Melodias 05/03/2021

Notre hébergement d’urgence, c’est la voiture de mon père

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Melodias s'est retrouvé sans logement avec son père. Il a découvert la réalité de la rue et les difficultés à trouver un hébergement.

Un soir, l’enfer débute, une embrouille familiale avec menace de mort entraîne la rupture entre mon père et sa conjointe, chez qui je vivais. Elle décide de nous mettre à la rue le lendemain. Il est 9 heures, mon père et moi décidons d’aller rapidement trouver une solution, ou un hébergement d’urgence. Quand je me suis retrouvé dehors avec mon père, j’ai compris la réalité de la rue. Entre souffrance, peur et surtout colère, malgré nos appels à l’aide, notre commune ne nous a pas aidés.

Direction la mairie de notre ville. Nous nous adressons à l’accueil. Le personnel nous fait clairement comprendre qu’il n’aura aucune solution pour nous, et qu’ils ont d’autres occupations que les gens en détresse et sans logement. La ville a des structures sociales en construction destinées aux personnes immigrées et aux femmes battues, aucune pour les personnes qui se retrouvent à la rue du jour au lendemain. Tout ça dit de manière froide ; pas vraiment agréable pour une personne plus ou moins stressée par ce qui allait lui arriver.

Aucun hébergement disponible

Nous songeons alors au logement privé. Mais le chômage de mon père ne le permet pas. Mon père a travaillé pendant plusieurs dizaines d’années dans la même boîte et s’est ruiné physiquement là-dedans. Il a stoppé son emploi après une accumulation de douleurs (blessure au bras, douleurs aux genoux et au dos) et un ras-le-bol global. Il est au chômage depuis un an, même si pendant tout ce temps il a été en recherche d’emploi dans un autre domaine et a effectué des formations.

Nous décidons donc, sur les conseils de la mairie, d’aller au CCAS (centre communal d’action sociale), qui serait censé mieux nous aider. Arrivés là-bas, il est environ 11 heures, le cinéma recommence. Une femme nous accueille et, quand elle apprend notre situation, perd un peu ses moyens. Tous finissent par nous dire qu’aucune solution ni logement d’urgence n’est disponible. Apparemment, durant le Covid, rien n’est disponible, et les villes n’ont aucune obligation d’avoir des logements de ce type. Le CCAS nous redirige alors vers la mairie. La colère commence à monter en nous.

La mairie ne nous a pas aidé

Une fois à la mairie, où il y a pas mal de monde, mon père commence un cinéma en haussant le ton, après que le CCAS et l’hôtel de ville se soient renvoyés la balle, c’est-à-dire nous. L’accueil menace de nous faire embarquer par la police, mais son coup de théâtre fonctionne. Je suis un peu gêné de la situation car je ne sais plus où me placer : dois-je accompagner mon père dans son jeu ou observer ? Je décide de ne pas interférer là-dedans et d’analyser la situation d’un œil extérieur.

Début février, alors qu’une vague de froid frappait la capitale, des associations ont militaient pour la mise à l’abri de sans-logis en occupant des bâtiments laissés à l’abandon, comme l’Hôtel-Dieu. Leur objectif : faire appliquer la loi de réquisition et utiliser des logements vacants pour faire de l’hébergement d’urgence.

Un monsieur plus haut placé descend de ses bureaux mais, malheureusement, est très loin de nos espérances. Nous avons en face de nous un homme horrible, d’une froideur et d’une méchanceté intenses. Il est grand et âgé. Il essaie de dominer toute la situation comme s’il était le roi du monde : il ne fait ressortir aucune sympathie à travers des sourires, et ne répond jamais à nos questions. Son air hautain m’agace profondément. Il parle très vulgairement pour un haut gradé de mairie : il ne peut s’empêcher de terminer toutes ses phrases par un « PUTAIN », et s’amuse à taper du poing sur une table pour essayer de montrer ses muscles. En plus de ça, il nous reçoit a dans un hall d’entrée, même pas un bureau ou une pièce privée, et ne nous apporte aucune aide, si ce n’est… le CCAS et le 115. Nous ne l’intéressons clairement pas.

