Laura J. 24/04/2020

Volontaire en EHPAD, j’ai pris une claque

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Face à la crise sanitaire, je me suis portée volontaire dans un EHPAD. Premier contact avec le virus et l'isolement, je n'étais pas prête pour ça.

Deux heures. C’est le temps qu’il m’a fallu pour constater et comprendre la dangerosité de ce virus et la misère qu’il crée.

À la fin mars, j’ai proposé mon aide sur la Réserve civique mise en place pour faire face au Covid-19. Cette plateforme donne de la visibilité aux établissements et associations qui recherchent des volontaires pour les aider, sur la base du volontariat. Étant en service civique et en télétravail, c’était l’occasion de poursuivre ma démarche civique.

Une responsable d’EHPAD recherchait des volontaires pour accompagner les résidents sur les temps des repas. C’était selon notre disponibilité : le midi ou le soir ou les deux, tous les jours ou non. Je n’ai pas hésité, j’ai proposé mon aide. La responsable m’a contactée un soir et le lendemain je devais y être pour 11h.

Je ne me posais pas trop de questions. On m’a dit que j’aurai des protections et que quelques résidents avaient contracté le virus. Je me disais que si j’étais protégée ça passerait, et aussi qu’on ne me mettrait pas en contact avec les résidents malades. Mes proches avec lesquels j’habite m’ont fait part de leur inquiétude quant au fait que j’aille m’exposer volontairement au virus. Et que par là, je les exposais aussi. Sur le coup, je ne voulais pas être d’accord avec ça. J’ai compris sur place.

J’arrive donc un peu avant 11h devant cet EHPAD de banlieue parisienne. J’avoue, mon cœur bat un peu plus fort que d’habitude. J’entre comme une touriste : sans masque, sans gants, sans remarquer les gels hydroalcooliques mis à disposition dès la porte d’entrée. Il y a des membres hospitaliers dans le hall et une personne à l’accueil. Tous portent des masques, sauf moi. À l’accueil, la personne me fixe longuement, les yeux peut-être craintifs. Elle finit par me proposer de mettre un masque ; c’était sûrement pour ça.

Le virus était là, tout près de moi

Je monte au deuxième étage, accompagnée par une psychologue. Là, se trouvent une dizaine de résidents confinés dans leurs chambres. Sauf une, assise dans le réfectoire à attendre l’heure du repas, le regard dans le vide. On s’approche de cette dame, la psychologue nous présente. Elle se plaint d’être seule, qu’elle veut manger avec ses copines comme avant. La psy lui explique que c’est comme ça maintenant et qu’il faut garder le moral. On repart, la laissant seule.

Sud Ouest est revenu sur le confinement en EHPAD dans son podcast « Laissez Passer ! ». Une directrice d’EHPAD répond à différentes interrogations, notamment sur les leçons que l’on peut tirer de cette crise pour l’après-confinement et plus particulièrement pour la future réforme Grand Âge.

 

Marchant dans le couloir, elle me montre chaque chambre. Elle m’explique que sur certaines portes il y a une feuille scotchée. Dessus est indiqué si la personne est contaminée par le Covid-19 : il y a un code couleur allant du jaune au rouge selon la gravité de son état, et donc selon le risque de contamination. Quatre résidents sur dix ont une affiche sur leur porte, tous sont dans le rouge. La psy me donne le nom de trois personnes à aller voir en priorité pour arroser leurs plantes et leur tenir compagnie en discutant. Une d’entres elles est contaminée.

Je regarde par sa porte ouverte, c’est une dame. Elle est allongée, KO. La psy l’appelle du pas de la porte, pas de réponse. Elle me dit qu’elle dort sûrement et que je pourrai aller la voir plus tard en m’équipant d’un masque et d’une combinaison… Là, je commence à bien réaliser. Je vais donc faire un tour dans les autres chambres, mais je n’ai pas de gants. Le masque me tient chaud, ça me gratte, je n’arrête pas de le toucher et je pense aux potentiels microbes sur mes mains non protégées. Je vois un tube de gel, vite une dose.

Mentir ou dire la vérité ?

Je vais voir une première dame. Je lui arrose ses fleurs, elle me remercie. J’essaie de bavarder avec elle, pas très réactive. Elle me dit qu’elle a seulement un appel par semaine de sa famille mais que « c’est déjà ça ». En sanglotant, elle me dit qu’elle a mal au cœur, dans les deux sens je pense. Elle veut dormir, je la laisse. En allant dans une chambre au bout du couloir, je jette un œil dans les chambres des résidents contaminés, toutes les portes sont ouvertes. Tous sont allongés, inertes, inactifs. Le poids de leur solitude se pèse dans ces images.

Je passe la tête par la porte d’une chambre. Une petite dame me sourit, j’entre. Elle est bavarde, elle a la pêche. Madame R.… Je m’en souviens parce qu’au collège mon prof de musique avait le même nom. Je lui arrose ses fleurs aussi. On bavarde. « Quand est-ce que ça va s’arrêter tout ça ? » Elle n’arrête pas de me poser cette question. Je ne sais pas trop quoi lui répondre. Lui dire la vérité, la cacher ?

La psychologue qui vient d’entrer enchaîne en répondant qu’elle ne sait pas, que personne ne sait, qu’il faut trouver un vaccin, qu’on espère que ça va s’arrêter au plus vite. Mais c’est mentir ça. On savait déjà que ça allait durer encore longtemps.

L’isolement en Ehpad, c’est aussi meutrier

Mais tu ne peux pas leur dire ça à eux, ils abandonneraient direct. Déjà qu’ils se laissent aller, qu’ils ne mangent plus. À quoi bon ? Eux, ils vivent au jour le jour. Si tu leur dis que pendant des mois ils ne pourront pas sortir de leurs chambres, qu’ils ne pourront pas voir leur famille, ça sert à rien de continuer.

Solenn est infirmière en réanimation. En première ligne du coronavirus, la crise sanitaire lui laissera des traces à vie. 

Alors, il faut leur cacher la vérité, tenir un discours positif mais moi je ne pouvais pas. Je ne me voyais pas regarder cette dame et lui mentir, même si c’est pour son bien. Vers 13h, je lui ai dit au revoir en lui souhaitant du courage et je suis partie pour ne pas revenir. J’ai croisé la responsable dans le hall qui m’a demandé comment ça allait. Je ne lui ai pas menti. Je lui ai expliqué que je n’étais pas prête à faire face à ça et que le risque de contamination me faisait peur, pour mes parents surtout. D’une petite voix, elle m’a dit qu’elle comprenait et m’a donné le code pour sortir.

À ce moment-là, au dixième jour du confinement, ils ne parlaient pas de la situation des EHPAD aux infos. Aujourd’hui, j’imagine madame R. devant sa télé, voir tomber le nombre de décès affolant, les autres résidents mourir. Peut être que là-bas aussi c’est l’hécatombe. Le gouvernement veut faciliter les visites des proches pour les personnes en fin de vie, mais pour combien est-ce déjà trop tard ?

 

Laura, 21 ans, volontaire en service civique, Villiers-sur-Marne

Crédit photo Unsplash // CC Siamak Poorjam

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1 réaction

  1. je trouve que tu as eu deja beaucoup de courage pour le dire des le debut tu ma vraiment toucher est sa je suis fiere ton texte et vraiment touchant en esperant que sa va mieux 😉 et que tout le monde se porte bien

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