle aimait faire sur moi, c’était me couper les ongles hyper courts, jusqu’à ce que mes doigts saignent. Sinon, j’avais le droit à des leçons de morale assise par terre, car je ne pouvais pas aller sur le canapé. Pendant des heures, elle me parlait, mais moi j’avais mal : mes fesses étaient bleues, vertes, violettes et j’étais fatiguée, donc je m’endormais. Je me faisais réveiller par sa chaussure en pleine tête.

Ma mère est une très très bonne manipulatrice. Elle a un problème psychiatrique. Depuis qu’elle est petite, quand quelqu’un tombe devant elle, elle rigole. C’est ma tante qui me l’a dit. Elle connaît pas ce qu’on appelle l’empathie. À partir de mes 9 ans, elle m’a demandé d’avoir le rôle d’une mère par rapport à mes frères et sœurs. À sa place, donc. Je devais laver les murs du sol au plafond. Tout. Tout. Elle, elle était assise sur le canapé et c’est tout. Mais elle n’était jamais contente de ce que je faisais. Au collège, des fois, je rentrais des cours et à peine la porte franchie, je me faisais frapper pour une poussière que j’avais oubliée !

Malgré tout, je l’aimais

À l’adolescence, c’est devenu pire. J’avais 15 ans. Souvent, je rentrais dans ma chambre et là, je voyais tout sens dessus dessous, genre tremblement de terre : plus de matelas, plus de bureau, plus de lit. Plus rien. Elle avait tout mis par terre. Je passais la soirée à ranger. Le lendemain, elle recommençait. J’étais fatiguée et triste.

Le 14 septembre 2017, deux semaines après la reprise des cours, j’ai fait mon sac très vite pendant que tout le monde dormait. Mais le lendemain, je ne savais plus quoi faire : parce que j’ai un cœur et que malgré tout, je l’aimais. Je ne voulais pas lui faire de mal. Et je ne voulais pas abandonner mon frère et ma sœur qui avaient 6 et 10 ans.

Tu penses à fuguer ? Tu es en fugue ? Tu penses revenir de fugue ? Il y a la PJJ, mais il existe aussi des PAEJ (Point Accueil-Écoute Jeunes) partout en France. Voici une carte qui les recense !

Il me restait une heure avant l’école : il fallait que je me décide. J’avais peur, mais j’ai fini par lancer mon sac par la fenêtre et je suis partie comme si j’allais au lycée, mais je ne savais pas où aller ni comment ça allait se finir. Des milliers de questions tournaient dans ma tête : et si elle me retrouvait ? Je fais quoi ? Je vais où ? Comme on habitait dans une petite ville, je devais me cacher pour ne pas qu’elle me voit et que je ne me fasse pas repérer par les gendarmes. À l’intérieur de moi, j’avais une peur continue, jamais ça ne s’arrêtait. J’ai dormi dans l’herbe dans un parc. Il faisait très froid… Au bout de trois jours, ma mère m’a retrouvée en ville.

Placée directement en foyer

J’ai couru très vite et réussi à la semer. Après, j’ai attendu quelques heures et je suis allée devant la Protection Judiciaire de la Jeunesse. La PJJ faisait déjà partie de nos vies parce que ma grande sœur avait écrit une lettre à un juge quelques mois plus tôt. J’étais passée devant lui, mais je ne lui avais rien dit. Ce jour-là, j’ai pensé que c’était ma seule solution. Je rentrais et je sortais du bâtiment, je savais pas trop, j’hésitais, mais j’ai fini par me dire que si, il fallait que je parle ! Je suis rentrée à l’intérieur et j’ai demandé à voir ma psychologue et mon éducatrice. Les deux étaient au courant. Comme j’étais bloquée au niveau de la parole, j’ai fait une lettre et on a fait un jugement d’urgence. J’ai été placée directement le soir en foyer, là où j’étais déjà allée quand j’étais petite.

Quand elle vivait avec sa famille, Gaëlle n’avait aucune liberté. Au foyer, c’est mieux. Un peu. La lycéenne rêve surtout du jour où elle pourra enfin vivre seule. La famille, le foyer : des barrières à ma liberté 

Aujourd’hui, je vis chez ma tante, à C. Je n’ai plus aucun contact avec ma mère. En janvier dernier, j’ai posé une main courante pour maltraitance physique et psychologique. Bien qu’elle s’en soit sortie avec 18 mois de sursis et 4000 euros de dommages et intérêts, elle a toujours la garde de ma fratrie (mon petit frère de 12 ans, ma petite sœur de 7 ans et une autre qui est encore dans son ventre) avec qui je n’ai plus aucun contact non plus. J’ai fait une demande de droit de visite pour voir mes frères et sœurs mais celle-ci ne sera peut-être jamais mise en place à cause des 300 kilomètres qui nous séparent (ils habitent à N.). Parfois, je regrette d’être partie parce que c’est comme si je les avais abandonnés, mais je suis heureuse de m’en être sortie vivante. C’était pas une vie. Juste une survie.

 

Cachou, 16 ans, lycéenne, C.

Crédit  photo Visual Hunt // CC0 Geoff Livingston

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1 réaction

  1. Cachou,

    Il faut que vous puissiez aider votre frère et votre soeur qui sont encore sous la coupe de votre mère.

    Pourquoi ne pas avoir porté plainte et demandé une enquête sociale afin de sauver votre fratrie ?

    Est-ce que votre tante chez qui vous êtes hébergée pourrait aussi garder votre fratrie chez elle, pour vous permettre de rester réunis.

    Je suis heureuse d’apprendre que vous êtes sauvée… mais je ne peux m’empêcher de visualiser votre petite frère et votre petite soeur vivant le même calvaire que vous.

    S’il vous plaît, faites quelque chose pour eux aussi.

    Sortez-les de là.
    Bon courage et bonne continuation.

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