ZEP 14/02/2018

15 ans, ma vie dans un centre d’hébergement d’urgence

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Au centre d’hébergement d’urgence de la rue Saint-Pétersbourg à Paris, chacun a son histoire, son parcours. Nous enfants du centre vous livront des petits moments de vie.

Bonne année 2016

J’habitais dans un appartement avec ma mère. Mais il y avait trop de personnes. J’ai dû partir. Et je suis arrivé « chez moi ». « Chez moi » entre guillemets parce que ce n’est pas vraiment chez moi. Ici, c’est un centre d’hébergement d’urgence pour des gens qui n’ont pas d’appartement ou de maison. Avant que j’arrive « chez moi », j’ai appelé le 115. Ou plutôt c’est ma mère qui a appelé et c’est moi qui ai parlé. Parce que ma mère elle sait parler le français, mais pas trop bien. Ils nous ont donné une chambre d’hôtel où il y avait une salle de bain, des toilettes, un placard, une télé et deux lits. Moi et ma mère, on y est resté neuf jours. Et puis un soir, l’hôtel nous a virés.

C’est parce que ma mère fait toujours le ménage. C’est son métier.

Du coup quand on sortait pour découvrir la rue, la chambre était bien rangée, ma mère avait passé l’aspirateur. C’était tellement propre que le monsieur de l’hôtel croyait qu’on était parti. Alors un soir, il a loué notre chambre. Et il nous a dit : vous devez partir.

Ma mère c’est la seule à savoir que j’habite au 115

On est allé voir une assistante sociale. Elle nous a dit que c’était pas normal. Elle a appelé le 115. Quand on appelle le 115 ça prend 10 ans avant de répondre. Ça fait tourner la tête. « Bonjour vous êtes bien sur le répondeur du 115 », après ça fait ça dans toutes les langues et une musique. On met le haut-parleur. Ils nous ont envoyé un SMS. Ils nous ont dit : votre hébergement se situe rue Saint-Petersbourg, au 26.

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On est venu ici. J’étais pas content parce que je me sentais pas chez moi. J’étais énervé. J’ai visité. C’était bien mais dans la chambre, le placard était cassé, le sol était noir.

Alors on a demandé à changer. Puis, on est allé au brunch, il y avait plein de trucs à manger. Ma mère me disait de manger.

Mais tellement j’étais ému de voir tout ce monde que je ne voulais pas. C’était le jour du 31 décembre et il y avait un repas avec une entrée, un plat, des desserts.

J’étais triste. Ma mère a pleuré parce qu’elle était contente et moi je pleurais de voir ma mère pleurer. Le lendemain matin, on s’est réveillés et je suis resté dans mon lit parce je ne voulais pas descendre. Je ne connaissais personne, sauf ma mère qui est ma confidente.

Elle est tellement ma confidente qu’on partage un vrai secret. Elle est la seule à savoir que j’habite au 115. Au collège, je ne dis rien. Ça fout trop la honte. Quand on habite au 115 ça veut dire qu’on n’a pas d’argent.

Djibi, 14 ans, Paris

 

Ma vraie maison

Les amis, venez me retrouver dans ma maison svp les samedis et les jours fériés ! Je vous écris d’une vraie maison, dans le 12eme arrondissement. Une maison qui est bien différente de l’Archipel.

Ici on peut avoir notre boite aux lettres et c’est nous mêmes qui allons chercher notre courrier.

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Ici on a un débarras pour mettre nos poubelles donc on n’est pas obligé d’aller dehors pour les poser. On a aussi une cave pour ranger des cartons. Comme ça si on doit re-déménager on les aura déjà.

Ici j’ai une chambre avec un placard, une télé et un bureau rien qu’à moi sur lequel je peux faire mes devoirs et écrire des lettres. Dans ma chambre j’ai un grand lit rebondissant.

 

Y’a même pas de couloirs ici…

Dans ma chambre il y a aussi une porte qui permet d’aller dans le salon. Il n’y a pas besoin de dessiner des frontières imaginaires, il y a des vrais murs.

Ici il y a une salle de bain où je peux me laver tout seul et je peux même y laisser des affaires parce que il n’y a que maman et moi qui l’utilisons. Il y a aussi une cuisine avec un frigo et une machine à laver. Maman peut faire la cuisine : de l’aloco du Thiep, du riz, des pizzas ou des pattes… c’est meilleur que la cuisine en pot de plastique du centre. J’ai des WC qui sont propres et ce n’est pas la peine d’y apporter son papier toilette. Il est déjà là.

En bas de l’immeuble j’ai même un jardin c’est le truc le plus magique. Je peux y jouer au foot et j’ai déjà des amis…

Mais malgré tout ça vous me manquez souvent. Les tatas surtout, toutes les mamans du centre qui s’occupaient de moi me manquent. Les animateurs aussi me manquent. Toutes les activités de l’Archipel me manquent. J’aimais faire pousser des fleurs, j’aimais les boums et les fêtes de fin d’année. J’aimais jouer dans les couloirs du centre d’hebergement d’urgence l’Archipel et courir me cacher pour ne pas se faire attraper par les adultes

Ici il n’y a pas d’autres enfants pour jouer dans les couloirs. Y’a même pas de couloirs d’ailleurs. On est tout de suite dehors. C’est bizarre. Ici ma maison est plus grande que notre chambre de l’Archipel, j’ai « tout bien »… sauf que je suis tout seul… Donc je joue souvent en solitude.

