Florence 19/11/2015

Ce vendredi 13 nous transforme un peu plus en génération carpe diem

tags :

13 Novembre 2015. Des attentats multiples secouent la capitale. Les français choqués pleurent leurs morts. Et les jeunes ils en ont pensé quoi ? Série de témoignages.

Mardi 10 novembre :

Je rentre tardivement chez moi et sur le chemin je songe, je ne sais pas pourquoi, à notre présence en tant qu’Homme sur terre. Un passage en fait, un court passage à l’échelle de l’Humanité ou encore du monde. Ce « passage » me laisse songeuse. Et s’il fallait, encore plus que nous savons déjà le faire, apprécier chaque jour, chaque minute, chaque infime instant tant il est précieux ?

Mercredi 11 novembre :

Demain et vendredi je travaille dans la filiale anglaise de l’entreprise française dont je suis salariée. Comme c’est férié aujourd’hui, j’anticipe mon départ pour passer la journée à London. En me rendant à la Gare du Nord, en bus depuis le quartier où j’habite, je me sens tendue. Une appréhension injustifiable me noue le ventre. Je vérifie : billets et carte d’identité sont bien dans mon sac. Il n’y a pourtant pas de souci à se faire, je suis bien à l’heure. Une fois assise dans le train, plongée dans la lecture d’un journal, cette angoisse se dissipe.

Arrivée chez les Rosbifs, je me rends compte que nombre d’entre eux portent un coquelicot en papier ou en Pin’s à la boutonnière. Je découvre l’existence de la commémoration du 11 novembre outre-Manche où, ici, seule une minute de silence est observée à 11h, le onzième jour du mois, le onzième mois de l’année. J’apprends l’histoire de ce coquelicot, le poppy comme ils l’appellent, clin d’œil aux nombreuses fleurs qui poussèrent momentanément après les bombardements, la chaux enrichissant le terrain crayeux du sol de Flandre.

Jeudi 12 novembre :

J’entends dans une courte page d’information radiophonique qu’un attentat a eu lieu à Beyrouth. Plus de deux cents blessés et une quarantaine de morts. J’entends l’information, mais ne la considère pas vraiment. Je ne connais personne là-bas, n’y ai jamais mis les pieds, et puis ces régions sont en conflit permanent. On en entend tellement…

Vendredi 13 novembre :

Si j’avais été en France aujourd’hui, j’aurais peut-être acheté un « Banco », un ticket pour le Loto ou n’importe quel jeu de chance. Je rentre avec le dernier train, les bureaux de tabac seront sûrement déjà fermés.

Après une journée au siège anglais, une bière au pub avec mon ami qui m’a accompagnée lors de cette escapade de l’autre côté de la Manche, nous voilà dans le train. Bercée par le roulis, je somnole. Peu avant l’arrivée, je jette un œil à mon téléphone. Quantité de messages me surprennent.

22:23, Mathieu : « Everything’s good chez toi ? Pas sortir… »

22:24, Bertrand : « Explosion au stade de France et fusillade boulevard Voltaire !!!! »

22:26, Clémence : « Flo rassure moi… tout va bien? »

22:36, Alessandra : « Hello fait gaffe il y eu des fusillades au Petit cambodge »

22:37, Cyril : « Coucou , un petit message pour savoir si tt va bien . Bisous »

Le flot de messages me raccompagne chez moi.

23:22, Pierric : « Tout va bien Florence ? Dis moi juste si tout va bien pour toi. »

23:44, Marine : « Mes pintades…juste un petit message pour vous dire que je pense fort à vous dans ce monde de fou. »

23:49, Hélène : « Vous êtes au chaud chez toi ma Flo ? »

23:58, Chloé : « T’es ou ca va !? »

0:02, Delphine : « Hey j’espère que tu es bien rentrée, bisous »

0:14, Tata : « J ai entendu la radio j espère que tu vas bien »

1:24, Quentin : « Tu vas bien toi ? »

1:36, Leïla : « Je suis à Bruxelles, loin de tout ca, tout va bien pour moi. Comment ca va ? »

Samedi 14 novembre :

7:54, Candice : « Salut ! Je sais que tu n’es pas fan de hard rock ni de foot mais je voudrais savoir si tu vas bien. Bisous. »

8 :14, Oriane : « Hello Florence. Je t’envoie ce petit message pour savoir si tout va bien… Oriane »

9:34, Mélusine : « Hello! J’espère que tu vas bien et que les personnes autour de toi aussi. Moi jétais à lappart hier. Bises. Mélu »

9:50, Parrain : « Salut Florence On suit ce qui s’est passé à Paris hier soir. Tout va bien pour toi ? »

Nous avions prévu avec ChériChéri de partir ce soir en Bretagne dans une maison de famille pour un week-end prolongé jusqu’à lundi. Nos impératifs respectifs sont annulés. Nous partons dans l’immédiat. Sur la route, la radio nous accompagne. J’entends la bande-son de la vidéo réalisée avec un téléphone portable par un journaliste du Monde, habitant dans une rue à l’arrière du Bataclan. Le son m’est insupportable. Même sans image, l’imaginaire fait le reste. J’éteins la radio, nous glissons vers l’Ouest en silence.

