Abdallah A. 08/04/2021

En quittant le Tchad, j’ai perdu ma famille et mon pays

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La famille d'Abdallah a disparu pendant la guerre civile au Tchad. Vivant, aujourd'hui en France, il les cherche depuis plus de dix ans.

J’ai quitté le Tchad et ma famille en même temps. Nous étions six : mon père, ma mère, ma sœur aînée, mon petit frère et ma petite sœur.

En 2007, je suis parti de chez mes parents pour aller à l’école dans une petite ville, à Adré (Tchad), à une cinquantaine de kilomètres de chez moi. Il y avait un conflit au Darfour et, en 2009, la guerre a éclaté. Tout le monde a fui, c’était le chaos. Avec d’autres enfants, nous sommes partis vers le Soudan, près de la frontière avec le Tchad.

Un jour, j’ai enfin pu rentrer. Je voulais retrouver mes parents et mes frères et sœurs. Je suis retourné dans mon village, je suis passé chez moi, mais ma famille n’était plus là. Notre maison est isolée, elle était vide. Je me suis rendu aux habitations les plus proches, à quelques kilomètres, mais là-bas non plus, il n’y avait personne.

Traverser un désert, manquer d’eau et de nourriture, faire face aux passeurs et aux policiers, dormir dehors… Quitter son pays natal n’est pas une démarche, mais un combat. Lamarana, Mujeebullah et Youssouf racontent leur parcours, jusqu’à leur arrivée en France.

Alors, j’ai marché pendant cinquante kilomètres jusqu’à une petite ville où j’ai pris une voiture pour Abéché, la deuxième ville du Tchad. Peut-être que ma famille s’y trouvait ? J’ai travaillé un peu dans un restaurant, et je cherchais toujours mes parents. Je n’avais aucun moyen de les retrouver. Je ne savais pas où aller.

Des souvenirs d’enfant gravés

C’était à nouveau la guerre entre les rebelles et l’État. J’ai repris la route. Je suis arrivé en Libye, dans une ville saharienne. De temps en temps, je trouvais un peu de travail. J’ai fabriqué des briques rouges, non loin de la frontière avec le Tchad. Il y a eu beaucoup d’histoires en Libye… J’ai fini par partir, et je suis arrivé en France.

Je suis né au Tchad il y a 23 ans, et je me demande si j’y retournerai un jour. J’ai des souvenirs qui me viennent en tête. Je suis enfant, j’ai 7 ou 8 ans, mon père travaille dans un magasin. Et ma mère vend des fruits et des légumes. Je garde mon frère durant le marché. On a quelques animaux : des moutons, des vaches… Je n’ai pas vu ma famille depuis la guerre, depuis que je suis parti pour l’école. Je pense sans cesse à eux. Je les ai beaucoup cherchés.

Une fois en France, j’ai entamé des démarches avec la Croix-Rouge. Mon éducateur m’a dit qu’elle avait un programme, le « Rétablissement des Liens Familiaux », pour aider les gens à retrouver leur famille. On a pris rendez-vous avec eux, en 2017. Ils m’ont posé des questions sur ma famille : « Vous habitiez où ? Combien de personnes étiez-vous ? Quelle est l’identité de vos parents ? De vos frères et sœurs ? Avec-vous des photos ? » J’ai donné mon nom, et tous les détails sur leur identités, pour qu’ils puissent les montrer. Malheureusement, je n’ai pas de photos d’eux. Alors ils ont pris un portrait de moi.

Le programme « Rétablissement des Liens Familiaux » du CICR (comité international de la Croix-Rouge) existe depuis 1959 en France. Il a pour but d’aider les personnes victimes de séparation involontaire à rétablir et maintenir les liens avec leurs proches ou à retrouver des disparus. En décembre 2020, 100 000 personnes étaient toujours recherchées.

Depuis, tous les deux ou trois mois, j’appelle pour savoir s’ils ont des nouvelles. Ils m’ont dit que des personnes basées dans la capitale du Tchad mènent des recherches. Mais, pour l’instant, il n’y a pas eu de piste. À chaque appel, j’ai espoir que ça marche. Je cherche aussi de mon côté. Je connais beaucoup de gens. De temps en temps, j’appelle des personnes sur place. Mais pour l’instant, rien.

Aujourd’hui, je vis à Marseille, dans le 3e arrondissement, seul dans un appartement. J’ai fait une demande d’asile. J’attends des nouvelles. Je les chercherai toujours.

 

Abdallah, 23 ans, en formation, Marseille

Crédit photo Unsplash // CC Gift Habeshaw

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1 réaction

  1. Son histoire me touche tellement . J’aurais aimé être à Marseille et pouvoir le serrer dans mes bras.

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