Lou M. 14/01/2020

La RATP, un nid de privilégiés ? Quel cliché !

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Mes parents bossent tous les deux à la RATP et dans mon enfance ça a pesé ! Horaires, salaires, vacances... la pénibilité, on l'a vécue avec eux.

Le métro et le RER font partie intégrante de ma vie puisque mes deux parents travaillent à la RATP. J’ai toujours entendu que les agents de la RATP et de la SNCF étaient des personnes qui profitaient allègrement du système. Mais alors depuis l’annonce de la réforme des retraites et du mouvement de grève, les critiques fleurissent. « Privilégiés par le système », on ne voit pas pourquoi ils pourraient partir plus tôt à la retraite quand d’autres doivent cinq années de plus à leurs boîtes.

Alors j’aimerais simplement expliquer ce qu’est la vie d’un agent RATP à travers les yeux de sa famille.

Métro, boulot, marmots puis peut-être dodo

Mes parents sont rentrés à la RATP en 1992 à l’âge de 21 et 22 ans. D’abord comme agents de station pendant une dizaine d’années, puis en tant qu’agent de Contrôle, de Sécurité et d’Assistance (CSA) pour mon père, et en tant que gestionnaire des ressources humaines pour ma mère. Il faut savoir que les horaires d’un agent de station varient selon le pointage : cela dépend si l’agent est de jour, de mixte, ou encore de nuit.

Le jour, l’agent de station fait du 5h20-12h35, en mixte il assure un service de 12h à 19h35, et en nuit de 18h05 à 1h30. Je suis la troisième enfant d’une fratrie de quatre. La petite dernière est née en 2004. Dès lors, ma mère a assuré un travail de jour quand mon père bossait de nuit. Et oui, il fallait au moins une personne qui soit là la journée pour s’occuper de nous. Le salaire n’étant pas des plus gros, mes parents ne pouvaient pas se permettre d’avoir une nounou ni de nous inscrire « tout de suite » à la cantine.

Vous n’avez pas compris la réforme des retraites ? Brut l’analyse en vidéo, en 5mn chrono !

Lorsque l’épuisement physique et psychologique d’un de mes parents pesait trop, ils inversaient les services. Et la pénibilité du travail, je pense que mes parents connaissent. Lorsque ma mère était de nuit, finissant à 1h30, le temps de fermer la station et de rentrer il était 3h30 du matin. Puisque mon père était de jour, ma mère devait se relever à 7h pour nous réveiller et nous emmener à l’école primaire. Une fois rentrée pour la seconde fois, ma mère pouvait dormir jusqu’à 10h30 puis se relever pour nous préparer à manger et venir nous chercher. Ses nuits, c’était des siestes de trois heures ça et là, entrecoupées de la vie de famille.

En 2001, ma mère a changé de métier à la RATP, elle est devenue gestionnaire des ressources humaines dans un secrétariat. Elle assurait le suivi quotidien des agents de station de la ligne 8. Elle indiquait aux agents leur poste, puisqu’un agent n’est pas fixé à une station. Elle assurait aussi le suivi des visites médicales, programmait les inscriptions aux différentes formations, les fiches de paie et le suivi des arrêts maladie. Elle s’occupait également des licenciements… Si l’on fait les calculs, ma mère a eu à sa charge 350 personnes à gérer. C’était lourd de leur annoncer qu’ils ne travailleraient plus pour la boite. Elle a dû entendre pas mal de gens pleurer.

Le métier de mon père était un métier dangereux

En 2006, mon père est rentré au CSA : un groupe d’agents chargés de la sécurisation et de la lutte contre la fraude sur les sites les plus dégradés du réseau, la nuit.

En semaine, mon père travaillait de 19h à 2h30. Le vendredi, le samedi et les veilles de fêtes mon père assurait son service de 20h à 3h30. C’est un service en une fois, sans coupure. Et la semaine, c’était six jours de travail consécutifs, puis deux jours de repos. Mon père avait son week-end, samedi-dimanche, toutes les cinq semaines. Sinon ses deux jours de repos étaient répartis dans la semaine. Les week-ends en famille étaient plutôt compromis.

