Sophia H. 02/04/2014

Il n’y a pas d’ascenseur social, non, il y en a deux

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Moi, la société, je la vois comme un ascenseur à deux vitesses. Malheureusement, je suis enfermée dans celui qui galère.

Oui deux. L’un pour les riches, l’autre pour les pauvres. L’un qui est un immense cylindre en verre un peu comme on pourrait voir dans les gratte-ciel dernier cri à Hong-Kong ; l’autre est un ascenseur cabossé d’un HLM des années soixante du quartier le plus dépravé de Corbeille-Essonne et qui fonctionne une fois sur deux : je suis gentille.

L’ascenseur bourgeois est beau, il y a du jazz en musique de fond et il vous emmène étage par étage, exactement là où vous voulez aller. Celui du lumpenproletariat débloque grave : si vous avez la chance que la porte s’ouvre, vous êtes un gros veinard (hum, hum!) Et puis surtout, très souvent, il se bloque, ne monte pas bien haut, il sent l’urine de chien et grince quand il veut bien grimper.

Bourdieu disait donc vrai…

En fait, on vous fait croire que vous êtes chanceux. On vous fait croire que : « Mais c’est super ! Tu devrais être reconnaissant-e, tu as une bien meilleure condition que tes parents. » En effet, ce n’est pas bien compliqué de faire mieux que ses parents malades, analphabètes ou sachant à peine lire, dépressifs, immigrés, ouvriers, sans-papiers et je vous passe les autres allègres dotations initiales.

Je regrette sincèrement de ne pas avoir été prévenue que Bourdieu disait vrai à propos de ces histoires de capital social. Déçue de ne pas pouvoir emprunter le même ascenseur que la nana de mon âge qui vit à Neuilly, je veux écouter du jazz moi aussi, merdum.
Lorsque je vous parlais de riches et de pauvres, ce n’est pas un raccourci facile et naïf. Depuis toute petite j’ai cette intuition que celui qui est riche n’est pas seulement celui qui part en vacances deux fois par an, une fois au ski et une fois sur la Côte d’Azur, c’est également celui qui a un bon carnet d’adresses et qui, d’un coup de téléphone, peut se débrouiller pour avoir un entretien d’embauche, celui qui dans l’année sera régulièrement allé au cinéma, au théâtre, voir des expositions, qui possède en somme une connaissance pointue de l’histoire, de la littérature et du patrimoine. On reconnaît le pauvre, lui, à ses arbitrages entre aller chez le dentiste ou se payer une nouvelle paire de chaussures, à sa nature écolo-forcé économisant intempestivement l’électricité et le chauffage (c’est pas malin d’ailleurs parce que du coup il tombe malade et se retrouve face à un nouveau dilemme).

L’austérité qui tue

Quelqu’un va-t-il enfin se préoccuper du fait que continuer à « austériser » va finir par nous tuer? Oui, oui, vous avez bien entendu, l’austérité tue à petit feu par la précarité énergétique, un accès au soins réduit et cette fichue médecine à deux vitesses, l’exclusion sociale (c’est sûr que c’est tellement simple de s’intégrer, immigré ou pas, lorsque l’on te coince dans ta cité dépourvue de tout accompagnement au logis) et la précarité financière en générale.

Bizarrement, lorsqu’il s’agit de protester afin de payer un taux marginal d’imposition moins important que celui de Liliane B., on n’entend plus personne. Hé oui… Nous adorons et nous prosternons devant les détenteurs du Dieu suprême : monnaie.

 

Sophia, 21 ans, animatrice du blog la petite robe rouge, Marseille

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3 réactions

  1. Bonjour Sophia
    Je trouve que ton article comporte des clichés assez simplistes. Mes grands-parents étaient pauvres, lorsqu’ils se sont mariés, tout ce qu’ils possédaient tenait dans une boîte à chaussures. Ils n’étaient pas allés très loin dans les études. En Algérie française, ils vivaient en cité dans un appartement minuscule, avec un enfant, ma maman. Après le retour en France, ma mère a fait ses études en établissement public, première de la famille à obtenir le bac. Puis études courtes dans le commerce que mon grand-père avait choisi car la majorité était à 21 ans. Elle a bossé pendant quatre ans dans ce domaine avant de faire une reconversion sociale (infirmière). Elle a travaillé dur au sein de la fonction publique, puis elle est devenue cadre et ensuite cadre supérieur, avec obtention des diplômes nécessaires. Considérée comme bien payée, ma mère n’a jamais bénéficié de la moindre aide sociale, ni pour le logement, ni pour les études de ses enfants. Après le divorce de mes parents, on mangeait avec moins de 30 €/semaine pour trois personnes. Mon frère et moi avons fait des études supérieures fac de sciences pour moi et prépa école de commerce pour mon frère, toujours sans bourse ou sans droit à un logement du crous. Il a fallu bosser tous les étés, faire les jobs étudiants les soirs et les week-ends, faire un prêt de 30000 € pour l’école de commerce. Et au final, mon frère a obtenu un job avant même sa sortie d’école et j’ai trouvé du boulot en CDI, une semaine après avoir commencé à chercher, après une année de pvt à l’étranger. Tout cela sans carnet d’adresses relationnelles. L’ascenseur existe mais il faut savoir en prendre soin, et ne pas attendre qu’il se mette en route, mais être à l’affut pour pouvoir attraper le train en marche.

  2. Houla … Je travaille au sein d’un CFA, dans l’enseignement Supérieur … Et en apprentissage en plus. LA dure loi de l’entreprise ! J’ai des exemples toute l’année que seule la volonté de chacun mène les gens là où ils ont envie d’aller. Ceux, nantis ou pas, qui profitent du carnet d’adresses des proches pour choper un contrat et qui une fois sur le poste ne se montrent pas la hauteur car ils n’ont pas eu besoin de prouver qu’ils pouvaient. Papa l’a fait pour eux. Mais on ne peut pas mentir longtemps …

    L’ascenseur social n’existe pas. C’est un escalator en panne qu’il faut te donner la peine de gravir. Et la main courante est présente tout le long du parcours. Tu poses la main dessus si tu veux. Si tu n’en as pas envie, tu continues tout(e) seul(e). C’est plus dur, mais ça marche aussi …

  3. Mes parents, classés au niveau « soit pauvre et tais toi. Pas besoin du chauffage, met un deuxième pull tu auras moins froid » ont toujours gardé une philosophie sur le dieu suprême dont tu parles : « L’argent doit être ton serviteur. tu ne dois pas etre son esclave. » il n’y a pas d’exception concernant les parcours de vie, juste des acteurs, si tu veux changer d’ascenseur, il ne faut compter que sur toi et se battre (3 milliard de fois plus). Pcq il y a pas un mec qui decide ce que deviendra de ton parcours a la naissance. On n’a pas tous les mêmes armes certes, mais on a tous les possibilités d’être acteur de sa vie. au moins essayer !

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