Le 115 ne décrochait pas

Nous retournons donc au CCAS qui n’a pas d’autre solution que d’appeler un supérieur pour nous rencontrer. Mon père est face à un monsieur bien plus aimable qui nous propose des nuitées à l’hôtel, le temps d’obtenir une idée de solution. Une durée d’une semaine selon lui. Il dit à mon père qu’il le rappellera. QUELLE BLAGUE !!!!

Nous sommes désormais dehors, livrés à nous-mêmes, sans réponse et ne sachant où aller en attente d’une réponse. Nous appelons quand même le 115 pour la nuit, mais leurs lignes sont constamment occupées. Le CCAS ne nous apportera finalement aucune solution, la mairie non plus. Nous savons que la nuit sera dans la voiture.

Cette soirée est assez spéciale. La première chose difficile pour moi, moins pour mon père, est l’intimité. Nous sommes au bord de la mer, nous pensions que c’était le lieu le plus intéressant pour passer une nuit « agréable ». Il ne fait pas froid, le temps est plutôt agréable, heureusement. La voiture n’est pas très spacieuse. Je fais les cent pas sur la plage et je dors très mal à cause du confort des sièges : en plus de cette haine et de cette tristesse qui bouillonnent en moi, il m’est difficile de trouver une position agréable. Je finis par fermer les yeux avec crainte, en pensant au lendemain, sans savoir si je vais m’en sortir un jour.

Mon père, toujours à la rue

Aujourd’hui, j’ai emménagé chez mes beaux-parents avec ma conjointe. C’est grâce à eux que j’ai pu sortir de cette passe, heureusement assez courte pour moi (un mois et demi). Durant cette période, et après de multiples appels téléphoniques, nous n’avons eu qu’une seule proposition de logement du 115, pour une seule nuit. Concernant les douches et l’hygiène, nous utilisions les douches et les toilettes publiques de la plage. Nous avions emmené avec nous le nécessaire pour la nourriture. Nous avions quand même le chômage de mon père et l’aide de la Croix-Rouge dont il bénéficie actuellement. J’ai rejoint une formation pour essayer de trouver un emploi dans le codage informatique et, je l’espère, faire de mes rêves une réalité.

Mon père, quant à lui, est toujours dehors, depuis cinq mois maintenant, en attente de réponse des HLM car les logements sociaux sont l’unique solution. Mais les dossiers, même urgents, restent très longs. Il vit toujours dans sa voiture. Sa situation m’inquiète, même si je sais qu’il est très fort mentalement et physiquement.

Enfant, Hector a vu son père vivre dans la rue. Aujourd’hui, il s’en est sorti après avoir trouvé un emploi. Un modèle pour son fils.

En tout cas, même si c’est souvent inutile, essayez quand même d’appeler le 115, le CCAS et la mairie. Si vous êtes en galère d’argent, pour manger, il existe des associations comme la Croix-Rouge. Essayez également de trouver des assistantes sociales qui vous aideront pour l’administratif et pour vos droits. Et n’oubliez jamais, quand vous vous installez en couple, de signer le bail aux deux noms, ça vous évitera ce genre de situation…

Je garde contact avec mon père par échange téléphonique parce que nous évitons de nous voir à cause du Covid. Nous nous voyons quelques fois quand il vient près de là où j’habite pour son administratif, et pour m’apporter de la nourriture et de quoi aider ma belle-famille qui m’héberge gratuitement. Elle aussi n’a pas un revenu très important.

Moi, ce qui me préoccupe le plus, c’est sa santé. Récemment, j’ai appris qu’un de ses amis sans domicile est décédé dans sa voiture. C’est mon père qui l’a découvert. J’ai l’inquiétude qu’il lui arrive la même chose, en plus des douleurs qu’il possède toujours. Mais j’ai confiance en l’avenir.

Melodias, 19 ans, en formation, Pays de la Loire

Crédit photo Hans Lucas // © Jc Milhet (Série : Maraude de la Croix Rouge – Perpignan)

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