Maëlle D. 16/11/2020

La ville confinée, mon insécurité décuplée

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La France est confinée mais, une nuit, j'ai dû sortir. Entre les rues désertes et les commerces fermées, mes stratégies d'évitement ont foutu le camp.

Dimanche 1er novembre, troisième jour du (re)confinement. Je prends le train pour rentrer à Paris après un dernier week-end dans le sud. Dans le train de 20 heures, il n’y a déjà pas grand monde. Au début je trouve ça cool, je ne fais pas attention. Mais plusieurs personnes de mon entourage m’envoient des messages pour me dire : « Tu me dis quand t’es bien rentrée. »

Je ne comprends pas trop pourquoi ma famille et mes potes se mettent tous à être inquiets alors qu’ils savent que j’ai l’habitude de rentrer tard chez moi. Puis, une pote m’envoie : « Moi aussi je rentre tard demain… j’ai peur qu’il n’y ait personne dans la rue et de tomber sur un fou. » Quand elle me dit ça, j’essaie de la rassurer (et de me rassurer au passage) en lui disant qu’il y aura sûrement des flics un peu partout. Mais, une fois arrivée à Paris, je me rends compte qu’elle a raison. À part les flics postés sur le quai de la gare avec leurs armes de cowboy, je n’en ai croisé aucun.

Sur le quai, presque que des hommes

Premier métro, et presque personne dans le wagon à part quelques voyageurs avec leurs valises. Presque que des hommes. Je me dirige vers la fameuse ligne 13 (connue pour être blindée à toutes les heures du jour ou de la nuit). Là encore, quasiment personne sur le quai.

Comme toutes les femmes, j’ai mes stratégies : tout observer, mettre des écouteurs, marcher vite, me diriger vers des wagons où il y a d’autres femmes, des couples, des familles, scruter le moindre comportement étrange… Mais, comme dans le premier métro, les rares personnes présentes sur le quai sont des hommes. Heureusement, mon métro arrive dans trois minutes.

Pendant le confinement, les femmes ont observé une augmentation du harcèlement et des violences sexuelles dans la rue. L’application The Sorority permet aux femmes et aux minorités de genre de s’entraider. Alertes, géolocalisation, chat de discussion… tout est pensé pour lutter contre l’insécurité.

 

 

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En un regard, je repère un mec qui a l’air un peu ivre. Je mets ma musique un peu plus fort et prie pour qu’il passe devant moi sans me remarquer. Mais j’avais oublié : je suis une femme, seule, dans la nuit. Autrement dit : une proie facile.

Il se dirige vers moi et je commence à flipper un peu : « Merde qu’est-ce que je fais s’il devient collant ou violent ? » Prochain métro dans deux minutes. Il commence à me parler. J’augmente encore le son de ma musique et lui fais comprendre que je ne suis pas intéressée. Je lève la tête, regarde autour de moi. Personne ne semble être perturbé par le fait que je ne veuille pas discuter avec ce mec. Plus qu’une minute.

Je me décale et me rapproche du bord du quai. Le cœur un peu battant, je m’installe dans mon métro. Je suis à la fois rassurée d’avoir quitté le quai, et un peu flippée (surtout qu’il me reste dix minutes de métro entourée, encore, uniquement d’hommes). À un des arrêts, ça crie sur le quai, de quoi stresser plus. Je serre mon téléphone et envoie un SMS à ma pote : « T’avais raison putain il y a personne. » J’essaie de l’appeler (autre technique de meuf pour qu’on nous laisse tranquille), mais il est minuit passé et elle dort déjà.

D’habitude, je me sens rarement en insécurité

Enfin mon arrêt. Il me reste encore à marcher jusqu’à chez moi.

Dans mon quartier, les rues sont remplies de petites supérettes, cafés et kebabs. Habituellement, je m’y sens plutôt en sécurité. Parce que, même si ce sont beaucoup des hommes, jusqu’à une certaine heure il y a toujours du monde dans la rue. Je trouve ça rassurant, paradoxalement…  Je me suis déjà fait suivre et emmerder quelquefois, j’ai souvent eu le droit à des regards, des commentaires sur ma tenue, sur le fait que je suis « mignonne », ou « charmante » (ça dépend des jours visiblement). Mais je restais persuadée que jamais quelqu’un ne s’approcherait de moi.

Ce soir-là, même s’il est à peine minuit, les rares bars et superettes que je croise sont fermés. Je ne peux donc pas compter sur les éventuels passants pour me sentir rassurée. Je me retrouve complètement seule dans ces ruelles sombres. Je n’ai pas beaucoup à marcher mais ce trajet me semble interminable : je veux juste rentrer chez moi, en sécurité. Je marche de plus en plus vite en espérant ne pas être suivie et arrive enfin à destination, cinquante minutes après être descendue du train.

L’insécurité existe aussi… en ligne. Après avoir refusé les avances d’un homme, elle a subi une vague d’insultes et de propos dénigrants sur Discord.

Au final, il ne m’est rien arrivé. J’ai peut-être eu peur « pour rien » à certains moments (alors que d’habitude je me sens rarement en insécurité). Mais j’estime que j’ai eu de la chance. Si le mec sur le quai avait été plus virulent, qui aurait bougé ?

Avec le confinement, la rue et les transports deviennent déserts encore plus tôt, et donc encore moins safe pour nous. Certes, on n’est pas censé être dehors. Mais même si je vais souvent être rentrée « tôt » chez moi, je m’inquiète de voir ces rues se vider de plus en plus tôt. J’en viens à avoir peur pour moi, pour ma pote qui elle aussi va rentrer seule tard, et pour toutes les autres femmes qui vont devoir marcher seule la nuit. Parce que même si on est confinée, il y en aura toujours…

 

Maëlle, 24 ans, salariée, Saint-Ouen-sur-Seine

Crédit photo Unsplash // CC Ken Anzai

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