Yasmine M. 25/03/2021

Réunions en non-mixité : pour nous, elles sont nécessaires

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Pour Lorie, Stanley et Djery, la non-mixité choisie libère la parole entre personnes concernées et minorisées, sans présence oppressive.

Mercredi 15 mars 2021, au micro d’Europe 1, Mélanie Luce, présidente de l’UNEF (union nationale des étudiants de France), a parlé de l’organisation de réunions en non-mixité choisie au sein du syndicat. Dans un contexte où la loi contre le séparatisme est au cœur du débat public, cette interview a provoqué de vives critiques de la part de politiques, posant la question de la dissolution de l’organisation.

Lorie, Stanley et Djery se réunissent en non-mixité choisie. Elles et il racontent pourquoi ces espaces leur sont nécessaires : pour une parole plus libre, par recherche de compréhension de son vécu ou encore par sécurité.

« Les femmes ont des choses à se dire, des avertissements à se transmettre »

Mon expérience de la non-mixité a commencé hors du contexte militant. Je me souviens d’une soirée en particulier où le fait de se retrouver « entre filles » nous avait permis d’échanger des astuces pour éviter les situations dangereuses quand on sort, des phrases toutes faites pour couper court au harcèlement de rue. Finalement, la parole s’est faite un peu plus grave et on a échangé sur des actes plus violents (parler d’un viol qu’on a subi, comment le partager à son partenaire sexuel actuel…), mais aussi sur des problèmes internes profonds (mal-être vis-à-vis des injonctions de la société, anorexie…). Quand un gars est rentré dans la pièce, ça a cassé la bulle d’un coup. Il a fait une blague moyenne sur le fait qu’on avait des têtes d’enterrement et nous a proposé à boire.

Cet événement m’a beaucoup fait cogiter et m’a fait me rendre compte combien, à l’époque et encore maintenant, les femmes ont des choses à se dire, des avertissements à se transmettre et du soutien à s’offrir. Ces préoccupations ne sont pas au centre des vies de ceux qui ne les vivent pas. Ils ne les comprennent qu’en surface.

La non-mixité est très controversée dans le débat public, mais pourquoi ? Dans « Les Décodeurs »,  Le Monde tente d’y répondre :

Après ça, j’ai soutenu toutes les initiatives de réunion en non-mixité avec plus de ferveur. En remarquant bien que dans mon asso féministe à la fac, les tables rondes avec des mecs revenaient plus longtemps sur les bases de ce qu’on connaît et ressent en subissant le patriarcat, sans avoir le temps de pousser plus loin. L’objectif de l’asso est de combattre les inégalités au sein de notre université. D’abord, en demandant à celle-ci de respecter la loi (qui dit que chaque fac doit avoir un·e référent·e sur la question de l’égalité de genres). Mais aussi sur d’autres combats, comme l’acceptation du changement de prénom en cas de changement d’identité et le soutien de victimes de violences sexistes sur le campus. L’adhésion à l’asso et la participation aux AG sont ouvertes à tou·te·s, mais, dans les faits, il y a une très grande majorité de femmes et très peu d’hommes cis.

C’est bien d’échanger avec les autres/oppresseurs inconscients pour accompagner leur éducation, mais c’est important de prendre les choses en main, de réfléchir activement à des améliorations et des actions possibles. 

Lorie, 24 ans, Athis-Mons

« L’échange en non-mixité m’a permis de comprendre que je n’étais pas fou »

Je suis guyanais, né en Guyane, j’ai grandi à Trappes, puis j’ai bougé à Caen pour faire des études de théâtre. Je suis noir, militant pour la cause des opprimés, Noir, Arabe, Asiatique, Queer. Je ne me suis jamais réuni physiquement en non-mixité mais plus de manière « virtuelle », à distance. Les réunions se sont organisées via Whatsapp au début, puis parfois en Zoom ; j’en ai connu l’existence via un ami. C’était un groupe de personnes noires et on avait besoin de parler ensemble à propos du tournant que la France a pris suite au rassemblement sur le parvis du tribunal avec Assa Traoré, de l’angoisse quand on croise un flic alors qu’on sait qu’on n’a rien à se reprocher… Mes amis blancs ne comprenaient pas tous le combat.

« C’est une erreur de vouloir respecter l’universalisme républicain en méprisant et niant les réalités d’une partie de ceux qui constituent la France. » Maïmouna aussi s’était rendue au rassemblement du comité « La vérité pour Adama », le 2 juin 2020, pour dénoncer le poids des violences policières en banlieue, là où elle a grandi.

Je pourrais faire une compilation de tous les messages pendant le premier confinement que j’ai reçus de personnes non-racisées qui remettaient en question la lutte antiraciste. Elles me prenaient pour un fou et me demandaient sans cesse de me justifier quand elles réagissaient à mes Stories sur les réseaux. C’était usant et épuisant de leur expliquer H24 en quoi certaines agressions, certaines pratiques étaient racistes.

Ces échanges virtuels en non-mixité m’ont permis de comprendre que je n’étais pas fou et que mes angoisses étaient aussi vécues, par moment, par d’autres personnes noires.

Stanley, 22 ans, Saint-Maur-des-Fossés

À l’intersection : les femmes me comprennent, les femmes noires encore plus

Je suis une jeune femme, noire, issue d’un milieu plutôt modeste. On vit dans une société sexiste, raciste et classiste. Ce besoin de me retrouver avec des personnes qui me ressemblent naît de tout cela. C’est un mécanisme de défense, une manière de me protéger de propos, d’attaques qui pourraient blesser mon intégrité en tant qu’être humain.

Me réunir en non-mixité n’a pas été quelque chose de planifié. On a souvent tendance à se diriger vers les personnes qui nous ressemblent, et qui de fait, nous comprennent. Je suis une personne qui adore débattre sur des faits de sociétés et sur les luttes. Avant, je pouvais débattre avec tout le monde sur n’importe quel sujet, surtout le féminisme et le racisme. Puis, en grandissant, j’ai remarqué que ma parole était constamment remise en cause par des personnes qui ne comprenaient ou qui ne voulaient pas comprendre ce que je vivais en tant que femme et noire dans notre société française.

De ce fait, je me sens plus à l’aise lorsque que je suis en compagnie de femmes… Je suis encore plus à l’aise quand ces femmes-là sont noires, parce que je peux parler de choses dont je ne peux pas parler avec mes amies non-noires. Elles m’écouteraient avec plaisir… mais ne comprendraient pas, n’auraient pas de réponses à mes questions, puisqu’elles ne sont pas concernées. Il y a, par exemple, toutes ces discussions qui s’articulent autour des cheveux des femmes noires. J’en parle avec mes amies noires, parce qu’elles comprennent tout de suite mes propos, ne cherchent pas à remettre ma parole en cause, prennent le temps de m’écouter et s’identifient dans ce que je dis. Avec elles, je ne me censure pas.

En France, j’ai l’impression que beaucoup perçoivent le fait de se réunir en non-mixité comme quelque chose de mauvais, surtout quand ce besoin de non-mixité est exprimé par les minorités (les femmes, les personnes non-blanches, les personnes non-hétérosexuelles, certains groupes religieux, etc.). Pourtant, il n’y a vraiment aucun mal à vouloir être avec des gens qui partagent nos combats, c’est même libérateur.

Djery, 18 ans, Noisy-le-Sec

 

Crédit photo © Twitter // capture d’un tweet d’Europe 1

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