10:21, Eric : « Hello, you’re safe ? »

11:03, Clémence : « Coucou les copains, au vu de l’actualité, tout le monde va bien ? J’espère que vous étiez tous bien ai chaud chez vous hier soir ! Bisou »

12:28, Ambre : « Ca va flo ? »

A cinq cents kilomètres de la capitale meurtrie, bouclée, mutique, nous n’allumons pas le poste. Les réseaux sociaux croulent sous le flot d’informations et forcent toutefois la porte de nos téléphones intelligents.

20:12, Frédéric : « Salut Florence. Depuis la nouvelles des attentats je pense à toi en espérant que tu vas bien ainsi que tous tes proches et tes amis. Je suis Paris Affectueusement Frédéric »

Dimanche 15 novembre :

19:05, Doris : « Coucou Florence. J espère que tu vas bien et que tu n as personne parmi les victimes. Sois prudente quand tu es dans la capitale. Gros bisous. Doris »

Le problème c’est que, dans cette capitale, j’y habite.

Je bois des bières au Carillon, à deux pas de mon appartement, je déjeune parfois le samedi au Petit Cambodge qui a l’avantage de servir en continu. Mon ami traîne une fois par semaine en bande à la terrasse de la Belle Equipe. En rentrant, il râle toujours après le prix de la bière. Cette semaine je n’aurai pas droit à cette routine à laquelle je m’étais habituée et dont je m’amusais.

Lundi 16 novembre :

Retour progressif vers Paris. Nous trainons en chemin chez une amie devenue rennaise.

Mardi 17 novembre :

Retour au turbin.

Dans le métro, je feuillette enfin Libé acheté hier. Comme un journal de bord sordide, il renferme quelques portraits de disparus et des témoignages des proches qui ont passé le week-end à courir d’un hôpital à un autre en passant par Ecole Militaire.

Arrivée au bunker (c’est ma façon d’appeler le bureau, fenêtres impossibles à ouvrir, climatisation en permanence et tourniquet à l’entrée après avoir fait glisser son badge dans la pointeuse), les hôtesses d’accueil papotent : « Ca ne va pas durer ce deuil. On est vivant nous hein, on ne va pas rester enfermé. » Première confrontation après les événements. Dans l’open space un collègue me lance un « ça va, t’as pas été emmerdée avec ce qui s’est passé ? ».

Je suis allée aux toilettes, ai rabattu le battant du W.C., me suis assise et ai versé des larmes. Aux chiottes.

Je n’ai pas été heurtée physiquement, ni aucun de mes proches.

J’habite dans l’un des quartiers touchés et comme de nombreuses personnes je me dis : « J’aurais pu y être ».

Oui mais voilà, je n’y étais pas. Je dois me gargariser d’avoir cette chance d’être en vie.

Mais p*****, ce n’est pas une « chance », c’est censé être normal, vivre.

Aujourd’hui plus que tout autre jour, je me sens obligée d’apprécier chaque instant. Aussi peu de temps qu’il puisse me rester, ce n’est peut-être pas derrière un écran et entre quatre murs que je dois être. Et si je démissionnais pour vivre pleinement sans avoir besoin de mettre en location les heures de ma vie ?

Ma génération fonctionne déjà différemment de celle de nos parents. Nous ne sacrifions rien pour nos employeurs, n’acceptons plus les stages sous-payés, les stages photocopieuse et machine à café. Nous n’attendons pas une éventuelle compensation ou reconnaissance. Nous voulons tout, tout de suite, maintenant. Nous sommes la génération de l’impatience. Ce qui s’est passé ce vendredi treize nous transforme encore un peu plus en génération carpe diem.

En sortant du bunker tout à l’heure, je retrouve Hélène au Café Chéri(e).

Boire pour se changer les idées. Parler pour évacuer. Rire pour s’échapper.

Florence, 26 ans, salariée, Paris

Crédit photo © Camille Cohendy

Partager

1 réaction

  1. Bonjour Florence,
    juste un petit mot pour dire que j’ai trouvé cet article très touchant, super bien écrit… Emouvant, quand ce qui se passe autour de nous peut parfois sembler si irréel, si lointain, même si c’est à quelques kilomètres à peine de chez soi. Ces mots transmettent plus de choses que tous les reportages télé qu’on nous sert en boucle. Bon courage pour les jours à venir !

Voir tous les commentaires

Commenter