Aïman M. 17/06/2020

À la Savine, vous ne démolissez pas qu’un quartier

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Depuis la démolition des bâtiments J, j'ai compris que j'allais devoir partir de la Savine, ce quartier de Marseille où j'ai grandi. On va tous déménager, mais pour aller où ?

Ce que je préfère le plus au quartier, c’est le camion du sport. On l’attend, ce camion.  Avec les copains, on se retrouve à 17h30 pour y aller. Il vient le vendredi… mais pas tous les vendredis parce que, souvent, ils s’absentent pour des raisons inconnues. Quand on le voit arriver sur la seule route qui permet d’arriver dans le quartier, on est contents. C’est un camion blanc avec un logo. Dessus, il y a écrit : urban sport truck. Il se gare au niveau de l’arrêt de bus. À côté du « bassin », c’est comme ça qu’on appelle le terrain où on joue au foot. On l’attend vraiment, ce camion.

Dedans, il y a deux éducateurs, deux minicages de foot, un filet pour le volley, deux raquettes de badminton et de l’eau pour boire quand on fait du sport. À un moment, y avait même un jeu de cartes Uno. Il reste deux ou trois heures et un peu plus longtemps l’été. Après, on l’attend jusqu’au vendredi d’après.

J’ai l’impression d’écraser les bâtiments avec mes pieds

Mais bientôt, je ne l’attendrai plus le camion du sport, parce qu’on va déménager. On va tous déménager, mais je ne sais pas où. On a déjà perdu beaucoup d’habitants… et beaucoup de bâtiments. Depuis la démolition des bâtiments « J », je trouve que la Savine commence à se dégrader. C’est dur de vivre sans les bâtiments « J ». Quand je marche à l’endroit où ils étaient, j’ai l’impression de les écraser avec mes pieds et ça me touche énormément.

Mon objectif, dans la vie, c’est d’être proche de la Savine parce que, à part les activités avec le collège, je fais tout dans le quartier. Tout ce qui m’intéresse est ici. La seule chose qui me gêne dans tout le quartier, c’est la délinquance. Ils fument, ça sent fort, c’est très gênant.

Il y a aussi eu un règlement de compte historique. C’était un grand. Il marchait pour rentrer chez lui au « H2 » et il a reçu des coups de feu. Le lendemain, devant l’immeuble, il y avait des fleurs pour lui rendre hommage. Même ma mère, elle est descendue. J’étais très choqué. Je le connaissais Karim. Il était gentil même s’il faisait peur. Tout ça pour l’argent. Je trouve ça triste. C’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase pour moi.

Ce qu’on appelle les quartiers, avant de les démanteler, il faudrait s’en occuper. C’est en tout cas ce que que dit Shaïna, depuis Nantes : « Dans mon quartier c’est la merde et tout le monde s’en fout »

Mais la Savine restera quand même le meilleur quartier pour moi. À vie. C’est un quartier de grand cœur. Alors, maintenant que je sais qu’on va partir, j’espère que le camion du sport viendra aussi dans mon nouveau quartier.

 

Aïman, 13 ans, collégien, Marseille

Crédit photo Hans Lucas // © Hervé Lequeux (Série photo « Une jeunesse française »)

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