Nans K. 25/04/2020

Infirmier en service Covid, le stress ne me quitte plus

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Être infirmier en service Covid aujourd'hui, c'est stress, questionnements et fatigue. Le virus nous met à l'épreuve mais je compte bien continuer à me battre.

Je suis en service Covid positif, dans un petit hôpital privé datant des années 60. J’ai fait infirmier pour travailler au bloc. Mais depuis début avril, pour remplacer le personnel en arrêt garde d’enfants ou à risques, toute l’équipe du bloc a été dispatchée au sein de l’hôpital. Dès l’annonce, le stress est arrivé et ne m’a plus quitté.

Vendredi 3 avril, alors que je me formais à la réanimation, le directeur des soins m’a annoncé que j’étais réquisitionné de nuit en service Covid. Bon, à situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. Dans mon contrat, il est stipulé que je peux être changé d’hôpital, que je peux changer de service à tout moment, travailler plus d’heures si besoin. Mais il est interdit de passer un personnel de jour la nuit. J’aurais été en droit de refuser. Mais cela n’aurait pas été normal de ne pas apporter ma pierre à l’édifice.

Étant confiné avec mon compagnon, ma première pensée a été pour lui. On s’est appelés pour en discuter. Je l’entendais se décomposer au fur et à mesure des annonces. J’ai senti son stress.

Eux, ils sont là pour finir leurs jours à l’hôpital

Le lundi soir, il est temps de se réveiller d’une sieste chaotique. L’heure est arrivée d’y aller et je décompense dans la voiture ; avec le stress, l’angoisse, l’appréhension, et quelques pleurs. 21 ans, rugbyman, mais quand même sensible.

Sans réelle formation d’habillage et de déshabillage, mes collègues de jour m’expliquent du mieux qu’ils peuvent, mais sans grande conviction – sûrement dû à leur fatigue.

La nuit commence. Nous sommes trois pour gérer seize patients. En temps normal, ça ne pose pas réellement de problèmes. Cependant, les patients Covid que nous accueillons sont pour beaucoup les patients grabataires testés positifs de certains EHPAD de la ville. Je ne devais m’occuper que des patients de la grande-aile, donc les post-Covid, les non-Covid et la suspicion. Mais depuis quelques jours, mon service accueille ces patients. Je dois donc gérer pas mal de soins et de patients demandeurs.

La prise en charge, si on peut appeler ça ainsi, diffère en fonction de l’étiquette accordée sur plusieurs critères que seuls les médecins connaissent. Aucun patient n’a le même traitement, personne ne sait les soigner et suivre une ligne directrice. Et sur les seize patients, nous avons eu neuf ordres de non-réanimation. Eux, ils sont là pour finir leurs jours à l’hôpital.

Tous les soirs à 20h, les français ouvrent leur fenêtres pour applaudir et soutenir le personnel soignant durant cette crise. Mais certains soignants ne sont pas forcément pour cet acte solidaire. France Culture leur donne la parole, et nous partage leur quotidien.

Tous les patients sont anxieux. J’ai la chance d’être un bon Marseillais, d’avoir la « tchatche », de les rassurer, tout en faisant mon travail mais en restant le moins de temps possible dans l’espace de la chambre. Et tout cela, en aidant mes collègues sur la petite aile pour les patients lourds.

Avec cette charge de travail et l’habillage/déshabillage, on a toujours peur de faire une erreur dans les soins, mais aussi de faire une erreur dans l’habillage et donc de se contaminer.

Je pense Covid, pendant mes 12h30 de vacation

Cette première nuit a été la plus complexe, la plus difficile à gérer. Qu’ai-je le droit de faire ? Que faut-il que je fasse maintenant ? Une multitude de questions m’ont crispé durant les 12 heures 30 de vacation. Comment ne pas se contaminer, ne pas contaminer ses collègues, ses proches, les patients pour qui le test n’a pas été concluant ? Quelles parties du service sont ou seront contaminées ? Comment garder ma blouse propre et non contaminée, alors que je dois l’enlever, la remettre, encore et encore ? Comment dois-je écrire les constantes de mes patients sur l’ordinateur alors que je suis « sale » ? Toutes ces questions m’ont hanté plusieurs jours durant.

Mes collègues m’ont accompagné. Cependant, la formation n’a pas été suffisante pour tout le monde, donc nous découvrons, au soir le soir, certaines mesures qui ont été changées, ou même annulées.

Le stress est partout présent. Une toux, un mal de tête qui confondent fatigue et psychosomatique. Mais aussi une chaise, une poignée de porte, une souris… On ne sait plus ce qui est propre ou sale, bénin ou malin. Un patient testé négatif est-il vraiment négatif ? N’est-ce pas un faux positif ? Question permanente et angoissante que tout le monde se pose. Se méfier de tout et de tout le monde ne faisait pas partie de mon travail. Maintenant, c’est mon lot quotidien.

Je ne suis pas croyant, mais j’espère l’avoir à la bonne

J’ai minimisé le travail, la difficulté et ma détresse face à mes proches. J’ai menti à mes parents pour les préserver, en leur disant que je n’étais qu’en pneumologie, sans Covid. Heureusement, mon compagnon est là, me soutient. Mais lui ne peut comprendre la difficulté et la sensation ressenties à la vue de ce genre de patients, et ne peut voir la détresse dans leurs yeux ; alors que même le plus sincère des sourires est plein d’angoisse.

Je ne suis pas croyant, peut-être agnostique, mais j’espère l’avoir à la bonne ; qu’il me, nous, protège. Alors je travaille. J’ai du mal à me poser, à me sentir à l’aise à l’hôpital, comme chez moi. La seule lueur d’espoir, c’est le vaccin, les recherches, les traitements, les tests, mais aussi le confinement. On va attendre de voir les effets positifs de tout ça.

Solenn est infirmière en réanimation et, elle aussi, elle se bat tous les jours contre le virus. Elle sait qu’avec les décès, les angoisses et l’éloignement de ses proches, la crise laissera des traces.

Pour le moment, le stress est géré, en appelant les collègues, les amis. J’ai la chance d’avoir découvert de superbes collègues dans ce service. On se monte le bourrichon, on crie, on rit, on se rassure, on s’entraide ; une équipe soudée. Cependant, je ne sais pas si, sans aide, à la fin de cette crise, je vais revenir à la normale comme si rien ne s’était passé.

En tant que soignant, nous sommes le dernier rempart. Si nous lâchons, le reste de la population va céder à la panique. Alors, notre devoir c’est de soigner et de rassurer proches, patients, collègues et voisins. Force à vous, mes amis, mes collègues, tenons bon, on finira par l’avoir !

 

Nans, 21 ans, infirmier, Marseille

Credit photo Unsplash // CC Jonathan Borba

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1 réaction

  1. Le stress d’usure compassionnelle (ou vicariant) résulte d’une surcharge émotionnelle résultant d’une profession au contact permanent avec des personnes en détresse ou le travailleur est confronté à des situations faisant éprouver des émotions intenses. Ces confrontations constantes avec la souffrance d’autrui … peuvent très souvent être à l’origine d’une souffrance psychologique plus ou moins importante et plus ou moins tardive appelée traumatisme vicariant (ou secondaire par effet de contagion du traumatisme). Les effets de la traumatisation vicariante se cumulent avec le temps et peuvent conduire à l’état de stress compassionnel : meilleures mesures de prévention du stress vicariant : http://www.officiel-prevention.com/protections-collectives-organisation-ergonomie/ergonomie-au-poste-de-travail/detail_dossier_CHSCT.php?rub=38&ssrub=164&dossid=188

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