Ismael, 8 ans, Paris

 

Un terrain de jeux

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Là où j’habite au centre d’hébergement d’urgence c’est l’Archipel. Pour moi c’est mon terrain de jeux. On court, on s’amuse, on rigole. Ce que j’aime c’est qu’il y a plein d’endroits interdits.

On peut jouer dans plein d’endroits. On peut se cacher. Il y a un escalier qui est interdit mais des fois on y va. C’est pour monter au deuxième étage où il y a plein de lumières et les chambres. En montant il y a un canapé on n’a pas la droit mais on y va pour se reposer quand on est fatigué après un concert. Parce qu’il y a des concerts le soir ici.

Il y a plein d’autres endroits pour se cacher. Par exemple les toilettes. On y joue à cache cache. Ma cachette préférée c’est derrière le canapé de la salle informatique. Aussi on peut danser partout.

Il y a des salles comme la salle des ados et des petits, mais aussi des couloirs. Il y a plus de places. Bientôt on va s’en aller. Là où on va je ne sais pas si il y aura des couloirs pour danser.

Anastacia, 12 ans, Paris

Serial-déménageur

J’ai 13 ans et j’ai déménagé 5 fois. Ça fait un déménagement tous les 2 ans et demi.

Je suis né en Italie. Mais je suis parti tout de suite en France. A Paris je suis arrivé à Belleville, j’ai déménagé à Maraîchers, je suis allé dans un hôtel du 115 à Château rouge. Après je suis venu dans le 8ème. Là où le 115 nous a envoyés ma mère et moi.

Je passe ma vie à déplacer ma vie dans des valises. Ça fait mal aux bras. Ça tue les mains et ça fait transpirer même en hiver. J’ai toujours été avec ma maman pour les déménagements. C’est ma princesse, c’est ma maman et c’est ma collègue déménageuse. La plus belle des déménageuses…

La lourdeur des valises contre la légèreté de ma vie. Parfois j’aimerais enfermer tous mes soucis dans ces valises. Et les jeter dans la Seine. A chaque déménagement on espère un nouveau départ, une meilleure vie. Mais on revient toujours à la case départ.

Pas de maison à nous, des salles de bains communes, les repas en barquette. Un lit double dans la même chambre. C’est ça être un serial déménageur.

On est les seuls déménageurs à prendre le métro. Les gens nous regardent et se demandent si on part en vacances. S’ils nous demandent où on part je dirai « dans mon pays » Mais en fait je change juste d’arrondissement.

D’autres témoignages d’autres enfants, toujours au centre d’hébergement d’urgence de la rue Saint-Pétersbourg.

J’ai un objet que je garde toujours avec moi…

Dans le métro on prend beaucoup de place. Mais moi j’ai envie de me faire tout petit. J’aimerai même me cacher dans mes valises. Je transporte ma vie en valise mais comme c’est lourd de déménager j’ai appris à vivre léger. Et puis j’ai pas besoin de beaucoup pour être heureux. Juste ma collègue déménageuse et une valise pour emporter ses robes de princesse.

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Souvent à peine arrivé, on doit repartir. Du coup on vide pas nos valises et elles deviennent nos étagères, notre bureau, notre lit, notre maison.

Par contre même si parfois on doit tout laisser, tout abandonner pour repartir à nouveau j’ai un objet que je garde toujours avec moi. C’est un cadeau de ma maman. Un vrai cadeau de déménageur.

Ça pèse pas lourd ça s’accroche à la ceinture pour laisser les mains libres ; c’est mon gris gris du Sénégal.

Elle est maline ma mère, elle aurait pu m’offrir un gros cadeau, une télé, un ordinateur, une Playstation 4 mais c’est trop lourd à déménager alors je suis bien content avec mon cadeau qui s’accroche à la ceinture.

D, 13 ans, Paris

Ces textes ont été écrits dans le cadre d’ateliers d’écriture organisés par la ZEP avec l’association Aurore au centre d’hébergement d’urgence de la rue Saint-Pétersbourg, dans le 8ème arrondissement de Paris. 

Crédit photo : Stan Zambeaux

 

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1 réaction

  1. Salut , je lue toutes vos histoires . Je suis un peu dans la même avec le 115 , maintenant je me sens moins seule . Pour certains cela est à amusant ( les plus petits ) , on paye rien , on joue avec les voisins . Mais pour les plus grands , c’est chiant et honteux , dire a ses copines qu’on habite dans un hotel pas tres glamour . Mais au moins on a toit sur la tete , Je pense on voudrait tous avoir NOTRE toit sur la tete . Ps : moi aussi je mon gri gri du senegal 😉

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