Maeva T. 02/12/2016

Je suis une enfant de la « France profonde » 

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Maeva en a ras-le-bol des discours méprisants sur les classes populaires. Pour leur répondre, elle décrit d'où elle vient.

Qui sont ces élites qui nous qualifient de « France d’en bas » avec leur air de répugnance mal dissimulé ? Qui sont ces experts, ces journalistes pour qui les ouvriers sont d’incultes racistes et leurs enfants des jeunes sans avenir, à la limite de la déficience mentale ? Qui sont ces politiques qui arborent fièrement les couleurs de la xénophobie croyant ainsi séduire le « petit peuple » ? Comment une candidate qui a grandi dans un luxe indécent peut-elle se présenter « au nom du peuple » ?

Nous, enfants de ceux qui n’ont cessé de se battre pour que le frigo ne soit jamais vide. Nous, enfants de la République qui avons dû lutter trois fois plus pour arriver au même résultat que ceux qui sont nés sans n’avoir rien à conquérir.

Mon père, ouvrier dans une machine infernale

Il paraît que les classes populaires ne comprennent rien à la politique, prenant toujours les pires décisions une fois dans l’isoloir. Pourtant, elles ont des opinions et savent ce qu’impliquent les mesures prises sans qu’on les ait consultées, pour elles et pour leur entourage.

Les modestes citoyens savent très bien ce dont la France a besoin car ce sont les premières victimes de la nécessité.

Ce qu’ils peinent à comprendre, c’est l’opportunisme insolent de ceux qui prétendent les représenter. Ce monde d’égos démesurés qui s’écrasent les uns les autres, qui piétinent leurs promesses et leurs électeurs.

Il paraît que les classes populaires sont incultes en matière d’économie. Pourtant, les pressions que les actionnaires exercent sur les entreprises et leurs emplois, c’est de mon père, ouvrier dans une machine infernale, que je les ai découvertes.

Plus que quiconque, les ouvriers savent que leur vie dépend d’une cohorte de rentiers en costard, spéculant comme on joue au poker, mettant en jeu des maisons pas finies d’être payées, les espoirs de vies meilleures, les rêves de vacances en famille, la possibilité d’aider le financement des études de leurs enfants.

Ces personnes ne connaissent pas simplement la précarité, ils la vivent. Ils ressentent cette panique qui leur tord l’estomac lorsque la voiture, seul moyen pour se rendre au travail et gagner leur modeste pain, tombe en panne et qu’envisager des réparations oblige à se serrer la ceinture pendant des mois.

Il parait que les « petites gens »…

Il paraît qu’ils sont ignares concernant le système de protection sociale. Mais ils sont en première ligne lorsque les gouvernants, par aveuglement idéologique ou pour séduire des soutiens potentiels, déclarent qu’il va falloir que chacun fasse un effort.

Ils sont les premiers à renoncer à aller voir le médecin et à se priver de congés maladie quand ils en ont besoin, les premiers à se résigner au mal de dents, à une vue déficiente…

Il paraît qu’ils n’ont qu’une culture médiocre, mais c’est ma mère, ex-secrétaire, qui a choisi de rester à la maison pour prendre soin de nous à plein temps. C’est ma mère qui m’a enseigné la lecture et l’écriture alors que je n’étais qu’en maternelle. C’est elle qui a passé des heures à mes côtés afin de rendre mon orthographe la plus irréprochable possible.

C’est elle qui m’a donné le goût des classiques de la littérature française. Elle qui m’a encouragé à lire Zola, Maupassant et Hugo quand mon père m’a donné le goût d’écrire pour étancher ma peine et ma colère.

Il paraît que les « petites gens », comme ils disent, sont fermés sur eux-mêmes, racistes… Et pourtant, ce sont bien mes parents qui m’ont inculqué des valeurs de respect et d’altruisme. Ils m’ont appris le partage, en me rappelant à l’ordre chaque fois que je contrevenais au principe de générosité dans la fratrie. Ils m’ont expliqué combien la critique, la moquerie, l’injure sont néfastes en plus d’être vaines.

Il paraît, il paraît… Mais si tous ces fins connaisseurs de la « France profonde » – comme si elle était obscure, ténébreuse, effrayante – venaient l’écouter vraiment, s’ils venaient travailler ne serait-ce qu’un jour à ses côtés, s’ils partageaient un repas ou deux avec elle, s’ils venaient s’alimenter avec elle dans la cohue d’un magasin de déstockage, alors peut-être la mépriseraient-ils un peu moins.

Maëva, 24 ans, étudiante, Marseille

Crédit photo Flickr “Emportée par la foule” CC by Gustave Deghilage

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7 réactions

  1. Il faut arrêter ce discours sa ne sert à rien

  2. Je découvre, émue, ce texte à l’instant. J’ai grandi au sein d’une famille paysanne et j’aurais voulu trouver les mots pour décrire l’exigence, le courage et la générosité que mes parents m’ont enseigné et qui m’imposent encore aujourd’hui de considérer tout autre comme mon égal, et de ne jamais être « auto-satisfaite » Merci pour ce bel écrit. Vous devez être une journaliste prometteuse aujourd’hui.

  3. Merci Maëva tu est une personne de grande valeur, qui nous redonne confiance en la jeunesse. J’ai la chance merveilleuse d’avoir des petites filles qui te ressemblent.
    La France restera grande tant qu’il y aura des personnes comme vous.
    Encore un immense MERCI !

  4. Texte bien poignant… Merci!

  5. Merci. Tes mots expriment une réalité que nous devons être nombreux à connaître et j’ai souvent rêvé de faire ce que tu as fait là…

  6. Très bon texte réaliste précis et touchant. Merci

  7. Bravo tu redonnes confiance en la jeunesse d’aujourd’hui et tes remarques sont bien plus pertinentes que bien des adultes censés avoir l’expérience de leurs échecs et qui donnent des leçons à qui veut bien les entendre

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