Le métier de mon père était un métier dangereux et très stressant, rythmé par plusieurs accidents pour blessure (coups de cutter, coups de seringue et armes blanches en tout genre). En une soirée, mon père faisait un peu plus de 14 kilomètres de patrouille, sans interruption. En plus d’être un agent chargé de la répression des fraudes, mon père et les agents du CSA étaient chargés d’intervenir sur les agressions et les dégradations quotidiennes dans le métro. Un métier de tensions avec les fraudeurs, tout au long du service.

Le travail de nuit, c’est aussi et surtout un facteur de dégradation de la santé. Chaque semaine qui passait était une charge de fatigue physique, mentale et psychologique de plus en plus pesante. Cela a eu un véritable impact sur la santé de mon père et sur son humeur. Problème de dos, problème de pied, et surtout problème de cœur. Très facilement irascible, la patience de mon père n’était pas toujours au beau fixe : il criait beaucoup, n’était jamais vraiment content. Puisque ma mère était passée en horaires fixes en journée, c’est mon père qui était chargé de nous lever à 7h du matin, en sachant qu’il rentrait vers 4h…  Mon père ne se reposait pas plus que ça, et oui, nous, nous étions toujours là.

« Oh non on ne verra pas nos enfants à Noël ! »

Enfin, voici venu le temps des vacances… tiens donc, c’est bizarre, mais mes vacances d’été avec mes parents se déroulaient juste en juin. Ah c’est vrai, les agents RATP et SNCF n’ont pas trois mois de vacances. Et le service de la RATP étant un service continu, cela veut dire que le jour de Noël ainsi que le jour de l’An, mes parents assuraient leur service. Eh bien oui, il faut bien qu’il y ait des personnes pour conduire les trains qui vous amènent voir votre famille ou vos amis. Il faut bien des agents de station pour guider les touristes ou les personnes perdues.

Après quelques 40 jours de grève, le gouvernement ne semble pas vouloir reculer concernant sa réforme des retraites. Les cheminots non plus. Vers une grève dites perlée ?

La ligne 1 et la ligne 14 sont peut-être automatisées, mais rappelez-vous que derrière toute machine il y a un homme pour éviter que ça merde. « Oh non on ne verra pas nos enfants à Noël ! » Ah parce que ceux qui conduisent les trains qui emmènent justement vos enfants chez vous vont pouvoir voir leurs enfants, eux ? Croyez-vous que l’agent chargé de votre FlixBus va, en plus de mettre sa vie en danger pour rouler onze heures d’affilée, pouvoir retrouver sa famille à temps pour la bûche ?

Une heure de vie de couple, ça vous parait suffisant ?

Mes parents vivaient sous un autre fuseau horaire que le nôtre. Une fois où mon père avait mal réglé un jour de repos sur son réveil, cela a donné quatre personnes habillées pour partir, devant la télé, avec les sacs d’école au pied du canapé. Il était 4h du matin et il nous avait réveillé en urgence car « on allait être en retard ». Ça pourrait faire sourire si ce n’était pas révélateur d’un problème majeur : le dérèglement.

Lorsque ma mère assurait un service de jour et mon père de nuit, ils devaient se voir maximum une heure par jour. Vous croyez sincèrement que c’est suffisant pour une vie de couple ? Mon père a également fait un infarctus : trop de fatigue, trop de stress et une alimentation qui n’était pas adaptée. Alors peut-être que ma mère est partie plus tôt à la retraite, mais je crois qu’avec quatre enfants à charge et un travail qui ne fait pas rêver, elle l’a bien mérité. Parce que personne ne souhaite travailler de nuit, personne ne veut vivre en décalage avec les autres humains.

Après plusieurs petits boulots, Teddy en a marre de travailler comme une fourmi. Les carrières de ses parents, entre douleurs physiques et jobs alimentaires à la chaîne, sont ses contre-modèles. Lui ne veux pas d’une vie de travail et de sacrifices.

