Audrey B. 13/12/2016

Ma leçon de vie en quatre épreuves

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Confrontée à la maladie, à la mort et à la dépression, Audrey s'en est sortie en se forgeant une philosophie de vie bien à elle. Quatre épreuves et une leçon, voici sa recette.

 

Je suis assise à la terrasse d’un café, je fais mes devoirs et je tombe sur un titre de Youssoupha : Mourir mille fois. J’écoute une fois, deux fois. Et j’ai l’impression d’entendre mon histoire.

J’ai 20 ans et, comme tout le monde, j’ai eu des héros, des gens à qui je voulais ressembler. Ces fameux “j’aimerais tellement être comme ça”. Il a suffi d’une chanson pour que je réalise que le seul héros dont j’ai besoin et qui a toujours été là, c’est moi. Ça peut paraître égocentrique, naïf pour certains. Evident pour d’autres. Mais moi, je viens seulement d’en prendre conscience. Voici mes épreuves de jeunesse.

Epreuve n°1 : à 13 ans, ma meilleure amie met fin à ses jours

C’était ma sœur, ma moitié. Pour des histoires de garçons et de rumeurs, on s’était éloignées quelques mois avant qu’elle meurt. Mais en douce, je tentais de rester en contact avec elle. Et puis un jour, en allant au collège, la nouvelle est tombée. Elle s’était suicidée.

C’était la première fois que la mort m’attaquait de si près. J’ai pleuré, longtemps. J’avais l’impression qu’on m’arrachait le cœur, l’estomac noué : c’est elle qu’on enterrait, mais moi j’étouffais. A la place de mon torse : un trou béant.

Il y a eu les amis, la famille, le soutien des psys. Mais personne ne vous comprend à part vous-même. Personne n’a mal à part vous-même. Personne ne vous sauve à part vous-même. Alors j’ai dû me relever, pour moi, mais aussi pour elle. J’ai dû continuer. J’ai alors compris que l’on ne sait jamais de quoi on est fait tant qu’on n’est pas brisée.

Epreuve n°2 : en 2010, mon père tombe dans le coma

On ne sait pas pourquoi. Mes parents partent en France, me laissent à Madagascar. Un mois. Deux mois. Trois mois. Ils reviennent. Le diagnostic tombe : cancer du sang.

Une première claque. Je l’encaisse sans trop de difficulté. Mon père est un modèle de persévérance et de positivité. Si lui ne pleurait pas, je n’avais pas le droit de pleurer. Les mois passent. Un soir : il est semi-conscient.

A Madagascar, les ambulances arrivent aussi vite que si elles devaient passer le périph’ en heure de pointe à Paris… Alors on prend la voiture.

Ma mère au volant, moi à l’arrière, avec mon père allongé. Je lui tiens la main, je le supplie de la serrer pour le garder un minimum éveillé. Je lui parle. Il ne répond pas, mais il serre ma main. D’un coup, il n’y a plus de pression. Je ne sens plus rien. L’espace de quelques secondes, cette sensation de vide, ce trou béant s’empare à nouveau de moi. Ma mère panique déjà assez. Mon père ne répond plus. Je me ressaisis.

En quelques minutes, je dois me sauver à nouveau. Ne pas craquer. Je m’empêche de pleurer, je serre, j’espère lui transmettre un morceau de ma propre vie par allez savoir quel miracle. Il répond. Je respire à nouveau.

Epreuve n°3 : en 2013, mon premier amour rompt avec moi

Notre relation durait depuis cinq ans. Mes parents sont à nouveau en France pour soigner mon père. Je me sens seule. Détruite. Anéantie. S’ensuit ce qui a été, jusqu’à maintenant, la période la plus sombre de ma vie. Cachets, mutilations. Je cherche le moyen de me tuer. Vite et bien. J’écris des lettres à mes proches. Je leur demande pardon. Mes avant-bras sont recouverts de cicatrices. Certains de mes amis les voient et me disent : « T’es folle ? Ca va pas ou quoi ? »

Non, évidemment que ça ne va pas. Je réalise que personne ne comprend à part moi.

Personne ne peut savoir ce qu’il se passe à l’intérieur de ma tête à part moi. Personne ne peut me sauver. A part moi. Je ne sais pas pourquoi je me suis relevée. Un long combat commence, dans le silence. Jusqu’à aujourd’hui, la majorité de mes proches ignorent que j’ai lutté contre la dépression et les tendances suicidaires. Je me suis reconstruite petit à petit. Difficilement, mais par moi-même. Sans voir de psy cette fois.

En février 2015, six mois après le début de ma première année en France, la dépression surgit à nouveau. Je retombe. Je suis sur le point de me mutiler à nouveau. Et je lutte littéralement contre moi-même. Je repose la lame de rasoir. Et je me bats.

Epreuve n°4 : fin 2016, je romps définitivement avec mon ex

Je n’aurais jamais cru que cela arriverait un jour. J’ai tout donné dans cette relation, avec ses interruptions. Huit ans : ça a l’air si peu par rapport à toute une vie, mais c’est énorme quand ce sont vos années de construction. J’ai prévenu deux personnes de mon entourage sur le coup, personne d’autre. J’ai vécu la rupture silencieusement. J’avais mal, mais je ne le disais pas. Je ne voulais pas de la pitié des autres, je ne voulais pas craquer devant eux.

J’ai craqué seule et essuyé mes larmes seule. Je ne regrette pas, j’ai été ma propre héroïne.

Le héros et le personnage le plus important de votre vie, c’est vous. Vous n’avez pas besoin d’être comme x, ou comme y, soyez comme vous. Je n’irai pas jusqu’à dire que la seule personne dont vous ayez besoin c’est vous. Mais on n’en est pas loin. Ça peut paraître égoïste comme vision des choses, mais j’ai vu beaucoup trop de personnes dépendre d’autres individus pour survivre.

Il y a tellement d’épreuves dont on pense qu’on ne se relèvera jamais : un deuil, une rupture amoureuse. On a des traces, on a mal, mais la vie continue. Et elle est pleine de surprises.

A tous ces jeunes qui ont l’impression d’être dans une caverne sombre et sans issue, il y a toujours une lumière au bout du tunnel.

“On ne sait pas vraiment de quoi on est fait tant que l’on n’est pas brisé, mais on se relève toujours d’une voix, même si perdre tant de proches nous donne l’impression de mourir 1000 fois.”  Youssoupha

 

Audrey B., 20 ans, étudiante (L2 de sciences politiques), Paris

Crédit photo Flickr CC Philippe Le Royer

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