Romane P. 12/01/2019

Le séisme en Haïti a tué mon innocence

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Le 12 janvier 2010, un séisme en Haïti faisait plus de 200 000 morts. Si j'en a réchappé, neuf ans après, je me souviens encore précisément de ce moment où ma vie a basculé.

Le jour de ma mort, j’ai joué à la poupée. Le jour de ma mort, j’ai profité de la vie. Ce jour-là, du haut de mes 8 ans, j’ai senti le sol trembler furieusement sous mes pieds. Assise dans le petit salon de ma grand-mère, j’ai pu observer toute la colère que la nature porte à l’égard de l’espèce humaine, et cette colère s’est manifestée d’une façon des plus violentes : un tremblement de terre. Ce même tremblement de terre qui a fait des centaines de milliers de victimes, ce tremblement de terre si dévastateur qu’il a décimé une partie de la population emportant avec lui tous leurs biens et êtres chers.

Un tremblement de terre si puissant qu’il a arraché une partie du palais de justice. Le célèbre tremblement de terre d’Haïti du 12 Janvier 2010. A 16 heures 53 minutes et 10 secondes. J’y étais et je l’ai vécu.

Deux minutes qui ont duré une éternité

L’enfant que j’étais est restée de marbre face au spectacle qui se déroulait sous ses yeux. Je regardais les objets se fracasser autour de moi sans bouger. Je ne suis sortie de ma torpeur que lorsque j’ai entendu ma grande sœur me crier qu’il fallait que l’on sorte au plus vite. Mes jambes se sont alors élancées dans une course interminable vers la porte d’entrée située dans la cuisine.

Dans ma course, j’ai été séparée d’elle tandis qu’elle a rejoint ma grand-mère et mes tantes. Moi, je me suis dirigée vers le portail du jardin. Je m’apprêtais à le franchir quand elles m’ont interpellée. Je me suis arrêtée, j’ai regardé autour de moi, puis je les ai vues dans la cour derrière la maison. Je m’y suis dirigée en longeant le mur qui séparait mon jardin de celui des voisins. Dans ma course, j’ai remarqué que le mur se penchait de plus en plus vers moi comme pour m’offrir son étreinte mortelle. Puis, sans crier gare, il a repris sa place. J’ai rejoint ma famille et nous avons attendu que ça passe.

Selon les experts, ce séisme n’a duré que deux minutes et pourtant, j’ai eu l’impression que c’était interminable. Nous avons tous passé la nuit dans des tentes en plein milieu de la route parce que c’était plus « sécurisé ». Mais de véritables monstres étaient parmi nous cette nuit-là. Des criminels ont profité de la situation. Il y a eu la violence, le chaos, le pillage… Dans un moment de deuil pour certains, ils ont fait encore plus de mal. Des personnes sont mortes, d’autres ont été abusées pendant la nuit.

J’ai décidé de profiter de la vie

Du coup, vous vous demandez : « Si elle est morte comment peut-elle raconter ce qui s’est passé le jour de sa mort ? » Ne vous inquiétez pas, je suis bel et bien vivante. Ce jour-là, j’ai rencontré la mort à de multiples reprises, mais elle ne voulait pas de moi. Je devrais certainement en être soulagée. Je suis ce qu’on appelle plus communément une survivante.

Ce jour-là, je ne suis pas morte, mais une partie de moi si. Cette partie un peu insouciante est morte le jour où j’ai vu des maisons se détruire en un clin d’oeil sous mes yeux. Par la suite, ma mère a préféré nous avoir auprès d’elle en permanence, nous sommes donc parties la rejoindre en Guadeloupe et ma grand-mère est restée en Haïti. Nous avons vécu longtemps en Guadeloupe puis, en juillet dernier, nous nous sommes installées en France.

Je crois bien que c’est la première fois que je raconte cette histoire. Je n’en ai pas honte, mais je ne veux pas du regard de pitié des autres ou de leur compassion, je ne souhaite pas qu’on me traite différemment car je reste normale. Après le séisme, je ne suis pas devenue dépressive ou désespérée, mais j’ai simplement pris conscience de la réalité. Et j’ai arrêté d’accorder de la valeur aux choses qui n’en méritent pas. J’ai décidé de profiter des VRAIES émotions, des VRAIES choses de la vie. Et de ne pas perdre mon temps à me plaindre de la vie que j’ai, comme le font la plupart des adolescents.

Car moi, je sais ce que c’est que de tout perdre. J’ai vu mes amis perdre des membres de leur famille, leur maison. J’ai moi-même failli être sur la liste des dommages collatéraux de mère nature, alors franchement, je me considère comme chanceuse !

 

Romane, 16 ans, lycéenne, Gonesse

Crédit Photo Flickr // Cité Soleil André Millagi 

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