Manon M. 27/05/2021

Dubaï : votre rêve, ma réalité

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Manon a vécu deux ans à Dubaï, ville de rêve pour beaucoup de gens. La Dubaï qu'elle a vue n'a rien à voir avec les Stories des influenceurs.

Je monte dans mon bus scolaire jaune vif et m’en vais pour une nouvelle journée sous quarante degrés. Je vois défiler les tours, puis le désert. Et au bout d’une quarantaine de minutes, le collège apparaît sur la droite, le bus s’arrête, toujours aussi bien aligné par rapport aux autres. La routine s’installe, toutes les cinquante-cinq minutes, je change de cours, je passe la porte et affronte le mur de chaleur contrastant avec la fraîcheur sèche de la climatisation. Après une bonne journée d’environ sept heures de cours, je rentre chez moi, le calvaire est fini. Rendez-vous demain pour une autre journée exaltante à Dubaï.

Sur les réseaux, les photos paradisiaques affluent, tous les influenceurs s’y rendent avec comme but de se montrer sous tous les angles. On peut comprendre pourquoi les jeunes voient cette ville comme le jardin d’Eden : les belles plages, les centres commerciaux luxueux et les immenses tours. La ville la plus sensationnelle et incroyable pour les influenceurs n’est pas si charmante que l’on peut penser.

Dubaï sous tous les angles

Le travail de mon père oblige, j’ai vécu deux ans à Dubaï, pendant les deux premières années du collège. J’étudiais au lycée français, loin de chez moi, et j’ai eu du mal à m’intégrer. Les nouveaux n’étaient bien accueillis que s’ils parlaient anglais ou arabe. Or, je ne parlais que français et quelques mots d’anglais ajoutés à un accent douteux.

La rentrée de septembre fut mouvementée, j’alternais entre les malls climatisés, mon appartement climatisé, les salles de classe climatisées et la piscine rafraîchie. À partir de fin mai jusqu’à début novembre, la population dubaïote s’enferme dans les bâtiments, peu importe la taille, tant qu’ils ont une température environnant les vingt degrés.

La comédienne Marie s’Infiltre a filmé son séjour à Dubaï en caméra cachée : train de vie des influenceur·seuse·s français·es, exploitation des travailleur·seuse·s…  Partie à la rencontre des classes les plus aisées comme des plus démunies, ses vidéos donnent à voir un univers plein d’inégalités.

Dubaï est très étendue, d’où les bus scolaires. Rien que devant le lycée, il doit y en avoir une quarantaine. Impossible de se balader dans la ville, c’est seulement plusieurs quartiers reliés entre eux par de grandes routes d’une dizaine de voies. La plupart des habitants ont une voiture, voire deux ou trois. Mes parents ont choisi de ne pas en prendre. On ne savait pas dans quelle galère on se mettait. Il n’y a que deux lignes de métro, qui ne nous ont jamais servi puisque difficile d’accès et pas utiles dans nos trajets. De temps en temps on louait une voiture, sinon on se reposait sur les taxis, de loin le meilleur moyen de transport pour Dubaï. Néanmoins, prenez garde ! Le nombre de taxis voleurs est incalculable et ils savent parfaitement se camoufler derrière leurs visages de connaisseurs de la ville et d’hommes bienveillants…

Dubaï, façade de l’esclavage moderne ?

Depuis ma plus tendre enfance, je ne rêve que de chevaux. Je devrais être bien tombée dans le monde du cheval arabe : les Émirats arabes unis. Je suis tombée sous le charme d’un club formidable. Ça a été l’endroit qui m’a sauvée, mon paradis. Sauf que derrière ce magnifique endroit se cache la vraie face de Dubaï.

Exploitation humaine, surconsommation d’eau, utilisation illimitée de pesticides… Les grooms qui s’occupent des chevaux et des cours m’en ont beaucoup parlé. Ils ne sont payés que deux sous par mois et privés de leurs passeports le temps de leur contrat, vivent dans des conditions minables, sont emmenés sur leurs lieux de travail dans de vieux bus blancs, et sont traités comme des esclaves. Ils en parlaient assez librement durant les cours d’équitation. Dubaï est-elle un paradis ou la façade de l’esclavage moderne ?

Une ville qui sonne faux

« Oh c’est trop bien d’aller là-bas, tu as trop de chance ! Pourquoi les choses biens arrivent toujours aux autres ? » Fin CM2, mes camarades de classe en France m’enviaient alors que je n’avais qu’une seule chose en tête : rester dans ma ville tant aimée. Mes nuits étaient hantées de cauchemars en tout genre, surtout de crashs d’avion. Je n’arrêtais pas de me demander pourquoi je n’aimais pas Dubaï comme mes amies, pourquoi je n’avais pas le même point de vue qu’elles, et pourquoi elles ne comprenaient pas ma réticence face à la vie dubaïote.

Les influenceur·euse·s imposent leur vision glamourisée du monde sur les réseaux. Parfois avec de lourdes conséquences. Danielle l’a vécu sur Instagram où, à force de se comparer à d’autres femmes, elle s’est mise à stresser de son physique et de l’image qu’elle renvoyait.

Tout n’était pas rose, c’est sûr. Je ne peux tout de même pas dire que cette période de ma vie ne m’aura rien appris. J’ai appris à m’adapter plutôt qu’à freiner des quatre fers. J’ai trouvé des endroits où je me sentais bien comparé au centre de la ville, fait de blocs de pierre qui sonnent faux. Certains immeubles ou événements sont construits à une vitesse incroyable, puis s’arrêtent aussi vite qu’ils ont commencé à sortir de terre, faute de moyen. En tout cas, Dubaï restera votre rêve, et moi, ma réalité.

 

Manon, 14 ans, collégienne, Neuilly-sur-Seine

Crédit photo Unsplash // CC Adam Le Sommer

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