Rayane C. 30/08/2018

Je défends les limites de mon quartier

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J'ai grandi dans le 95, je connais mon quartier par coeur. Le périmètre est précis, les têtes connues sont appréciées, mais les intrus se font vite dégager : depuis plusieurs générations, les jeunes du quartier défendent leur territoire.

J’habite et j’ai grandi à Garges-lès-Gonesse, dans le 95. Vers 10 ans, j’ai compris que je ne pouvais pas aller dans d’autres endroits à cause des conflits entre quartiers. En se baladant dans plusieurs quartiers avec mes potes, on s’est fait recaler plusieurs fois. Un jour, on était à Auchan, il y avait vingt mecs qui nous attendaient à la sortie. Ils nous ont menacés alors on est partis. Quelques jours plus tard, on est retournés à plusieurs dans leur quartier. On était une cinquantaine de garçons entre 16 et 18 ans. Eux, une trentaine sur un terrain vague, les mêmes que la dernière fois. Ils ont voulu parler mais pas nous. J’étais chaud pour la vendetta.

Moi, j’avais une batte de baseball. D’autres avaient des matraques, des couteaux et même des armes à feu comme un 6mm. Ils savaient pas qu’on allait venir, ils ont été surpris de voir autant de personnes. J’ai surtout frappé le mec qui m’avait menacé. Ça a duré une heure peut-être et à la fin, ils ont couru. Enfin, ceux qui pouvaient parce qu’il y en a plein qui ne pouvaient pas. La police est arrivée après qu’on soit partis.

Surveiller son quartier, mon taf et mon sport

On sait qu’on est dans un quartier différent car on nous regarde mal, ils font les fiers. Mais j’évite pas les autres quartiers, donc j’ai des ennemis. Car comme on dit : un homme sans ennemi est un homme sans valeur. Les frontières à protéger sont limitées par des endroits : la gare, le pont… Il y a des gens qui sont payés pour tourner et surveiller les ennemis. Je l’ai déjà fait un mois, mais c’est soulant. On gagne 120 euros pour taffer de 12h à 23h. S’il y a un ennemi, je lui demande ce qu’il fout ici. S’il fait le malin je lui dis : « Vide tes poches ! » S’il reste, je lui mets un steak et il part. Si on protège, les gens viendront plus nous faire chier.

J’aime bien y participer : ça défoule, c’est comme faire du sport. Enfin, je vais pas maigrir grâce aux bagarres… mais ça me donne confiance en moi. Je vois qui je suis réellement.

Mes parents ne savent pas et il ne faut pas qu’ils sachent. Mon grand frère, qui a 8 ans de plus que moi, il est passé par là lui aussi, mais il me parle pas de ça. Quand il me voit faire, il me dit d’arrêter. Quand c’était en noir et blanc, avant, à son époque, c’était encore pire : y avait plus de choses, beaucoup de morts. Maintenant, ça s’est calmé. Dans cinq ou dix ans, je ne me vois pas faire encore des bagarres. Les petits reprendront le flambeau. Quand t’es plus grand, les histoires vont plus loin, là c’est juste enfantin. C’est comme ça qu’on a grandi : c’est ce qu’on a toujours vu autour de nous.

 

Rayane, 14 ans, lycéen, Paris

Crédit photo film Chouf // © Pyramide Distribution

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