Mon père est aujourd’hui secrétaire général d’un syndicat de tout un département RATP et il se bat pour assurer un avenir meilleur aux agents qui seront privés de ces « privilèges » qui, à mon avis, ne sont qu’un juste retour pour le travail rendu. Ah, et pour ceux qui pensent encore qu’un agent de station part à la retraite avec 3700 euros, j’aimerais simplement vous dire qu’en rentrant à la RATP un agent touche 1390 euros net par mois et au mieux de sa carrière, il touchera 1800 euros. Alors comment peut-il gagner quasiment le double en partant de la boîte ? Les statistiques que l’on montre à la télé ne comprennent apparemment pas ces 8000 agents…

Par contre, en ce 41ème jour de grève, c’est 2600€ qui s’envolent pour mes parents, sur le salaire de mon père. C’est de la fatigue physique et mentale, des conflits musclés avec les forces de l’ordre, une guerre de communication, un véritable combat. Ouais ça veut dire que l’on va manger des cailloux, que l’on va devoir se serrer la ceinture mais si ça permet à d’autres de ne pas connaître cette situation à l’avenir, alors ça ne me dérange pas. Et, avec la soupe de cailloux, l’avantage c’est qu’il y a toujours des restes pour le lendemain.

 

Lou, 21 ans, étudiante, Nanterre

Crédit photo Hans Lucas // © Xosé Bousas

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4 réactions

  1. Levez vous à 4h du matin tous les jours ou finissez à 20h, ou travaillez de nuit, ou toute la journée avec un trou de 4h au milieu, pour un salaire moyen disons 1600e en début de carrière… à supporter les parisiens qui vous regardent de haut et vous dénigrent à cause de tout ce qui se dit. Attendez des heures sans pouvoir rentrer chez vous, que votre service reprenne. Prenez la responsabilité des personnes que vous transportez. Verifiez tous les jours que votre moyen de transport est fiable en arrivant et en partant. Rentrez chez vous à 20h et occupez vous de votre famille. Noël ? Oubliez, ça deviendra aléatoire d’être dispo. C’est comme si je disais d’un journaliste que sont taf est trop laxiste parce qu’il gagne sont salaire en écrivant des articles qu’il met 10 minutes à écrire… c’est sûr c’est bien connu, quel taf de feignant que se lever pour être le premier bus, ou le dernier. Se taper les bouchons parisiens toute la journée, avec les personnes sympas, les bourrés, les gens qui jugent qu’on ne dit pas bonjour par politesse mais par obligation, les gens qui agressent ou mettent le feu au bus… parce que tous les passagers ne sont pas sympas. Se taper 2h de route pour aller travailler parce qu’on a pas les moyens d’habiter plus près, avec un salaire de ministre bien-sûr… mais bon… Je vous souhaite d’avoir 25 ans de carrière dans la même société. Et surtout je ne vous souhaite pas de gagner 2700 euros à 2 en fin de carrière, après 25 ans de bons et loyaux services parfois sans voir le jour… même pas le smic! Effectivement excusez ces personnes qui travaillent toute leur vie au service des gens, de jour comme de nuit de ne pas gagner le smic en fin de carrière. A ma connaissance la loi est là même pour tous, le travail les jours fériés et la nuit est mieux rémunéré. Mais quels chanceux ces gens… c’est pas normal d’être mieux rémunéré quand on ttravaille la nuit, les weekends et les jours fériés. Vous avez raison qu’on fasse pareil pour tous ceux qui travaillent en magasin aussi, qui font des inventaires de nuit, pour les agents de sécurité, les infirmiers, les aides soignants… et ne venez pas vous plaindre quand vous n’aurez plus de bus de nuit pour vous ramener de vos after work, ou quand les heures de nuit ne seront plus payées pour personne…

  2. JE SUIS CHOQUE

  3. Comme disait un canadien en voyant les grèves à ma fille en stage au Canada
    « mais arrêtez de vous plaindre !!! Vous avez TOUT en France !!! »
    Et oui on a tout….. Mais on est pas content qd même car on ne s en rend plus compte ….
    Le jour où les français voyageront un peu…. Ils commenceront à fermer leur gueule et à se comporter avec (un peu) d’humilité. Mais comme ce n est pas prêt d arriver…. Continuons à regarder le virage…..

  4. J’en veux bien voir la fiche de paie de tes parents…2700 balles a 2 pour 1 mois de grève avec 25ans de ratp?

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