Barbara P. 15/04/2020

Adoption : mon frère est noir, et alors ?

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Mon frère adoptif est né au Sri Lanka. Pour moi, c'est mon frère. Mais pour les autres enfants, à l'école, rien n'était moins sûr. Le racisme, il l'a subi au quotidien et le subit toujours...

J’ai grandi dans une petite ville de province au brassage culturel très faible. À mon arrivée dans un collège privé, j’ai été confrontée à mon privilège de jeune fille blanche, du moins je l’ai mieux compris. Le vocabulaire des autres enfants avait lui aussi évolué et les agressions envers mon frère et son adoption n’étaient plus des sous-entendus mais du racisme bien réel.

Il était entouré mais le traitement qui lui était accordé, aussi bien par ses « amis » que par les professeurs, me paraissait étrange et déséquilibré par rapport au mien. Il semblait toujours devoir défendre sa place et prouver sa légitimité à être là aux yeux des autres. Nos réalités étaient différentes.

Adopté à deux mois, mon frère n’a cessé d’être renvoyé à sa couleur de peau. Le racisme qu’il a subi dès l’école m’a fait prendre conscience de nos différences aux yeux des autres. Pour eux, l’un était noir, l’autre pas. Pour moi, l’un était marron, l’autre beige. Et après ? L’adoption de mon frère n’a jamais été taboue à la maison. Il est né au Sri Lanka. Ma mère ne parvenait pas à tomber enceinte, et mes parents avaient depuis longtemps envie d’adopter. Je n’ai pas le souvenir de l’avoir appris, qu’une annonce ait fait événement. Nous étions frère et sœur. Basta.

Mon frère était la victime, ses amis les bourreaux

C’est dans ce collège qu’un événement marquant et traumatisant a eu lieu. Mon frère en a été la victime, ses amis les bourreaux. Il a été mis, la tête la première, dans une benne à ordures. Simple blague, disaient-ils… Mon frère a préféré y voir une plaisanterie qui était allée trop loin et ainsi couvrir ses copains, sûrement par peur des représailles. Pour mes parents et moi, c’était un acte explicitement raciste : des jeunes adolescents, blancs, bourgeois et donc privilégiés avaient jugé drôle puis légitime de mettre mon frère dans une poubelle, lui qui était noir donc faible et vulnérable.

C’est quand elle est allée à une exposition dans un musée que Mathilde a réalisé le privilège d’être blanche. Depuis, elle s’est documentée et milite, à son échelle.

Je croyais que ma place de petite sœur m’obligeait à rester à l’écart de ces histoires et qu’il se vexerait si j’essayais d’intervenir. Mais je suis sortie du silence qui me rongeait depuis trop longtemps, sans qu’il ne le sache. Les adolescents à qui j’essayais de faire comprendre la gravité et le racisme de leurs actes m’écoutaient. Pour eux, ma parole avait de la valeur et comptait. Certains ont pris conscience de leurs agissements et se sont excusés auprès de moi. C’était une victoire autant qu’une défaite : pourquoi mes mots comptaient-ils davantage que les maux de mon frère ?

« C’est pas vraiment ton frère ? »

Il n’était pas traité pareil que moi. Tout ça pour une simple différence chromatique. Ça, je l’ai compris plus tard, en troisième, en discutant avec une de mes amies d’origine congolaise qui était, elle aussi, victime de discriminations en raison de sa couleur de peau. À la fin de certains cours, nous revenions sur des propos que certains professeurs avaient eus à son égard. Ils prenaient pour exemple « la dimension de son nez » pour parler des caractéristiques physiques africaines. Aussi, cette amie me parlait des complexes liés à ses cheveux qu’elle lissait et attachait en permanence pour éviter les moqueries.

Mais mon entrée dans un lycée public populaire m’a permis une émancipation intellectuelle. Dans cet établissement, chacun venait d’horizons différents et il n’était pas question d’en faire un sujet en soi. En parallèle de mes nouvelles fréquentations, les lectures que je choisissais mettaient enfin des mots sur cette cruelle réalité que je n’arrivais jusqu’à présent pas à expliquer. Aujourd’hui, grâce au travail d’Amandine Gay (et son @moisdesadoptees sur Instagram), je continue de prendre conscience de la complexité d’être un enfant adopté. Malheureusement, je dois faire face à cette perpétuelle remarque : « C’est pas vraiment ton frère ? » Phrase d’autant plus agressive pour le principal intéressé lorsqu’il est présent.

Amandine Gay est journaliste, réalisatrice, et comédienne afroféministe. Adoptée, elle raconte au Huffington Post pourquoi elle a fondé en 2018 « le mois des adopté.e.s » ; un événement destiné à donner de la visibilité au vécu et aux problématiques de ces adopté.e.s.

 

Après le collège, mon frère a cessé de nier le caractère raciste de certains propos tenus à son égard. Étant directement concerné par ces agressions, qui ne sont pas des cas isolés, il est souvent difficile pour lui de ne pas réagir à chaud. Il doit faire face à un racisme quotidien auquel il répond souvent par des insultes ou de manière virulente. À 25 ans et bientôt jeune papa, son identité française continue d’être remise en question.

L’adoption n’est pas une démarche anodine

Les rapports entre mon frère et moi ont toujours été assez conflictuels. Pendant longtemps, le fait qu’il soit adopté n’avait, pour moi, aucun rapport avec ça. Les différences qui nous opposent étaient inhérentes à toutes relations humaines, fraternelles ou non. Aujourd’hui, je crois que son adoption et ce racisme ne sont plus à prendre comme des détails mais à considérer comme intrinsèques à notre relation. Il serait peut-être temps pour nous d’aborder véritablement le sujet pour briser quelques tabous et rancœurs liés à notre enfance, de mettre des mots sur nos vécus et ressentis respectifs.

Il existe encore trop de méconnaissance autour de l’adoption qui ne fait qu’alimenter le racisme ordinaire, dès le plus jeune âge. L’adoption demande une véritable préparation et connaissance de la part des parents bien sûr, mais aussi du corps enseignant et des élèves qui vont accueillir l’enfant. Cela, particulièrement dans les petites villes de province dans lesquelles la majorité des habitants sont blancs. Il faut que cela change !

 

Barbara, 23 ans, intérimaire, Paris

Crédit photo Unsplash // CC Mosa Moseneke

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1 réaction

  1. Pour moi, un frère ça se base pas sur la couleur de peau,au contraire on peut avoir un frère dont on partage des liens de sang et peut devenir un obstacle pour nous. Un frère c’est celui,qui protège, conseille, aussi qu’il soit franc avec les membres qui l’entourent. Donc, puisqu’il est bien entourée et ne se sent pas hors du circuit familiale, à quoi bon de ce soucier des ragoûts d’autrui, même si le mot racisme apparaît toujours dans nos esprits, mais espérons que dans les années à venir,on banis définitivement ce dispositif.

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